Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

XIIème congrès international de Psy Cause à Lomé (4 et 5 décembre 2018). Carnet N°4

Le carnet N°3 a clôturé la première journée du congrès. Le carnet N°4 retrouve l’auditorium de l’université de Lomé de bon matin à 8 heures. Il rend compte de la première partie de la matinée de ce 5 décembre, en plénière et jusqu’à la pause. L’Accueil est approvisionné en exemplaires du N°76 de Psy Cause apportés en valises depuis le siège avignonnais de la revue. Dans la photo ci contre, les charmantes apparitrices de Psy Cause Togo peuvent parcourir ce numéro consacré en quasi totalité au « Cahier Togolais », c’est à dite à des publications togolaises communiquées au directeur de la revue par le Dr Saliou Salifou. Rappelons que le terme « cahier » pour désigner un dossier consacré à un pays, est une invention de psychiatres japonais, en particulier du Pr Shigeyoshi Okamoto, de Kyoto. Nous avons eu ainsi le Cahier Japonais (N°70, troisième quadrimestre 2015), le Cahier Franco-Ontarien (N°71, premier quadrimestre 2016), et le Cahier Guyanais (N°74, premier quadrimestre 2017).

 

Pour la première communication de la matinée, le public remplit déjà la salle. Tout au long des deux journées de travaux, une constante aura été l’extrême motivation des 200 professionnels de la santé mentale venus de nombreux pays francophones (ou non puisque des psychanalystes sont venus de Berlin). Dans la photo du public, ce matin du 5 décembre de bonne heure, nous avons sur la droite, le Dr Arnaud Bossi, psychiatre chef de service en psychiatrie adulte au CHS de Saint Rémy (Haute Saône), venu à l’invitation du Dr Saliou Salifou qui a exercé dans son établissement dans le cadre d’une formation et avec lequel il a créé des liens d’amitié. Ce congrès a été pour ce psychiatre hospitalier français, l’opportunité de découvrir Psy Cause.

 

Mme Carmen Lallier fait partie de la délégation canadienne québécoise venue de Montréal. Sa communication ouvre la première séquence en plénière de cette seconde journée de congrès. Elle exerce comme travailleuse sociale et psychothérapeute et nous parle sur le thème : « L’approche narrative ; une approche pour soutenir le changement ». Elle pointe ce qui peut se passer à travers le récit lors d’une intervention sociale, lequel n’est pas neutre puisqu’il peut contribuer à redonner du pouvoir aux personnes accompagnées. Elle évoque une figure très connue au Québec, originaire du Sénégal, Boucar Diouf, à la fois anthropologue, humoriste et animateur, dont la renommée est basée sur les histoires qu’il rapporte de l’enfance avec son grand père.

 

Elle évoque ensuite l’Australien Mickael White considéré comme le fondateur des pratiques narratives qu’il a appliquées au traitement des traumatismes dans les communautés opprimées. Ces pratiques ont été influencées par les travaux de Gregory Bateson, anthropologue et psychologue issu du courant de la cybernétique, systémicien formé à l’école de Palo Alto, ainsi que de Vigotsky, psychologue russe qui a développé le concept de constructionnisme social en apprentissage. Selon Mme Carmen Lallier, en approche narrative, le travail du thérapeute se situe dans l’accompagnement de l’auteur à se situer à la fois dedans et en dehors de l’histoire, guidant un récit identitaire, les rapports de l’interlocuteur à la vie, à la mort, aux personnes qui l’ont soutenu et inspiré, etc. La communicante illustre la construction des échafaudages narratifs par un exemple.

 

Prend ensuite la parole un second intervenant canadien de Montréal, le Pr Pierre Lalonde, sur le thème « Le cerveau et l’esprit. Saillance et dopamine. Psychophysilogie des symptômes psychotiques ». Celui ci nous présente une cartograpie des agents biologiques agissant sur notre être au monde par les neurotransmetteurs. La Noradrénaline agit sur la vigilance, la Sérotonine agit sur l’impulsion motrice, la Dopamine agit sur l’euphorie et le plaisir. Les interactions des trois champs générés par les trois neurotransmetteurs agissent sur la cognition, les interactions de la Sérotonine et de la Noradrénaline agissent sur l’anxiété, les interactions Dopamine/ Noradrénaline agissent sur la motivation, les interactions Dopamine/Sérotonine agissent sur l’appétit, l’agression et le sexe. Lorsque les patients demandent de l’aide pour des croyances bizarres, des perceptions altérées ou de la détresse, le médecin peut prescrire des médicaments qui bloquent les neurotransmetteurs et modifient la pensée.

 

Le Pr Pierre Lalonde en vient au rôle de la Dopamine dans la psychose. Ce neurotransmetteur est médiateur de signification, de motivation, d’hédonisme. Normalement, il donne aux expériences du sujet, par ses variations dans les décharges, une signification appropriée selon le contexte : il prend en compte les expériences gratifiantes, il pousse à l’évitement des événements aversifs, il anticipe le plaisir. Or, selon Laruelle, « la Dopamine est comme le vent sur le feu psychotique ». Les antipsychotiques sont des antagonistes de la Dopamine. Le Pr Pierre Lalonde fait d’ailleurs observer que les psycho-stimulants qui relâchent la Dopamine produisent des symptômes psychotiques chez n’importe qui.

