XIIème congrès international de Psy Cause à Lomé (4 et 5 décembre 2018). Carnet N°2
Nous avons achevé notre premier carnet du compte rendu du XIIème congrès international de Psy Cause à Lomé, par la photo protocolaire sur la terrasse de l’auditorium de l’université de Lomé. Cette photo est le prélude au premier temps de pause, lequel permet aux congressistes, autour d’une boisson, de se retrouver pour des échanges interpersonnels. Ce premier moment convivial est l’opportunité de converser entre professionnels qui ont franchi les frontières interafricaines ou de vastes étendues qui séparent les continents. Ce congrès francophone est incontestablement international, avec des délégations africaines, outre celle du Togo, nombreuses, principalement du Bénin, du Burkina Faso et du Mali (sans oublier des professionnels venus d’autres pays d’Afrique, en particulier de Côte d’Ivoire). D’Europe est venu un public varié : français, belge et allemand. Nous avons, dans le précédent carnet, présenté la délégation québécoise.
Les organisateurs avaient souhaité que ce congrès, le second que nous organisons en Afrique Subsaharienne, soit représentatif du forum d’échanges francophones en santé mentale que Psy Cause a le projet de constituer. La participation à cette première pause café nous permet de mesurer le chemin parcouru depuis le congrès de Parakou, il y a 10 ans, et de nous confirmer que nous sommes dans la bonne voie. En ayant bien présent à l’esprit que ce congrès international est le premier dans lequel une section nationale francophone de Psy Cause, autre que française, est en première ligne.
Cette pause est également l’opportunité d’une présence de médias togolais. C’est ainsi que la télévision et la radio ont interviewé le président de Psy Cause International. Ce congrès est susceptible de susciter l’intérêt de téléspectateurs et d’auditeurs togolais pour les questions de santé mentale. Le président de Psy Cause International a mis l’accent sur une vision francophone de la santé mentale, bien présente dans la revue Psy Cause, qui rassemble, dans un même débat d’idées, des savoirs, des expériences cliniques, sans a priori, en les intégrant dans une connaissance globale de l’être humain dans son contexte psychologique, social et culturel. Ce qui implique des échanges pluridisciplinaires et que le savoir puisse émerger de tous les acteurs du soin, ce qui est particulièrement le cas en Afrique où, en santé mentale, il existe une écoute des tradipraticiens.
Les deux journées de congrès vont ainsi associer des points de vue africains, français et nord-américains, avec, en commun, l’usage de la langue française.
Le déroulement de la matinée se poursuit dans l’auditorium avec une conférence de Son Excellence Edem Kodjo. Cette grande personnalité togolaise, diplômée de l’ENA, promotion Blaise Pascal, occupa le poste de Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) de 1978 à 1983, celui de Premier ministre de la République Togolaise à deux reprises, de 1994 à 1996 et de 2005 à 2006. Elle est aussi un homme de lettres reconnu avec la publication de « Et demain l’Afrique », ouvrage récompensé par le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1985, ainsi que d’ouvrages majeurs : « L’Occident, du déclin au défi », « Au commencement était le glaive », et « Lettre ouverte à l’Afrique centenaire ». Elle est donc une voix togolaise très précieuse pour nous éclairer sur la première partie du thème de notre congrès dans le cadre de sa conférence « Francophonie et mondialisation : les enjeux », laquelle sera publiée intégralement dans le N°77 de la revue Psy Cause, et dont nous donnons ci dessous un aperçu.
Selon Son Excellence Edem Kodjo, un monde s’effondre, celui d’un système international européen mis à bas par la seconde guerre mondiale. Système dont le relai par « un multilatéralisme de type libéral fondé néanmoins sur des valeurs communes et dont l’Organisation de Nations Unies fut le vivant symbole ». L’ordre colonial s’effondra et s’établit avec la guerre froide, un équilibre dont le souci primordial a été d’éviter le désastre nucléaire et de limiter les affrontements « dans les sphères régionales de notre planète ». Or, aujourd’hui, « c’est précisément cet ordre qui a tenu vaille que vaille jusqu’à présent, qui est en train de vaciller, sinon de s’effondrer. »
Subsistent des institutions multinationales qui n’appartiennent pas au système onusien visant à une coopération vertueuse comme l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), ou à la défense d’identités culturelles comme l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Mais, s’interroge Son Excellence Edem Kodjo, « L’OIF (et les organisations qui lui ressemblent) peut elle assurer le triomphe d’un ordre alternatif à visage plus humain dans un monde guetté de toute part, par la résurgence de vieux démons qui ont conduit par deux fois le monde au bord de la catastrophe. C’est le sujet de notre réflexion de ce matin. »
Son Excellence Edem Kodjo rappelle alors le discours du Président français Emmanuel Macron en août dernier sur la remise en cause du système multilatéral, la nouvelle politique du Président américain Trump qui génère des éléments de conflit, l’émergence des nationalismes et des populismes en Europe et en Amérique latine. Alors, note le conférencier, « des voix s’élèvent pour réclamer un nouveau multilatéralisme fondé sur des valeurs qui dépassent celles du seul marché (…) » Il se demande si un tel objectif est crédible pour l’OIF.
