Psy Cause et l’Afrique méditerranéenne
L’Afrique méditerranéenne, c’est l’Afrique depuis à l’ouest, le Maroc, jusque, à l’est, l’Égypte. Ce qui unit géographiquement cette zone, c’est l’irrésistible chevauchée des conquérants arabes musulmans aux septième et huitième siècles. La culture mise en place depuis 1300 ans s’est imposée à la quasi totalité des populations et peut donner l’image d’un ensemble homogène arabo-musulman, partie du « monde arabe ». Cette vision a été renforcée par la « décolonisation » pour laquelle cette identité était (et est toujours) un recours. Mais à y regarder de près, ce n’est pas si simple. Il y a la composante berbère qui est certes musulmane à 99%, mais qui n’est pas arabe et se bat pour sa reconnaissance politique. En Tunisie, l’ile de Djerba a une forte minorité juive qui, ethniquement, est berbère. Lors de la conquête arabe, les berbères étaient majoritairement de religion juive. Cela avait été, pendant des siècles, une forme de résistance à l’assimilation romaine. La « Kahina » qui fédéra les Berbères contre l’invasion arabe dans une lutte héroïque, était de religion juive. Enfin, l’Égypte a été le fer de lance de l’invention de la religion chrétienne et compte aujourd’hui une minorité « copte » d’environ 10% de la population, dont la langue liturgique, le copte, n’est autre que l’égyptien pharaonique. Sans sa connaissance de la langue copte, Champollion n’aurait pas pu déchiffrer les hiéroglyphes. La minorité cultivée qui pratique la langue française, se trouve en Égypte principalement chez les Coptes. Il n’en demeure pas moins que ce qui unit culturellement l’Afrique méditerranéenne, c’est l’incontestable hégémonie de la religion musulmane et de ses référentiels arabes. La pratique psychiatrique y est partout en relation avec cette même réalité. Ajoutons que ces remarques préliminaires sont actuellement au centre de débats très médiatisés dans la Tunisie post-révolutionnaire.
L’Égypte a été le point de départ de la mutation de Psy Cause vers la francophonie. Le directeur de la revue achevait à l’époque des études d’égyptologie à l’université de Lyon II, motivées par une recherche sur le mythe d’Osiris qui devrait déboucher cette année sur la publication d’un livre intitulé « Le complexe d’Osiris » (co-écrit par moi-même et Marie José Pahin) . Ce type de démarche n’est pas une nouveauté chez les psy. Sigmund Freud lui-même reconnaissait qu’il avait chez lui plus d’ouvrages sur l’antiquité grecque et égyptienne que sur la psychologie. J’avais le projet d’organiser une découverte de l’Égypte articulant le passé antique et l’actualité de la psy dans ce pays. Je m’étais mis en rapport avec l’association franco-égyptienne de psychiatrie dont le seul représentant francophone exerçant la psychiatrie en Égypte était le Dr Nasser Loza, directeur de la célèbre clinique psychiatrique du Caire, le Behman Hospital. Sa rencontre au Caire débouche sur un voyage/séminaire intitulé « Colloque franco-égyptien sur le sommeil et le rêve » en octobre 2003 (publié dans le N°38 de Psy Cause). Les points forts sont une mémorable visite du site du phare d’Alexandrie avec Jean-Yves Empereur, la remise solennelle de tous les numéros parus de la revue Psy Cause à la Grande Bibliothèque d’Alexandrie (à lire sur le blog), la journée de colloque au Behman Hospital et la visite de l’hôpital psychiatrique d’Assouan. En fait, ce sont quatre années d’échanges continus avec l’Égypte qui démarrent. Au Caire, le Dr Nasser Loza, devenu correspondant de Psy Cause, soutient notre démarche en vue d’un congrès à Assouan. En février 2005, il sera chargé de la psychiatrie au ministère de la santé et, en 2009, il sera l’auteur d’une loi sur la santé psychique mettant l’accent sur les soins communautaires et révolutionnant les pratiques des grands asiles cairotes. Notre sentiment est que cette loi a été influencée par notre collaboration avec son ami directeur de l’hôpital psychiatrique d’Assouan, devenu lui aussi correspondant de Psy Cause, le Dr Habachi El Gammal.
