Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Une rencontre en pédopsychiatrie dans l’île de Mayotte (1° décembre 2015)

01-CMPLe Dr Jean Paul Bossuat m’avait sensibilisé, il y a deux années, à ce tout nouveau département français situé dans l’Océan Indien en plein milieu du canal du Mozambique, au large de la côte orientale de Madagascar dans l’archipel des Comores. En voyage privé, il n’avait pas manqué de parler, à Mayotte, de Psy Cause aux collègues et de laisser quelques exemplaires de la revue. À présent, cela a été à mon tour de présenter notre association/revue, en marge d’une mission professionnelle d’un mois, indépendante de Psy Cause : mission en lien avec la mise en place du service de pédopsychiatrie de l’île.

 

Une psychologue du service de psychiatrie de l’adulte, Mme Nazlli Joma, et un psychologue du service de pédopsychiatrie, Mr Victor Harmant, acceptent d’être correspondants de Psy Cause. Ils deviennent donc nos contacts pour Psy Cause International et nous pouvons les intégrer dans l’équipe rédactionnelle de notre revue, au titre de Mayotte. Mr Victor Harmant propose, à ce titre, la publication sur le site de Psy Cause d’une réunion qui s’est déroulée le 1° décembre dernier au CMP de Mamoudzou dans le cadre de l’actualité du service de pédopsychiatrie et de ses partenariats, dont Psy Cause est heureux de témoigner.

 

Thierry Lavergne

 

L’article de Mr Victor Harmant :

 

Rencontre pédopsychiatrie de Mayotte / ADOMTOM du premier décembre 2015

 

02-ReunionDans le cadre du partenariat entre l’association ADOMTOM, fondée par le Pr Marcel RUFO, et l’équipe de pédopsychiatrie de l’hôpital de Mayotte, un échange théorico-clinique a eu lieu le 1er décembre 2015 dans les locaux du CMP de Mamoudzou. L’équipe d’ADOTOM est représentée, pour ce séjour, par Guillaume BRONSARD, pédopsychiatre et responsable de la Maison des Adolescents de Marseille, Saïd IBRAHIM, pédopsychiatre au pôle de médiation ethnoclinique à la Sauvegarde 13, Marseille, Nathalie BRUNEAU, psychologue à la Maison des Adolescent de Marseille et Isabelle TEPPER, directrice d’ADOMTOM.

 

Le chef du service de psychiatrie, le Docteur Jean-Louis REAL, passe la parole au Dr Guillaume BRONSARD qui reprend les origines de la pédopsychiatrie en France. La pédopsychiatrie serait l’évolution de deux domaines ayant trait aux enfants « difficiles » : d’une part la « défectologie », qui avait pour sujet d’étude l’arriération mentale qui a débouché dans les années 30 sur la notion de « handicap », et d’autre part le domaine du social et du judiciaire s’occupant de la délinquance juvénile, ce qui deviendra plus tard les « troubles sévères du comportement ». Actuellement la pédopsychiatrie doit être nécessairement articulée aux volets médico-social/éducatif et au socio-juridique. L’idée d’un secteur unifié rassemblant ces trois services semble même pertinente.

 

C’est lors de passages à l’acte de l’adolescent que les conflits interinstitutionnels ressortent de manière probante. L’idée serait de pouvoir anticiper la gestion de la crise en amont par des solutions partagées.

 

Notre société a vu un abaissement radical de son seuil de tolérance à la violence, et par conséquent une modification des notions de « délinquant » et de « malade psychiatrique » (cf la « psychiatrisation » de certains comportements via le DSM) et donc une augmentation du volume des missions de la pédopsychiatrie.

 

Guillaume BRONSARD insiste sur la nécessité de se mettre d’accord avec les partenaires sur la manière de penser l’adolescent. Il conviendrait d’élaborer des « sas de compréhension » entre les services, les professionnels qui ont des angles de vue, des approches parfois très différentes. Par exemple la collaboration entre un psychanalyste et un avocat peut s’avérer délicate, d’où la nécessité de préparer en amont une vision partagée qui servira au moment des crises. Il ne suffit pas de décréter la collaboration pour qu’elle se fasse. Trop souvent la collaboration se limite à se passer le relai lorsque les limites du mandat du professionnel ou les ressources individuelles sont dépassées.