 

Le Pr Pierre Lalonde aborde le concept de saillance. La saillance est l’attribution de signification dans nos perceptions environnementales ou internes. La Dopamine transforme la représentation mentale d’un stimulus neutre en une entité attrayante ou répulsive : c’est la saillance. Laquelle peut générer une motivation pour l’action. La Dopamine est donc l’outil de l’évaluation de l’utilité d’une décision dans les choix que les humains font. Or, il peut survenir une décharge anormale de Dopamine sans égard au contexte. Ce qui provoque une assignation de signification aberrante à des objets externes ou à des représentations internes. Ce qui est source d’hallucinations et de délires en tant qu’explications. C’est la psychose qui, quand elle altère le comportement, fait arriver le patient en psychiatrie. Alors, la prescription des antipsychotiques bloque la transmission de la Dopamine. La diminution de la signification préoccupante (saillance) permet une diminution des symptômes par extinction ou reformulation cognitive.

 

La parole est à présent donnée à une grande personnalité du Togo : Son Excellence, ancien ministre, écrivain, spécialiste de la communication, Comlangan Mawutoè D’Almeida, qui communique sur le thème « Le bon vivre ensemble, un atout pour la famille africaine ». La promotion du vivre ensemble est une grande cause pour laquelle il s’engage. Une cause qui conjugue la solidarité et l’acceptation de l’autre pour vivre en harmonie. Il considère que les femmes ont une fonction importante dans le champ du vivre ensemble. D’autant plus qu’il est également engagé dans la défense des droits des femmes et a organisé les structures féminines de sa région. Il a synthétisé ses conceptions dans un livre intitulé « Femmes pour la promotion de la solidarité et du vivre ensemble ».

 

En collaboration avec le Bureau Régional de l’OIF pour l’Afrique de l’Ouest, dont nous avons présenté le directeur dans le carnet N°1, il a été partie prenante dans le projet d’un Espace Francophone International du Vivre ensemble à Nimanya (à 20km de Lomé). La pose de la première pierre a eu lieu le 11 octobre 2018 dans ce village, en sa présence ainsi que celle de diverses autorités. Le projet, financé par l’OIF, est dédié à la jeunesse et se veut un catalyseur d’idées pour une société libre et ouverte. Notre conférencier souhaite développer une véritable recherche universitaire dans ce champ du vivre ensemble qui permet de véhiculer les valeurs de paix et de démocratie ainsi que la cohésion sociale. Il a le projet de création dans son pays, d’une chaire du vivre ensemble. Ajoutons qu’en France, cette question du vivre ensemble fait l’objet de publications, en particulier pour répondre à de graves problèmes de cohabitation entre communautés de cultures différentes. Le projet de Mr le Ministre Comlangan Mawutoè D’Almeida ouvre là une nouvelle approche certainement appelée à d’importants développements.

 

La Pr Josiane Ezin Houngbé, Professeur titulaire de psychiatrie d’adultes, dirige le département de santé mentale à la Faculté des Sciences de la Santé de Cotonou (Bénin), ainsi que le service de psychiatrie du CNHU de cette ville. Elle était déjà communicante au quatrième congrès international Psy Cause à Parakou (Bénin) en 2008. Elle intervient sur le thème « Femme fonctionnaire face au dilemme de la tradition et des mutations sociales ». Les sociétés africaines connaissant, depuis ces dernières décennies, une libéralisation et une émancipation de la femme. Les militantes féminines de cette mutation sociale ont été des intellectuelles, à travers des mouvements politiques et des organisations de la société civile. Ce qui fait, nous dit la communicante, que « les femmes intellectuelles, surtout fonctionnaires, sont les plus sensibilisées. » Cependant, malgré cette dynamique d’émancipation, la société africaine demeure imprégnée par les us et coutumes qui confinent la femme dans un rôle domestique.

 

Or les femmes apprennent autant que les hommes et aspirent à des postes de responsabilité. De plus en plus d’hommes « tolèrent et acceptent » ce progrès, de plus en plus de filles sont scolarisées, de plus en plus de jeunes femmes acquièrent des diplômes qu’elles sont décidées à faire valoir. Et le nombre des femmes fonctionnaires augmente. Une souffrance psychique se fait jour chez nombre d’entre elles. Il peut s’agir d’un mal de vivre diffus, voire d’une boule d’angoisse. Cette souffrance est causée par un conflit dans son identité de femme. « Le statut de femme fonctionnaire, qui s’est battue pour acquérir des compétences et les faire valoir, qui a parfois de grandes responsabilités professionnelles et doit prouver qu’elle mérite de les assumer, paraît le plus souvent incompatible avec le rôle à elle dévolu par la tradition. » Il est donc utile de penser l’accompagnement à apporter à une telle souffrance.