L’OIF compte aujourd’hui 88 états et entités étatiques pour lesquels l’objectif premier de l’organisation est « la défense du Français, comme langue véhiculaire reconnue dans un monde guetté par le monolinguisme et l’unification culturelle ». Bien qu’essentiellement culturelle, l’OIF, dès le départ (en 1970), « faisait une part importante, qui ira en se développant, à des « valeurs » qui deviendront bientôt des chevaux de bataille incontournables : égalité, complémentarité, solidarité, défense des droits de l’homme, puis gouvernance démocratique durable, accès à la formation à l’information. » La mue en cours de la Francophonie permet de s’interroger si la langue française est toujours le vrai liant entre des nations membres de l’OIF dont le nombre ne cesse de croitre. La mue de la Francophonie s’est même étendue au domaine économique face à la prédominance de l’anglais comme langue du business.
Son Excellence Edem Kodjo pointe les limites de l’OIF : l’insuffisance des moyens financiers avec un budget qui n’atteint pas les 100 millions d’Euros face à des objectifs ambitieux, des contradictions surprenantes en son sein en matière de droits de l’homme, de gouvernance économique et de démocratie. L’OIF peut-elle, dans ces conditions, prétendre devenir une solution alternative au multilatéralisme déclinant ? Et pourtant, constate le conférencier, « des espoirs raisonnables sont portés sur la francophonie surtout lorsqu’il s’agit de la diversité culturelle. »
Son Excellence Edem Kodjo conclut : « Le « Fast food » américain et le Roi Coca Cola dominent le monde. Mais les peuples ne l’entendent pas ainsi, des réactions se font entendre ici et là. La francophonie représente sans doute une chance pour l’avenir non pas seulement au plan linguistique, mais surtout pour les valeurs culturelles qui la fondent et la valident. Mais encore faudrait-il saisir cette chance… Et vite la saisir, car le temps ne travaille pas forcément pour nous. Aux tard venus les os… Tardis venientibus ossa. »
Le Pr Philippe Nubukpo, addictologue au CHU de Limoges, communique sur le thème « Ethique et santé mentale dans l’espace francophone ; le cas des addictions. » Selon lui, les maladies mentales y compris les conduites addictives sont une cause importante de décès dans le monde. « Il y a moyen de penser des réponses originales dans l’espace francophone où nous partageons pour la plupart une éthique humaniste. » En effet, la prise en charge moderne en santé mentale en Afrique francophone, précise t’il, a des racines historiques dans ce sens, tant avec Henri Collomb et la psychiatrie dakaroise, qu’avec Frantz Fanon et la psychiatrie algéroise. Le conférencier évoque une tradition humaniste héritière des lumières. De même qu’une « bonne dose de syncrétisme en relation avec le poids de la culture. » L’addiction est bien évidemment au cœur de cette approche puisqu’elle est « une expérience où se révèle la condition humaine. »
Au cours de son exposé, le Pr Philippe Nubukpo s’interroge tout particulièrement sur la possibilité d’une « éthique de l’état » en matière de lutte contre les toxicomanies. Les gouvernements sont exposés aux pressions des industries du tabac et de l’alcool, et peuvent, de surcroit, faire preuve d’ambivalence face à des besoins financiers comblés par des recettes issues de la taxation (du tabac, de l’alcool, des jeux etc.). La ratification des conventions peut aider à une éthique de l’état.
