Vers un appel de Pribor ?
Jean Yves Feberey, psychiatre, secrétaire à l’Union Européenne de Psy Cause et président de l’association européenne Piotr Tchaadaev, nous a communiqué le texte ci dessous (également adressé à l’association européenne de psychanalyse basée à Strasbourg, FEDEPSY) au sujet du colloque de Pribor, point d’orgue d’un voyage – séminaire, du 23 au 31 mai 2011, articulé sur trois pôles : Prague avec Kafka et l’hôpital psychiatrique Bohnice, Pribor ville natale de Sigmund Freud et Vienne avec la Berggasse et la tour des fous. Pribor rassembla les 50 participants à l’ensemble du périple et les collègues tchèques venus participer aux travaux.
Jean Paul Bossuat
Le voyage à Příbor, mai 2011
Le Docteur Jean-Paul Bossuat, Psychiatre des Hôpitaux au CH de Montfavet (Vaucluse), continue à y exercer comme vacataire depuis qu’il a quitté ses fonctions de chef de service. Il y a fondé avec des amis et collègues la Revue Psycause* en 1995. Destinée au départ à être la revue des « psys qui causent » au Sud de la France, elle s’est progressivement affirmée comme une revue de psychiatrie francophone à dimension aujourd’hui largement internationale. Jean-Paul Bossuat consacre toujours beaucoup de temps à la revue, cherchant des soutiens dans une période difficile pour l’édition, et organisant des manifestations en France et à l’étranger.
Pour mai 2011, il avait proposé un voyage-séminaire dans la ville natale de Freud, Příbor**, que les Strasbourgeois connaissent sans doute mieux sous le nom de Freiberg. Cette ville de Moravie tchèque, proche de la frontière polonaise, est une bourgade charmante, un peu perdue dans une verdoyante campagne, mais je n’y mets aucune connotation péjorative, d’autant moins que le séjour y fut très agréable. Příbor était l’étape centrale qui a permis à près de cinquante personnes (beaucoup de psychiatres expérimentés, du public et du privé), de découvrir également Prague et Vienne, avec un ensemble de visites d’établissements de santé, de lieux historiques et de conférences sur des thèmes liés à la psychiatrie, à la psychanalyse et à la littérature (Kafka).
Dès le début, j’ai parlé pour nous autres « psys » d’une forme de « pèlerinage laïc », de retour aux origines ou aux sources de la psychanalyse, même si Freud n’a passé à Příbor que les trois toutes premières années de sa vie, certes décisives… Nous avons toutes et tous été frappés, en visitant sa maison natale, d’apprendre que toute la famille Freud vivait dans une pièce de petite taille, où Sigmund est né. Nous savons aussi que c’est la pauvreté qui a fait quitter l’endroit aux Freud, pour Leipzig puis pour Vienne.
Rappelons aussi que Příbor a une gare, toujours bien desservie, et que c’est sans doute de là que Freud est parti avec sa mère pour Leipzig, épisode qu’il évoque dans sa lettre du 3 décembre 1897 à Fliess (n°77, PUF, 1979).
Enfin, Jean-Paul Bossuat avait invité à cette rencontre l’arrière petite-fille de Freud, Jane Mc Adam Freud, fille de Lucian (né en 1922), le grand peintre qui était lui-même le fils d’Ernest Freud, architecte. Née en 1958, elle n’a évidemment pas connu Sigmund Freud, mais elle nous a expliqué dans son exposé comment, dans sa formation et son travail de sculptrice, le fondateur de la psychanalyse avait eu une influence certaine, ce que son père contestait pour sa part. Elle a ainsi été artiste en résidence au Musée Freud de Londres*** en 2005 et 2006, où elle a étudié et dessiné les antiquités de son aïeul. Jane Mc Adam Freud et son mari sont par ailleurs tombés amoureux de Příbor, où elle a été invitée par la ville en 2006 pour être la marraine du livre publié à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Freud. Personnalité enthousiaste et généreuse, dont nous vous invitons à découvrir le site et le travail****, Jane Mc Adam Freud a donné au séminaire de Příbor une très touchante touche familiale et familière, que son arrière grand-père aurait très probablement apprécié aussi, un vœu pieux n’étant pas interdit à l’occasion d’un pèlerinage…
Les autres interventions étaient partagées entre nos collègues tchèques et les participants au voyage.