 

Le Dr Thierry Lavergne prend la parole pour exposer le programme Quality Rights de l’OMS. Il explique tout d’abord que son intérêt pour ce programme repose sur son expérience personnelle lorsqu’il était responsable, à la Haute Autorité de la Santé, à Paris, de la certification des établissements de santé de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, et de la Région Parisienne. Son exposé à Lomé s’effectue dans le cadre d’un partenariat entre Psy Cause et le CCOMS (Centre Collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale) basé à Lille, chargé par l’OMS de la coordination et de la mise en place du programme Quality Rights en France et dans les pays francophones.

 

L’Organisation Mondiale de la Santé basée à Genève a développé le programme Quality Rights afin d’aider à évaluer et améliorer la qualité des soins et le respect des Droits de l’Homme, dans les établissements de santé mentale et d’accompagnement social, du monde entier. Un outil, le « Quality Rights Tool Kit » a été mis au point grâce à d’importantes contributions de la société civile (usagers, ex-usagers, aidants), de professionnels, d’experts de la question des Droits en santé et en santé mentale. Cet outil peut être utilisé aussi bien dans des établissements de séjour que dans des structures ambulatoires. Ce programme se base sur la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH), en tire des normes en matière de qualité des soins et de respect des droits de l’homme. Et il fournit des orientations précises sur la façon d’effectuer une évaluation complète des services, de rendre compte des résultats et de formuler des recommandations.

 

Le CCOMS forme depuis deux ans des équipes d’observation qui sont amenées à se déplacer sur site afin de travailler en collaboration avec les équipes d’établissements volontaires. Ces équipes d’observation se composent de personnes usagères, d’aidants, et de professionnels (juristes, chercheurs, psychiatres, psychologues, cadres de santé, chargés de mission et responsables au sein d’autorités de tutelle, etc.) Le CCOMS, ayant pour mission de promouvoir ces activités dans les pays francophones, s’est adressé à Psy Cause International, et a souhaité cette présentation lors du congrès international Psy Cause de Lomé.

 

La première séquence de la matinée du 5 décembre, avant la pause, s’achève par une communication attendue du Professeur émérite béninois René Gualbert Ahyi, intitulée « Francophonie, mondialisation et état dépressif chez les noirs africains ». Il introduit son exposé par ces mots : « Autrefois à Dakar, hier à Cotonou, me voici aujourd’hui à Lomé devant vous pour vous dire en français transcendant la Wolof, le Fon et le Mina, ce que j’ai compris du tour qu’avait jadis joué, aux premiers auteurs, la dépression et son expression symptomatique dominée par le corps qui parle. Cette spécificité, à peine acceptée et baptisée par certains comme le masque de la dépression, se trouve de plus en plus menacée par cette inquiétante aventure : ce vent dévastateur appelé mondialisation qui, après ses actions pour réduire le monde en un village, s’est attaqué aux langues, aux hommes et aux symptômes masqués de leurs maux. C’est pour ne pas trop faire errer les diagnostics, qu’en veilleur, nous nous adressons à vous. »

 

Pendant la période coloniale, les premiers auteurs avaient noté la rareté de l’état dépressif en Afrique noire. Quand ces états existaient, on pouvait noter en dehors d’un fléchissement récent de l’humeur contrastant avec la « gaieté » et l’optimisme habituel de l’Africain, de l’agitation, un délire de persécution, des fugues et des crises clastiques. Ces états n’ont été décrits que chez des sujets éloignés de leur pays et de leur famille, par exemple chez les soldats au front. Les chercheurs des années 1960 ont remis en question ces descriptions et proposé de prendre en compte les particularités socioculturelles.

 

Mais à l’ère de la mondialisation, la société traditionnelle ne cesse de se transformer. Alors que, jusqu’à présent l’expression de la dépression passait surtout par des symptômes somatiques, l’individu « psychologise » de plus en plus. Eclosent des expressions cliniques semblables à ce qui est décrit dans la littérature occidentale. Les conduites suicidaires, les idées de culpabilité, d’indignité, clairement verbalisées, font leur apparition. Ce à quoi la colonisation, l’évangélisation et l’islamisation ont contribué. « Les vieillards jusqu’ici épargnés par la dépression parce que valorisés par la culture doivent aussi commencer, anxieux, à s’interroger comme la grande Royale : « ce que nous avons reçu vaut-il ce que nous avons abandonné ou perdu ? » »

 

Le Pr Ahyi observe que « les particularités et les variations du syndrome dépressif chez le noir africain expliquent les difficultés et remarques faites à propos de l’utilisation d’une échelle d’évaluation en psychiatrie transculturelle. » Il propose comme note conclusive, le proverbe africain : « le tronc d’arbre a beau séjourner dans le fleuve, il ne deviendra jamais un caïman. »

 

À suivre avec le carnet N°5…

 

Jean Paul Bossuat

 

 

 

 

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