Repérage au Cambodge : carnet N°1
La revue Psy Cause a le projet d’organiser fin novembre / début décembre 2012 un congrès à Siem Reap (Angkor) au Cambodge, sur le thème de l’influence du bouddhisme en psychiatrie et dans les psychothérapies. En tant que directeur de la revue, j’effectue un repérage sur place et j’ai pensé que cela pourrait intéresser ceux que Psy Cause concerne, d’en lire sur le blog le déroulement.
Atterrissage le 19 octobre à l’aéroport de Siem Reap après un vol de 10000 Km qui s’est achevé sur un pays inondé en raison d’une mousson tardive et copieuse. Après trois jours d’attente que l’eau se retire des rues, il est possible de découvrir l’environnement humain et culturel : visite de l’extraordinaire site d’Angkor et une excursion à la montagne des lychees. Cette excursion m’a vraiment séduit : après quelques dizaines de kilomètres en « tuk tuk » dans la campagne et une escalade dans la jungle en s’accrochant aux lianes, le visiteur atteint la « rivière aux mille lingas ». Son eau peu profonde coule sur un lit de phallus, s’élance dans une cascade au pied de laquelle il est possible de se baigner et continue son cours rapide pour ensuite alimenter en eau sacrée les centaines de temples d’Angkor. Notre jeune guide francophone, fils d’un professeur de philosophie et titulaire du prix d’amitié khméro-français des meilleurs guides francophones du Cambodge décerné le 12 novembre 2010, Mr Nop Rethypo, s’est avéré un excellent professeur sur l’hindouisme et le bouddhisme.
Les deux premiers contacts professionnels n’ont pas été des psychiatres parce qu’à Siem Reap, il n’y en a pas. Il faut dire que les Khmers rouges ont fait beaucoup de dégâts : le massacre d’un tiers de la population, la destruction des intellectuels et des élites… et de la langue française qui, avant eux, était la seconde langue du pays. Le Cambodge est à présent un pays anglophone dont la monnaie est le dollar américain. Les rues de Siem Reap sont emplies de vélos, vélos moteurs, tuk tuk (pousses pousses tractés par une mobylette) et somptueux 4X4 des privilégiés. L’ambiance est agréable de par une population souriante, courtoise, plutôt gaie. Nous sommes bien en Asie, dans un pays marqué par le sourire énigmatique de Bouddha.
Je suis donc parti à la recherche d’un médecin francophone. Le Centre Culturel Français de Siem Reap qui, faute de budget, a du interrompre ses activités culturelles pour se replier sur des cours privés bien plus onéreux que les cours d’anglais largement accessibles dans la ville, m’a orienté vers le Dr Joost Hoekstra du Centre médical international Naga, un lieu de consultation où exerce un médecin hollandais qui, lui, parle français. Il explique qu’il n’y a pas, à sa connaissance, de psychiatre dans la ville et qu’il faut aller les rencontrer dans la capitale à Phnom Penh : ils sont francophones car formés à la faculté de médecine de l’université royale, qui fonctionne avec le soutien de la coopération française. Il existe un petit service de psychiatrie là-bas. Il faudra donc aller dans la capitale pour les rencontrer.
La seconde rencontre est celle d’Anne Guillou, anthropologue française de passage à Siem Reap. Sa spécialité est l’anthropologie médicale. Elle a écrit un livre sur la médecine au Cambodge et s’intéresse aux traces laissées par le régime des Khmers rouges au niveau des villageois et maîtrise parfaitement la langue khmère. Son terrain de recherche est un village près de Pursat, au centre du Cambodge, à proximité d’un charnier des Khmers rouges. Son programme porte sur une approche située entre les cultes locaux et les religions universalistes. Elle étudie les rites et leur fonction d’évacuation du traumatisme. Elle est partante pour entrer dans le comité d’organisation du congrès et s’inscrit pour communiquer sur les rituels funéraires, y compris en l’absence des corps, et leur contribution au soulagement des souffrances post génocide. À Pursat, ces rituels sont pratiqués en bordure du charnier.
J’achève ce premier carnet alors que le pays est en fête à l’occasion des trois jours fériés pour l’anniversaire du vieux roi Sihanouk qui a abdiqué en 2004 en faveur de son fils, le nouveau roi Sihamoni. La réalité du pouvoir est toujours fermement tenue par le vieux Hun Sen qui en décembre 1978 refermait avec l’armée vietnamienne le chapitre tragique des Khmers rouges. Trente trois années se sont écoulées depuis le grand carnage et un « peuple nouveau » a émergé, jeune, dynamique tourné vers la tradition des ancêtres avec la multiplication des pagodes et des moines, et, globalement pauvre, tourné vers un futur économique aux couleurs de la bannière étoilée.
Jean Paul Bossuat à Siem Reap le 30 octobre 2011