C’est le Professeur Jaroslav Blahos, Président de la Société médicale tchèque Jan Evangelista Purkině, qui a prononcé une allocution d’ouverture, tandis que le Docteur Zdeněk Kalvach, psychiatre d’exercice libéral à Prague, nous rappelait les apports théoriques de la psychanalyse à la psychiatrie. Tout particulièrement il soulignait que, traditionnellement, nul n’attendait autant de respect de l’autorité que le psychiatre de ses patients, et que l’accueil réservé à la psychanalyse était un bon indicateur du degré de totalitarisme d’une société. Jan Galuszka, psychologue à Bílá Voda, a rapporté des éléments tout à fait éloquents du contenu du Bulletin publié en 1931, à l’occasion de la pose d’une plaque commémorative sur la maison de Freud. Rappelons que Freud, malade et âgé, y avait délégué sa fille Anna, tandis que Sandor Ferenczi représentait la Société hongroise de psychanalyse. Le Docteur Petr Taraba, dont nous avions visité l’hôpital d’exercice à Opava, a présidé une des sessions.
Du côté français, des exposés ont été prononcés par Pierre Evrard (Montfavet), Didier Bourgeois (Montfavet), Jacqueline Chabrand (Nîmes), Patricia Princet (Bar-le-Duc), Brigitte Manivel (Avignon, empêchée, lecture par Marie-Josée Pahin), Jean-Yves Feberey (Nice, Pierrefeu-du-Var). Nous n’avons malheureusement pas pu découvrir la lecture d’Osiris par Jean-Paul Bossuat, empêché de prendre part au voyage en raison d’un problème à régler en Tunisie. Après l’allocution de Madame Supova, de la municipalité de Příbor et Présidente de la Société Sigmund Freud, très sensible à notre manifestation et très soucieuse de perpétuer le souvenir de Freud sur place, le Docteur Bertrand Tiret, pédopsychiatre français établi au Canada, a assuré une synthèse des travaux avec Jane Mc Adam Freud et Petr Taraba.
Nous comptons sur une prochaine publication complète des Actes (se reporter au site de Psycause). D’une manière générale, on notera que les Français présents étaient tous préoccupés par les évolutions en cours au sein de la psychiatrie dans leur pays, mais qu’il était parfois difficile d’en faire prendre la mesure aux Tchèques, qui ont une histoire récente bien différente, pour leur psychiatrie comme pour leur société. Ceci non pas bien sûr en raison d’un manque de disponibilité de leur part, mais parce que l’exposé de nos inquiétudes hexagonales se fait forcément au travers de questions franco-françaises, grandes ou petites, mais parfois très malaisées à transposer.
Voilà ce que nous pourrions dire, en résumé, de ce « pèlerinage à Příbor », qui nous a permis de faire un état des lieux à la fois recentré et délocalisé de la psychanalyse, dans un dialogue fructueux avec nos collègues tchèques, qui ont accueilli avec beaucoup de sympathie chaleureuse et d’intérêt cet étonnant équipage venu de si loin… Nous les attendons en tout cas en France, et l’École Psychanalytique de Strasbourg ne sera pas en reste pour les accueillir à son tour.
Jean-Yves Feberey
Nice, le 18 juin 2011
PS On me pardonnera la facilité qui consisterait à évoquer, à propos de cet écrit, un « Appel de Příbor », mais retenons-en cependant l’idée pour le futur…
* http://psycause.pagesperso-orange.fr/
** http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C5%99%C3%ADbor
http://www.pribor.cz/www/cz/kalendar-akci/?yearID=2012&monthID=7