Utilisation psychiatrique du rituel de réconciliation du “sin tun tun” au Bénin
Le Dr Anselme Djidonou est un psychiatre du service de psychiatrie du CHUD/B de Parakou et enseigne à la faculté de médecine de l’université de Parakou en tant que Maître Assistant (LAFMA) du CAMES. Il vient d’adresser à la revue Psy Cause pour publication, un article intitulé : “Préparation de sortie du malade du service de psychiatrie selon le rituel de réconciliation du sin tun tun“, article dont il est l’auteur principal. Le Dr Anselme Djidonou est membre de cette université de Parakou, située au centre du Bénin, qui s’était fortement investie en 2008 dans l’organisation d’un congrès avec Psy Cause qui fut à l’origine de la vocation africaine de notre revue/association.
Il nous informe que, dans l’ère culturelle Aja Fon au Bénin, le rituel traditionnel de réconciliation du “Sin Tun Tun” est entre autre, exécuté pour traiter les transactions discordantes entre les individus au sein de la communauté, et que « son recours populaire pour réconcilier les personnes en conflit a inspiré son adaptation à la préparation de sortie du malade à la fin de sa cure dans le service de psychiatrie du Centre Hospitalier Universitaire Départemental du Borgou (CHUD/B) à Parakou au Bénin et au Centre National Hospitalier Universitaire de Psychiatrie (CNHUP) Cotonou, Bénin. »
La force du rituel traditionnel de réconciliation du “Sin Tun Tun”, nous dit-il, réside dans l’expansion de la célébrité de son mythe fondateur. Ce mythe met en scène, à Adjarra, une divinité de sexe masculin appelée ” Houngbo” qui ne s’entendait pas avec l’un de ses fils nommé “Zodrè”, très friand des noix de palme. « Un jour, avant sa sortie de la maison, Houngbo confia à son épouse des noix de palme pour le repas. À peine avait-il tourné le dos que Zodrè croqua toutes les noix de palme. A son retour, le père se mit en colère et chassa son fils de la maison à coups de bâton. Zodrè ramassa ses quelques biens et quitta la maison paternelle avec une intense agressivité rentrée contre son père. Il se dirigea vers les terres plus fertiles. À mi-chemin entre Adjarra et Avrankou, Zodrè rencontra une séduisante divinité de sexe féminin appelée Zèkpon. Puis ils se parlèrent en ces termes ;
Zèkpon ; – Pourquoi es-tu si triste et où vas-tu de ce pas?
Zodrè ; – Je m’éloigne le plus possible de la violence de mon père.
Zèkpon ; – Que s’est-il passé ?
Zodrè raconta sa mésaventure avec son père. Bien qu’affectée par le récit, Zèkpon le supplia de retourner faire la paix avec son père. Comme elle ne parvenait pas à lui faire changer de position, elle suscita et accompagna la demande de main de Zodrè. Ils convolèrent aux noces, s’installèrent en couple et délimitèrent leurs deux espaces privés. Zèkpon incarna une source d’eau qui devient ainsi son éponyme. » Le Dr Anselme Djidonou poursuit dans son article à lire dans le prochain numéro de la revue Psy Cause, le récit détaillé du mythe. Il nous raconte que du couple, naquirent des divinités secondaires en lien avec les précipitations du ciel et l’agriculture. Mais l’objectif de la réconciliation n’était pas perdu de vue par Zèkpon. Elle avait fait planter sur ses terres les plus riches, d’innombrables palmiers à huile.
« Sur insistances de Zèkpon, Zodrè invita ses sujets à couper les régimes de palme lorsqu’ils furent bien mûrs et en constituèrent plusieurs paniers remplis de noix de palme qu’ils portèrent au père Houngbo. Le présent était si important que l’emplacement proposé par le père pour entreposer les noix était dépassé. Houngbo comblé et tout joyeux, offrit à son fils Zodrè, à son épouse ainsi qu’à sa suite un accueil des grands jours. Zodrè prit congé de son père tout heureux et content également. À son retour dans son habitat, il éleva son épouse, à un haut rang de divinité avec toutes les distinctions en reconnaissance de ses mérites, de ses qualités de paix et du soutien qu’elle lui a apporté dans sa réconciliation avec son père. Il consacra la source d’eau Zèkpon à l’apaisement de toute situation conflictuelle et prescrivit les temps forts du rituel de réconciliation du “Sin Tun Tun” qui lui était associé. »
Le Dr Anselme Djidonou précise comment l’efficacité symbolique de ce rituel qu’il décrit de façon détaillée, est mise en scène et utilisée dans un but thérapeutique au bénéfice de patients hospitalisés dans une institution psychiatrique. La finalité est de réconcilier le patient avec son entourage en vue de la fin de l’hospitalisation. « Le patient convient avec l’équipe soignante des personnes pouvant participer à la séance. Les personnes ne s’entendant pas habituellement avec le patient y sont vivement attendues. Une invitation à la rencontre est adressée à chaque participant. Le jour de la rencontre, le patient apprête lui-même le lieu de travail. Il y dispose des chaises en nombre suffisant pour ses convives. Avec le soutien des thérapeutes, le patient accueille les participants à la séance de sa préparation de sortie et fait asseoir chacun sur une chaise dans le lieu de travail. L’animateur principal présente les règles de la rencontre (…) Le travail du groupe démarre par une exploration de l’atome social du groupe. Il permet de confronter la configuration des places occupées au cours de la rencontre avec celle dans le réseau des interactions intersubjectives dans le groupe. C’est un moment de concentration du groupe sur la problématique des places. Si la place attribuée à un participant ne lui convenait pas, celui-ci s’en explique avant de solliciter éventuellement un changement de place auquel le groupe