En mars 2005, notre revue, en partenariat avec l’hôpital psychiatrique d’Assouan et le gouverneur de la Haute Égypte, organise un congrès de psychiatrie à Assouan (publié dans le N°40/41 de Psy Cause) qui témoigne de l’importance accordée dans l’hôpital psychiatrique de cette ville, aux soins à domicile et au travail avec les familles associées aux soins hospitaliers. En septembre 2005, le Dr Habachi El Gammal venait découvrir le Centre Hospitalier de Montfavet et en janvier 2007 deux infirmières et deux psychologues de l’hôpital psychiatrique avignonnais venaient à leur tour découvrir l’hôpital psychiatrique d’Assouan à l’invitation de l’Égypte (leur rapport est dans le N°47 de Psy Cause). L’un des effets de l’implication de notre revue avait été d’attirer l’attention des autorités de la capitale sur l’aspect pilote de l’établissement psychiatrique du sud de l’Égypte et de motiver le déblocage d’importants crédits pour sa rénovation. Gageons aussi que tout cela n’a pas été sans influence sur la loi de 2009. En octobre 2007, nous retournons une dernière fois à Assouan dans le cadre d’un voyage d’étude organisé par la revue sur le thème du deuil et de la perte d’objet. Nos liens avec l’Égypte sont aujourd’hui à réinventer dans un pays en plein bouleversement avec le « printemps arabe ». Il nous faut y retourner pour renouer des contacts.
Très tôt, l’Algérie a publié dans notre revue. Dans notre premier dossier thématique dans le N°20/21 de Psy Cause consacré à l’Afrique (avril à septembre 2000), Mohamed Tadlaoui annonce la création en avril 1999 de la première unité de psychologie clinique algérienne, au CHU de Tlemcen, unité dont il est le psychologue principal. Il existe en fait une convention par laquelle le Centre Hospitalier de Montfavet, siège de notre revue, apporte à cette unité une aide au niveau de la formation. Il va de soi que Psy Cause accompagne cette action. Il en sera de même avec le Maroc. Il est incontestable que c’est au départ la dynamique de notre établissement hôte qui a conduit nos pas vers le Maghreb. En 2003 (Psy Cause N°33), Mohamed Tadlaoui publie avec le Dr Reda Benosman, médecin chef du service de psychiatrie du CHU de Tlemcen, un article intitulé « Pratiques psychiatriques » sur les particularités de la psy en terre d’Islam. La notion de maladie mentale ne va pas de soi. Le premier recours est plutôt le marabout. En 2005 (N°39 de Psy Cause), un petit texte écrit par deux psychologues de Tlemcen (l’une de l’université, Djaouida Benosman, et l’autre du CHU, Myriam Tadlaoui) aborde à propos du trouble post traumatique, l’insuffisance du DSM IV pour rendre compte des troubles générés par la terrible guerre civile qui vient de faire 100000 morts en Algérie. Les auteurs notent 5 signes spécifiques au contexte : l’accentuation des troubles lors de l’Aïd el Adha (où l’on égorge le mouton), un doute sur les convictions religieuses alors que l’on cherche refuge dans la religion, une perte de confiance en ses proches, un refus de toute aide y compris des médecins, et, enfin, une peur démesurée des hommes qui portent une barbe (!). En décembre 2006 (N°46 de Psy Cause), Mohamed Tadlaoui entre dans le vif du sujet avec un article poignant (« Psychotrauma et pack ») qui décrit le calvaire psychologique du seul survivant parmi les travailleurs d’une usine qui avaient été égorgés dans la nuit du 5 août 1994. Achevé à la hache, il avait été miraculeusement sauvé par la chirurgie. Il s’est ensuite marié, a un nouveau travail, des enfants, jusqu’en 2004 où il est terrassé par un état de stress post-traumatique qui sera soigné avec succès par une pratique du pack apprise au Centre Hospitalier de Montfavet. Mohamed Tadlaoui nous confie à cette époque, que son unité de psychologie a été financée par des fonds d’état pour venir en aide aux victimes de la guerre civile. Dans un article à paraître dans notre revue vers la fin avril 2012 (N°60), Mohamed Tadlaoui, rédacteur de Psy Cause, brosse un historique de la pédopsychiatrie dans l’ouest algérien. La situation semble s’être apaisée.
