Psy Cause et les Amériques
À l’automne 2013, la revue Psy Cause tiendra son congrès francophone sur les deux rives de l’Outaouais qui sépare Ottawa en Ontario de Hull au Québec, l’hôpital Montfort au sud (où exerce notre rédacteur le Professeur Raymond Tempier) de l’hôpital Pierre Janet au nord (où exerce notre autre rédacteur canadien le Dr Bertrand Tiret). L’hôpital Montfort est un hôpital surtout francophone situé à l’est d’Ottawa, fondé il y a un siècle et qui devait fermer dans les années 90. C’est la mobilisation de la population francophone d’Ottawa et de l’Est Ontarien qui, avec un procès gagné, l’a maintenu ouvert. Depuis, ccet hôpital se développe à la vitesse V, devenant un hôpital d’enseignement universitaire. L’hôpital psychiatrique Pierre Janet, sur l’autre rive juste en face du Parlement d’Ottawa, a la particularité d’être dans une province francophone, le Québec animé par un mouvement séparatiste, mais, à Hull, avec une population très cosmopolite et une forte minorité anglophone. Sur les deux rives du fleuve, la francophonie ne peut se concevoir qu’à l’échelon d’un vaste pays, le Canada. Le thème proposé par nos deux collègues, porterait sur les minorités culturelles, dont la minorité francophone au Canada.
C’est par un article paru dans le N°13 de la revue Psy Cause en 1998 intitulé « Traitement de la pédophilie au Canada », que nos liens avec le Canada ont commencé. Ce texte avait été écrit en France par Anne Carson Tempier, psychologue exerçant temporairement dans les environs du siège social avignonnais de notre jeune revue alors régionale. Avec son mari, le Pr Raymond Tempier, elle regagnait ensuite rapidement Montréal. Précisons qu’Anne Carson Tempier est canadienne d’origine anglaise tandis que son époux est un psychiatre canadien d’origine française et diplômé de la faculté de Marseille. En août 2001, un voyage d’étude au Québec m’a permis de visiter diverses structures psychiatriques et de rencontrer, entre autres, à Montréal le Pr Raymond Tempier, et à Hull le Dr Bertrand Tiret qui allaient devenir les deux référents de Psy Cause au Canada. En 2004 le Pr Raymond Tempier dans un article intitulé « La qualité de vie a-t-elle une place dans les neurosciences ? » (Psy Cause N°37) lance depuis Montréal le débat sur l’approche psychiatrique biologique : quel impact mesurable des psychotropes sur la qualité de vie du patient ? La méthode scientifique des neurosciences, dit-il, a envahi le champ de la psychiatrie anglosaxonne, avec une priorisation de l’analyse statistique. En 2006 (Psy Cause N°44/45), le Pr Raymond Tempier publie avec le Dr Sylvain Laniel une étude sur la clientèle de deux hôpitaux de jour dans un complexe universitaire de Montréal, appelés l’un « Programme de Transition de Jour » et l’autre « Centre de Jour de Réadaptation » avec dans le premier plutôt des pathologies affectives et dans le second plutôt des troubles schizophréniques. L’étude conclut à la complémentarité des deux hôpitaux de jour. Chose remarquable : dans les deux structures de soins situées dans la grande métropole du Québec francophone, environ 4 patients sur 5 sont anglophones (une autre déclinaison possible du thème des minorités culturelles dans notre congrès de 2013).