Le conférencier traite ensuite des aspects sociétaux de la drogue : violence systémique liée au trafic, appât de gain facile pour les groupes armés et terroristes, inégalité de l’accès aux soins selon que l’on est un homme ou une femme (une femme sur cinq seulement y accède). Enfin, la toxicomanie a un impact sur l’économie puisqu’elle touche principalement des individus en période d’activité maximale. Le conférencier aborde enfin « l’éthique du soignant en addictologie ». Il s’agit de l’accès au soin sans discrimination, de ne pas intervenir pour imposer ses valeurs, d’aider le patient à trouver ce qui est bon pour lui grâce au dialogue.
Le Pr François Borgeat, psychiatre de l’université de Montréal, présente une communication co-rédigée avec Mme Carmen Lallier, psychothérapeute, et intitulée « Est-ce qu’un programme de psychothérapie accessible par internet être pertinent au Togo ? » Il s’agit du programme APAP (Augmentation de la Psychothérapie par Amorçage Préconscient), lequel vise les symptômes résiduels après un traitement ou une thérapie en particulier de type cognitivo-comportemental. Ce programme « est conçu pour les psychiatres et psychothérapeutes, et se définit comme un facilitateur de changement cognitif pour leurs patients qui demeurent aux prises avec un discours intérieur qu’ils n’arrivent pas à modifier. » Il est accessible sur le site https://psyx.live.
Le Pr François Borgeat s’interroge alors sur l’essence de la psychiatrie et ses liens avec la psychothérapie. Il évoque une polarité incontournable qui place en vis à vis et en interrelation deux champs distincts : celui du relationnel, de la psychothérapie, de la communication et du symbolique, d’une part, celui des neurosciences, de la génétique et de la pharmacologie, d’autre part. Il évoque ensuite les cloisonnements de la psychothérapie qu’il convient de dépasser. « Il faut passer à une psychothérapie intégrée, par une approche basée sur des données probantes, à une psychothérapie au lieu des 500 actuellement recensées. » Pour viser cette approche unifiée, la technologie aujourd’hui incontournable, deviendrait facilitatrice d’accès, de formation et de coopération. Le conférencier en vient à la démarche APAP : l’amorçage préconscient par des applications informatiques simples et autogérées. Il nous présente des schémas permettant d’améliorer un système de pensées et d’émotions à partir de cibles.
Le Pr Pierre Lalonde, psychiatre Professeur à l’université de Montréal, nous présente une communication intitulée « La théorie de l’esprit ». Avec en sous titre « Les neurones miroirs ». Il part de constatations déjà énoncées par Hippocrate : « il faut savoir que les plaisirs, les joies, les rires autant que les chagrins, les peines et les mécontentements ne nous arrivent que du cerveau. C’est par là que nous pensons, comprenons, voyons, entendons… » Voilà une vérité qu’il n’est peut être pas inutile de rappeler. De même la folie, les terreurs, les absences de mémoire, les actes inaccoutumés, etc., nous les éprouvons par le cerveau lorsqu’il n’est pas sain. Le cerveau, ajoute le Pr Pierre Lalonde, « est un système ouvert et motivé qui fonctionne en permanence sur un mode d’exploration organisée. Il nous permet d’acquérir des représentations du monde, de les classer en catégories et de les modifier. Explorations et représentations se diversifient pour chaque individu et d’une culture à l’autre dans une recherche de vérité. Le cerveau humain a une disposition innée à acquérir des connaissances, à chercher des causalités. » Il est capable de détecter de l’intentionnalité, de faire preuve de perspicacité et d’empathie. Il développe une intelligence sociale. Mais il est susceptible de dysfonctionnements de cette habileté dans diverses pathologies mentales comme la schizophrénie et l’autisme.
Cette première matinée de congrès va se prolonger bien au delà des prévisions, du fait des retards pris lors de la cérémonie d’ouverture. Ce qui complexifie le déroulé des ateliers très chargés de l’après midi. Autant dire que le staff technique de Psy Cause Togo est hyper mobilisé autour du Dr Salifou, comme en témoigne la photo ci contre prise juste à la fin de la communication du Pr Lalonde. Mais nous sommes en Afrique et la suite du déroulement du congrès sera exemplaire. L’organisation de cet événement est un véritable défi, lequel est relevé haut la main… D’ailleurs, malgré l’heure avancée qui reportera le déjeuner vers le début de l’après midi, les échanges avec la salle demeureront jusqu’au bout passionnés.