Nos liens avec le Maroc sont directement en accompagnement de la politique de notre établissement hôte, le Centre Hospitalier de Montfavet. Son directeur, Gérard Mosnier, avait été chargé par le ministère des affaires étrangères, de piloter une action de formation auprès de plusieurs hôpitaux psychiatriques marocains. Il nous a demandé de diffuser la revue Psy Cause dans ces hôpitaux, ce que nous avons accepté bien volontiers. Mais ce n’est que fin 2008 qu’un psychiatre militaire, médecin chef de l’hôpital militaire Avicenne de Marrakech, rencontré en début d’année, le Dr Sadek El Idrissi, publie notre premier article marocain : « Les missions opérationnelles et les situations de catastrophe : implications du psychiatre militaire marocain » (Psy Cause N°52). Il va devenir notre rédacteur marocain. En septembre 2009, quatre psychiatres d’une équipe de recherche en santé mentale du CHU de Marrakech font paraître un travail sur « le perfectionnisme chez les étudiants universitaires à Marrakech » faisant appel aux classifications et à la méthode statistique (Psy Cause N°55). Nous venions à cette époque de lancer les préparatifs d’un congrès Psy Cause + Centre Hospitalier de Montfavet à Marrakech, pour juin 2010, dont le collège des psychiatres de Marrakech est un élément moteur. Ce colloque, très axé sur la dimension culturelle (lire « la nuit de la transe » sur le blog) fut résolument pluridisciplinaire avec la présence des deux associations de psychanalyse marocaines et du psychosociologue du fait religieux en culture d’Islam, Mohamed Habib Samarkand. À la tête du comité d’organisation du congrès, nous avons pour le Maroc, le Dr Rahoua El Hassan, directeur du Centre Hospitalier Ibn Nafis Amerchich de Marrakech (hôpital psychiatrique faisant partie depuis des années du programme d’échanges avec le Centre Hospitalier de Montfavet) ; pour Psy Cause, la psychologue originaire du Maroc Ikrame Brando ; pour le Centre Hospitalier de Montfavet, la psychologue Claudine Fuya. Tant de France que du Maroc, nous avons fait venir des intervenants prestigieux et la partie culturelle n’est pas en reste avec Nathalie Joly qui a chanté sur la correspondance de Freud, et le chorégraphe Abeslam Raji. À l’automne 2010 (Psy Cause N°58), Leila Cherqaoui, psychologue clinicienne au CHU de Casablanca, publie sa communication « Corps et possession dans la thérapie traditionnelle au Maroc ». Dans le même numéro 58, les quatre psychiatres de l’équipe de recherche en santé mentale du CHU de Marrakech publient leur second texte « La prévalence des addictions chez les patients bipolaires ». La publication des actes du congrès a du être différée en raison de la crise qui nous a frappé dès 2010 et principalement en 2011 comme bien d’autres revues de psychiatrie dont certaines ont purement et simplement disparu. Cette année, nous reprenons la sortie de nos numéros à un rythme plus satisfaisant et nous pouvons envisager de consacrer un numéro au Maroc dans un proche avenir.
