Psy Cause et les associations d’usagers
Les associations d’usagers n’ont cessé d’être présentes avec les développements de la psychiatrie sociale. En France, l’UNAFAM a été pionnière dans les années 1970, contemporaine du lancement des secteurs. Créée en 1963, reconnue d’utilité publique en 1968, cette association qui regroupe près de 10000 familles de malades mentaux, œuvre vers trois objectifs : l’aide aux familles, la formation, la défense des intérêts des usagers de la psychiatrie. L’entraide s’exerce par des échanges entre les familles.(1) À côté de l’UNAFAM, se constituait la FNAP-Psy qui rassemblait directement des patients et ex patients de la psychiatrie. En juillet 2002, se créait dans le Vaucluse la première association de patients « La vie en roses 84 », affiliée à la FNAP-Psy. C’est en 2003 à notre congrès de Martigues, que son président, Jean Claude Montrognon, avait été convié à la tribune pour s’exprimer en tant qu’usager dans un congrès scientifique, en compagnie du psychiatre Jean Rodriguez qui fut l’inspirateur, au Centre Hospitalier de Montfavet, de cette association et qui racontait(2) : « Je m’occupe du CMP/CATTP de Montfavet et de l’unité de réadaptation ambulatoire du secteur. Spécialiste de l’art-thérapie, j’ai mis en place un atelier théâtre sur l’année 2001/2002. Les choses marchent si bien avec les patients, qu’après un premier spectacle en juin 2002, tous décident de prolonger l’aventure de l’entraide mutuelle au-delà du théâtre et fondent la première association d’usagers de la psychiatrie du Vaucluse en juillet 2002, La vie en roses 84. Cette association se rattache aussitôt à la FNAP-Psy (Fédération Nationale des Patients de la Psychiatrie) partenaire du ministère de la Santé. En un an d’existence, malgré les réticences qu’une telle initiative soulève, cette association est devenue la plus importante de la région PACA. » Comme les deux conférenciers le précisent, un moteur de la mise en place de leur association est la toute nouvelle législation sur les clubs thérapeutiques institués par les usagers. Cette loi va être en France un puissant levier de développement de ce type d’association au début des années 2000.
Quelques années plus tard, lors de notre comité de rédaction du 27 févier 2009, Jean Jacques Lottin, rédacteur de Psy Cause, nous signale que son article polémique publié en mars 2008 contre l’Evidence Based Medecine (EBM) à laquelle il oppose une Patient Based Psychiatry qui réhabiliterait une clinique du sujet(3), a rencontré beaucoup d’échos en Angleterre où il a même été traduit en Anglais par l’université de Bristol. Le texte sert alors d’appui à un site internet (« Bristol Mind ») qui voudrait mener une résistance contre le rouleau compresseur de l’EBM en Angleterre. Les acteurs actifs de ce site, nous dit Jean Jacques Lottin, sont membres d’une « association de rescapés et d’usagers de la psychiatrie ». Il existe dans la faculté de médecine de Bristol, un enseignement en psychiatrie fait par des usagers, c’est à dire des patients et anciens patients.
Fin 2009, Psy Cause publie un article d’Anne Laure Donskoy, usagère engagée dans un cursus universitaire à Bristol (thèse de troisième cycle) intitulé « Il est terrible le silence du fou… ».(4) Elle y affirme : « Je crois passionnément à l’utilisation de données constituées par l’expérience et le vécu de la maladie, et produites par la recherche usagère, comme outil puissant de construction d’une connaissance nouvelle, défiant les préjugés culturels et corporatistes en santé mentale et servant de levier auprès des pouvoirs décideurs (…) Je suis aussi beaucoup impliquée dans la participation usagère au niveau européen où la construction du discours se poursuit et où nous travaillons aussi afin que les droits des usagers, qui sont aussi des citoyens, soient respectés. » Elle s’y définit comme usager-chercheur militante en sciences humaines. Elle coordonne un réseau anglais de recherche usagère, est membre de l’European Network of (ex)Users and Survivors in Psychiatry (ENUSP) et est expert auprès de la Commission Européenne.
Dans son article, elle dénonce l’absence de parole donnée aux usagers : « ce qui s’est passé le 7 février 2009 lors du meeting dit de « l’appel des 39 », organisé près de Paris, et qui a déclenché ma très vive colère (en dehors des déclarations du gouvernement), est une parfaite illustration de l’exclusion à la parole. Ce meeting, rassemblant un grand nombre de personnalités importantes du monde soignant, pensant et syndicaliste avait pour but de « débattre en toute liberté de la santé mentale dans notre pays ». Sur environ 1500 participants, une dizaine d’usagers dans la salle mais aucun invité à la tribune, sous quelque forme que ce soit. L’UNAFAM ou l’association Croix-Marine, venues parler de la place des usagers, n’ont jamais été des associations d’usagers et ne le seront jamais. Et pourtant, au bout de ce meeting, un « Manifeste » écrit « ailleurs » et contenant des propositions qui pourraient potentiellement avoir un impact important (et pas forcément dans le bon sens) sur la façon dont la psychiatrie et les droits des usagers pourraient être délivrés demain, fut adoptée sans que des/les usagers eussent pris part aux discussions ou à la rédaction de ce document. »
Lors du comité de rédaction du 26 février 2010, Jean Jacques Lottin nous informe qu’il participera à la treizième conférence internationale de l’International Network for Philosophy and Psychiatry (INPP) qui se déroulera du 28 au 30 juin 2010 à Manchester (Grande Bretagne), à l’invitation d’Anne Laure Donskoy. Le thème de ce colloque est : « Real people : the self in mental health and social care ». Jean Jacques Lottin est officiellement accrédité pour y représenter notre revue. Cette manifestation est organisée par l’Internatinal School For Communities, Rights and Inclusion (ISCRI), l’University of Central Lancashire (UCLan) et l’European Network of (ex) Users ans Survivors of Psychiatry (ENUSP), mouvement européen d’usagers dans lequel les Français sont quasiment absents. Il est donc particulièrement pertinent que notre revue Psy Cause s’intéresse à un mouvement européen des usagers qui s’engage dans une démarche universitaire. Le 7 mai 2010, nous posons le principe d’accueillir Anne Laure Donskoy dans notre équipe lorsqu’elle le souhaitrera.
Malheureusement, le “management” de Manchester, profondément ancré dans une vision anglosaxonne devenue “naturelle”, s’est opposé au président du congrès et a opposé des conditions inacceptables à la participation de Jean Jacques Lottin qui a préféré se retirer aux grands regrets d’Anne Laure Donskoy.
Le 24 juin 2011, Anne Laure Donskoy franchit le pas de rejoindre le Comité de Rédaction Francophone de Psy Cause.
Jean Paul Bossuat
(1) Claude Silvano, « Le positionnement des familles et des usagers sur les mutations du cadre juridique de la sectorisation et sur le projet de loi sur la protection des majeurs », Psy Cause N°31/32 (Actes du colloque droit et psychiatrie, GRAPH-Psy, 28 et 29 novembre 2002).
(2) Jean Rodriguez et Jean Claude Montrognon, « Des associations d’usagers en psychiatrie et de leurs liens avec la politique des clubs thérapeutiques », Psy Cause N°35/36.
(3) Jean Jacques Lottin, « Pour en finir avec « les invasions barbares » infantilisantes de l’Evidence Based Medecine (…) », Psy Cause N°47, pages 40 à 49.
(4) Anne Laure Donskoy, « Il est terrible le silence du fou », Psy Cause N°56, pages 14 à 19.