La Dr Béatrice Ségalas, psychiatre à Paris, communique sur le thème « Clinique et éthique de la migration et de l’exil ». Le sujet abordé traite d’un problème à la fois majeur et sensible en France. Le migrant, nous dit-elle, quitte son pays d’origine, sa famille, sa culture dans l’espoir d’une vie meilleure. Pour y parvenir, il affronte de nombreux périls, qu’il s’agisse de traverser l’Afrique ou la Méditerranée. « Là où il va, il découvre la désillusion d’une vie difficile, voire marginale, et le décalage entre son idéalisation du pays d’accueil et la réalité. Ce décalage est générateur d’une souffrance psychique. Là d’où il vient, le retour est impossible, car il est porteur, au delà de lui, des espoirs de sa famille et de sa communauté. Il est ainsi dans une impasse existentielle, pouvant le conduire à la dépression ou à la mélancolie, obligé qu’il est de réussir son parcours migratoire. »
En France, l’accueil s’organise pour tenter de lui donner un statut. La Dr Béatrice Ségalas veut, par cette communication, témoigner de l’expérience menée depuis plus de 70 ans par l’association COS (Centre d’Orientation Sociale), devenue tout récemment « la fondation COS Alexandre Glasberg ». Ce dernier, né en 1902 en Ukraine à Jitomir, a du fuir en Autriche en 1921 puis en France en 1931. Il se convertit en 1933 de la religion juive au catholicisme, devenant prêtre. Pendant la guerre, il fera libérer des détenus étrangers internés dans des camps et sauvera des enfants juifs. À la libération, il fonde le COSE (Centre d’Orientation Sociale des Etrangers) qui devient à la fin de la guerre d’Algérie, le COS, dans le but d’accueillir les Harkis. Il décède en 1981. La Dr Béatrice Ségalas nous informe que, « fidèle aux valeurs de son fondateur, cette fondation gère différentes structures permettant d’accueillir les migrants, en particulier les mineurs non accompagnés, de les restaurer dans leurs droits, et de les aider à s’intégrer dans leur pays d’accueil. » La conférencière nous rappelle les pathologies de l’exil et de la migration puis évoque les actions menées par les personnels et les bénévoles de l’association.
La communication du Dr Thierry Lavergne clôture cette première matinée du congrès, avec pour thème « Art thérapies et fonctions parentales ». Après une brève présentation de son activité professionnelle en tant que pédopsychiatre à Aix en Provence et dans le Var, en tant que psychanalyste, de son engagement depuis 23 ans dans Psy Cause dont il est co-fondateur, et vice président, de son intérêt pour l’art thérapie à laquelle il consacre une rubrique dans la revue Psy Cause via une cellule d’art thérapie, il introduit son sujet.
Il part de la formule de Rimbault « Je est un autre ». Créer, c’est laisser advenir une part de soi, c’est une liberté que chacun connaît dès sa petite enfance. Le jeune enfant a besoin d’halluciner le sein pour trouver un apaisement et choisira un objet (tissu, jouet, nounours), l’objet transitionnel. C’est sa première création. L’art thérapie propose un cadre rassurant favorable à une médiation créatrice qui facilite la projection de l’indiscible de la souffrance. Et l’œuvre est offerte au regard de l’autre, dans une forme de lien social.
« L’atelier d’art thérapie permet un lien social par le partage créatif et l’échange d’expériences ». L’art thérapeute, nous explique le Dr Thierry Lavergne, « instaure le lien social en autorisant l’existence des œuvres en tant que telles. En les exposant, il soustrait les patients à l’unique univers de l’atelier créatif. Il leur donne ainsi l’opportunité d’élaborer un désir propre. » Paul Ricoeur définit l’identité humaine comme une identité narrative (ipse) à la différence de l’identité des choses qui est l’identité de l’idem. En atelier d’art thérapie, nous confie le conférencier, « il est fréquent que l’on soit témoin de répétitions à l’idem de projections créatives sur des supports différents, jusqu’à ce qu’il soit possible d’en parler afin que le sujet les inscrive dans une identité narrative. »
Le Dr Thierry Lavergne conclut sur le pas de côté créatif permis par l’art thérapie en vue de la libre définition de son identité narrative.
Nous achevons ce second carnet par un arrêt sur image, lors du déjeuner.
À suivre avec le carnet N°3 à paraître…
Jean Paul Bossuat