consentirait. L’animateur principal invite la famille et le patient à donner chacun son point de vue sur leur perception de l’aventure pathologique du patient avant de procéder à l’évaluation de l’hospitalisation. Au cours de cette section, les animateurs aident le groupe au repérage des composantes du conflit et des différentes formes qu’il épouse selon les transactions discordantes présentées par le groupe lui-même. Les participants prennent la parole tour à tour pour présenter leur point de vue. Les animateurs orientent le groupe sur la piste du repérage des déterminants des malaises du patient en lien avec des personnes proches présentes ou absentes à la rencontre. Les moments saillants de l’histoire de vie du patient avec la famille sont parcourus. Leurs ponctuations permettent de rassembler les points de vue autour des axes majeurs déterminant les positions conflictuelles au sein du groupe. Les inductions de l’écosystème proposent à chacun un éclairage nouveau à propos du sens à donner aux violences intersubjectives informulées. »
« En référence à l’intervention bénéfique de Zèkpon dans la réconciliation, de l’eau potable est toujours disponible pendant la session. Boire une gorgée d’eau est accordé pendant la séance quand parler devient pénible ou quand la voix du participant qui intervient s’essouffle durant sa présentation d’un événement pénible. Le participant en question est soutenu à en faire la demande. En fonction du degré de correspondance culturel et de l’intensité du conflit exprimé, l’exécution du rituel de réconciliation du “Sin Tun Tun” constitue souvent un embrayeur dynamique du progrès thérapeutique. Le groupe donne aux protagonistes du conflit une opportunité solennelle de se parler pour s’accorder. Dans la perspective de la clôture de la rencontre, quatre questions se rapportant à la sortie de crise sont brièvement présentées au groupe quant à la meilleure situation envisageable pour le malade et le groupe familial/aidants ; quand sortir ?, par où transiter?, où aller ? à quoi s’occuper ? et comment convenir avec le malade de la contribution de chacun au progrès des relations dans la famille. » Un travail s’effectue autour de ces questions et « la rencontre se termine sur une proclamation solennelle d’une résolution par chaque participant à la séance. »
L’auteur observe qu’une guérison dépend de la répétition exacte de certains gestes reçus en héritage et dont on peut constater encore aujourd’hui les effets thérapeutiques. « Il en est de même du rituel de réconciliation du Sin tun tun. Ce qui rend solide la réconciliation dans le rituel du Sin tun tun est la force de son mythe fondateur Zèkpon à conférer une sacralité à cette forme de résolution des conflits. Presque tout natif Aja-Fɔn a entendu parler du mythe Zèkpon. Qu’on reconnaisse ou non la réalité de ses services, on est bien obligé de constater que le phénomène Zèkpon compte dans la vie quotidienne de bien des gens souffrant d’anxiété et en quête de guérison. Le Sin Tun Tun qui lui est attaché est un rituel millénaire de résolution traditionnelle des conflits au Bénin. »
Le Dr Anselme Djidonou a décrit dans son article les éléments sacrés du rituel traditionnel (litanies des panégyriques des antagonistes, invocation de la miséricorde de l’Être Suprême, conciliation des esprits tutélaires, circulation de l’eau sacrée, consultation des oracles) et raconte ainsi : « Dans une ambiance solennelle de ferveur et de dévotion, l’officiant invite les antagonistes à confesser tour à tour leurs griefs, l’un envers l’autre d’abord, et ensuite se pardonner réciproquement. Puis l’officiant, tout en scandant des paroles de bénédiction et de paix, prélève sans avaler une petite quantité de l’eau “Sin” consacrée à cet effet. Les lèvres fermées, il pulvérise l’eau en petits jets, soit sur l’enfant malade, soit dans les paumes des mains d’éventuels antagonistes en conflit et qui s’en mouillent la tête. Cela donne l’onomatopée “Tun Tun”. Le temps fort du rituel du “Sin Tun Tun” est ainsi exécuté. »
L’auteur écrit dans sa conclusion : « En épousant la forme du rituel traditionnel de réconciliation du Sin Tun-Tun, la préparation de sortie de crise du Patient et de sa Famille permet d’élaborer au sein du dispositif thérapeutique une mythopoïèse capable de libérer de la trop grande emprise de l’angoisse et activer la résilience du patient à mieux rebondir après l’épreuve. Le recours à la dramatisation du Sin Tun-Tun renforce le sentiment d’intégration de chacun à un même destin collectif. Il s’observe après la séance une stabilité plus durable mettant soignant et soigné à l’abri des confrontations douloureuses avec les rechutes fréquentes. »
En février 2014 à Ouagadougou, lors du premier congrès de la SASM (Société Africaine de Santé Mentale), le Pr Momar Gueye me confiait son inquiétude quant à la transmission de pratiques soignantes qui ont fait le prestige de l’école de Dakar, telle que « l’arbre à palabre », en raison d’une nouvelle pensée dominante. L’originalité de ce travail, cautionné par de grands noms de la psychiatrie béninoise, démontre que cette transmission est assurée. De plus, dans un courriel en date du 21 février 2015 , le Dr Anselme Djidonou nous a confié : « J’envisage de réaliser à la suite une étude transversale avec une analyse statistique dans un second temps », c’est à dire de valider l’efficacité de cette approche thérapeutique selon les critères de la communauté scientifique universitaire. Autant dire que cet article se situe au cœur de la ligne éditoriale de la revue Psy Cause.
Jean Paul Bossuat
félicitation docteur, c’est un bel article