En février 2008, c’est le Dr Bertrand Tiret qui intervient dans le congrès de Parakou co-organisé par notre revue et l’université de cette ville du Bénin, et qui a pour thème « Pratiques psychiatriques, références, classifications : la place de l’Afrique ». Sa communication « Et si le DSM (vous) était conté », ouvre le colloque. Il retrace l’historique du DSM qui, à l’origine au lendemain ce la seconde guerre mondiale, était basé sur le modèle psychanalytique. Mais dès 1974 avec le DSM III, on passe à un cadre « athéorique » sans étiologies de référence pour faciliter une approche randomisée des essais thérapeutiques. Le DSM IV en 1994 propose avec l’approche axiale, de regrouper les symptômes en syndromes, tout en demeurant athéorique. L’avantage de cette approche est de proposer un langage commun, un souci d’objectivité et un outil pour l’épidémiologie et la santé publique. Par contre, il ne prend pas en compte le subjectif, la personne et « instille une réification du savoir ». Au Québec, la primauté du DSM est liée au Managerial-Care-System, au mode d’exercice des psychiatres et à diverses implications dans le dossier médical qui appartient au patient, dans le médico-légal, jusqu’aux allocations familiales et la fiscalité. Cette communication est publiée dans le N°53 de Psy Cause.
En fait s’ouvre un débat de fond au sein de l’équipe rédactionnelle, déjà relaté dans ce blog autour de l’EBM (Evidence Based Medecine) qui est à l’arrière plan des évolutions actuelles du DSM. Le Pr Raymond Tempier écrit son point de vue dans un texte publié en 2010 (Psy Cause N°57) : « La psychiatrie basée sur l’évidence : une histoire à prendre avec modération ». Il s’agit pour lui de replacer l’EBM à une place qui a son utilité sans oublier que la psychiatrie est avant tout un art.
La présence de Psy Cause en Amérique ne se résume pas à l’espace francophone nord-américain puisque, de longue date, la Dr Maria Eugenia Socolsky, suite à un stage au Centre Hospitalier de Montfavet en 1997/1998, nous représente à Buenos Aires en Argentine, d’abord comme correspondante et plus récemment comme rédactrice. Dès 1999, elle nous fait parvenir un texte traduit de l’Espagnol, écrit par la pédopsychiatre Ana Maria Mardones : « D’un délogement à une probable inscription » (Psy Cause N°17). Cet article est un travail qui avait été présenté dans le second congrès argentin de pratiques institutionnelles avec des enfants et des adolescents, le 28 novembre 1996. Il relate une prise en charge d’un enfant de 8 ans à l’hôpital infanto-juvénile « Dra Carolina Tobar Garcia » de Buenos Aires, avec des références psychanalytiques lacaniennes. Suivra en 2002, un second article de cet auteur intitulé : « Une dénomination qui fait symptôme » (Psy Cause N°28/29). Ce texte est au cœur des débats actuels au sein de notre comité de rédaction puisqu’il confronte une clinique psychiatrique basée sur des diagnostics « méconnaissant l’enveloppement formel des symptômes » et une clinique lacanienne du sujet. Il raconte comment un diagnostic posé peut faire office de symptôme. Un petit texte à relire (en ligne sur notre site). L’Argentine appartient au monde hispanophone mais elle est probablement le pays au monde qui a la plus forte concentration de psychanalystes lacaniens. À ce titre, la clinique française y est très présente. En 2004 (Psy Cause N°35/36), la Dr Ana Maria Mardones s’associe avec le psychologue Luis Moreyra, pour aborder la question du diagnostic dans les situations d’urgence (« Interventions dans l’urgence »). Les références bibliographiques (en Espagnol) de cet article se partagent à égalité entre Henri Ey et Jacques Lacan.
Nous avons donc deux Amériques et deux cultures psychiatriques différentes. Ces deux Amériques se sont rencontrées au congrès mondial de psychiatrie qui, en 2011, se déroulait à Buenos Aires. Le Pr Raymond Tempier est le représentant du Canada à la WPA (Association Mondiale de Psychiatrie) et a publié en novembre 2010 un article (en Anglais) sur Psy Cause dans WPA news (pour le lire, cliquer sur l’image jointe). Il est présent au congrès de Buenos Aires et note que « les francophones ont beaucoup de points communs avec les hispanophones ». Quoiqu’il en soit, la présence de Psy Cause aux Amériques n’en est qu’aux prémisses. Nous pourrions imaginer que nous rejoignent des psy d’Haïti, de Louisiane, d’autres pays d’Amérique latine etc… Ils peuvent m’écrire à jpbossuat@numericable.fr .
Jean Paul Bossuat