 

03-RéalLa parole passe ensuite à la Dr Alexandra LABERIBE, pédopsychiatre à Mayotte, qui présente le service. C’est un jeune service qui fonctionne sur le modèle d’un CMP en métropole avec une clientèle de jeunes enfants et d’enfants en latence plus que d’adolescents. Le Dr Thierry LAVERGNE, venu prêter main forte à l’équipe de pédopsychiatrie de Mayotte pendant quelques semaines, relève une particularité non négligeable : le travail des traducteurs. Ce sont de vrais médiateur culturels, des vrais « passeurs » de monde et par conséquent de vrais co-thérapeutes. Saïd IBRAHIM évoque alors la notion de « témoin », ce tiers qui fait lien, qui témoigne d’une logique, d’une cohérence et aide à l’émergence du sens dans un contexte transculturel.

 

Dans le service de pédopsychiatrie, les thérapies sont donc « bifocales » et Saïd IBRAHIM évoque la possibilité de parfois adapter le dispositif : partir du général pour aller vers le particulier (par exemple questionner le témoin et la famille sur « comment se déroule une grossesse en général chez vous ? »). Il insiste également sur la force de la « parole indirecte » dans ces contextes. Il s’agit de s’adresser à un autre en face du patient. Ceci en adoptant une posture de modestie, loin du « supposé savoir », afin de tenter d’éviter la soumission passive au prestige du médecin par exemple. Attention toutefois à l’écueil inverse, à savoir la fascination exotique au fort pouvoir séducteur…

 

Saïd IBRAHIM insiste sur l’importance d’introduire dans l’espace de la consultation des adolescents la notion de « garant ». Cela peut être représenté par un objet de protection collective, individuel, gri-gri, tissu, pratique rituelles ou cultuelle, tradition, qui exerce le rôle d’ « enveloppe protectrice » et permet à l’adolescent d’être « relié ».

 

L’importance de l’ « accueil » est soulignée, dans son importance symbolique, comme une forme d’hospitalité qui reçoit, qui permet, mais également en des termes plus pratiques concernant les évolutions actuelles de l’organisation du service à Mayotte : concernant l’accueil des demandes, un professionnel formé et dédié à cette tâche, pourrait effectuer une première « écoute naïve », téléphonique ou physique, dans un espace dédié. Ceci permettrait un tri en amont et faire face à la demande massive.

 

Pour clôturer, Guillaume BRONSARD revient sur l’importance du positionnement de la pédopsychiatrie comme acteur central et « coordonnant ».  Pour ce faire, ses missions doivent se décliner selon 3 axes :

– L’enseignement et la recherche (rôle de formation des partenaires, de recoupement des données…)

– La mise en place d’un espace de coordination des dossiers (« sas de compréhension réciproque », synthèses élargies…)

– La disponibilité de lits de crise en cas d’extrême urgence, ayant valeur de solution de dernier recours pour les partenaires.

Afin de rendre plus efficace les partenariats, la solution de professionnels « partagés », « détachés » est à envisager. Des conventions de fonctionnement peuvent être mises en place, par exemple entre la MDA et la pédopsychiatrie, où un professionnel de la pédopsychiatrie se détache quelques heures par semaine. A Mayotte, un des projets actuels est de regrouper les temps partiels de pédopsychiatre prévus sur les différentes structures (ITEP, CAMSP etc.) afin d’en faire un poste hospitalier détaché sur ces services. Ces systèmes partenariaux doivent être clairement établis et dirigés par un « chef », en l’occurrence la pédopsychiatrie par sa position coordonnante et centrale.

 

Victor HARMANT

Psychologue clinicien

Centre Médico Psychologique Asmine – Pédopsychiatrie

Centre Hospitalier de Mayotte

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