Notre présence en Tunisie est le fruit d’une initiative exclusivement tunisienne. C’est dans notre numéro de l’automne 2007 (N°48/49) que la Dr Faten Ellouze, psychiatre universitaire à l’hôpital Razi de Tunis, publie avec quatre collègues son premier article « Validation de l’Edinburgh post natal scale : version tunisienne ». Elle nous a contacté directement pour sa proposition d’article. Elle nous adresse un texte en décembre 2007 (N°50) cosigné par huit collègues dont l’auteur principal est la Pr Madja Cheour, chef de service des consultations et des urgences de l’hôpital Razi : « Pulsion scopique et TOC : à propos d’un cas ». Cette fois ci, ce n’est plus un travail sur une échelle d’évaluation, mais une étude psychopathologique avec des référentiels psychanalytiques par laquelle les auteurs revisitent les frontières entre la jouissance névrotique et la perversion. Dans ce même N°50, la Pr Majda Cheour (auteur principal et la Dr Faten Ellouze publient avec deux autres auteurs un second texte « Enfants et conflits conjugaux – Résultats d’une enquête en population générale à Tunis » construit selon la méthode statistique utilisée en santé mentale. Dans notre N°51 (2008), La Dr Faten Ellouze et la Pr Majda Cheour complètent leur réflexion sur les problèmes conjugaux avec un article intitulé « Conflits conjugaux : quelles raisons ? », selon la même méthode d’enquête. Parallèlement dans ce même N°51, la Dr Faten Ellouze est l’auteur principal d’un article cosigné par le Pr Mohamed Fadel M’rad, trois résidentes et un psychologue, tous de l’hôpital Razi : « Le délire de filiation dans la psychose ». Après ces différents textes, la Dr Faten Ellouze devient notre correspondante tunisienne et plus récemment rédactrice de Psy Cause.
Au premier trimestre 2009, c’est une équipe de Sousse, du service de psychiatrie du Pr Ben Hadj Ali au CHU Farhat Hached, qui publie un article dont l’auteur principal est le psychologue Salem Mlika : « Les aspects pluriels de dépendance chez les patients : considérations théoriques et illustration clinique ». Il s’agit d’une étude psychopathologique avec des référentiels psychanalytiques. (Psy Cause N°53). Dans ce même numéro, la Dr Faten Ellouze publie de nouveau aves des membres de l’équipe du Pr M’rad, un texte sur « Bipolarité et tentatives de suicide ». Le N°54 du second semestre 2009 est le plus tunisien de nos numéros avec trois articles dont deux écrits par la Dr Faten Ellouze avec d’autres auteurs (l’un sur la névrose obsessionnelle et l’autre sur la schizophrénie), le troisième par la Dr Olfa Dakhlaoui avec deux autres auteurs de l’hôpital Razi de Tunis : « Mauvaise observance thérapeutique dans la schizophrénie : facteurs impliqués ». Ce dernier texte s’intègre dans les communications d’un congrès de psychiatrie universitaire organisé en avril 2009 à Sousse par le Pr Ben Hadj Ali auquel le directeur de la revue Psy Cause est invité (en lire le compte rendu dans ce N°54). Le thème de ce colloque « Facteurs de risque et facteurs de protection en psychiatrie » porte sur l’application de la méthodologie américaine utilisée en épidémiologie, nouvel outil de recherche pour mesurer des variables et faire évoluer la nosologie psychiatrique. Autrement dit, il s’agit de travailler sur des applications de l’EBM. Notre N°56 du dernier trimestre 2009 publie trois articles tunisiens. Le premier, des Drs Faten Ellouze et Majda Cheour (« Thèmes délirants et croyances culturelles »), les deux autres de la Dr Olfa Dakhlaoui dont l’un des cosignataires est le Pr Fakhreddine Haffani, chef de service à l’hôpital Razi et correspondant de Psy Cause de longue date (un texte sur la schizophrénie et les troubles sexuels, un autre sur les suicidants récidivistes dans le cadre d’une étude statistique en milieu hospitalier psychiatrique). En 2010 (N°58 de Psy Cause), la Dr Faten Ellouze présente un travail original sur la psychose nuptiale en lien avec la culture tunisienne. Un second texte rédigé à la même époque (« Périnatalité et vulnérabilité à la shizophrénie ») sera publié en 2011 dans notre N°59.
Le 14 janvier 2011, la révolution triomphe en Tunisie et donne le coup d’envoi du « printemps arabe » qui en quelques mois fait chuter les dictateurs en Égypte, en Libye et au Yémen. L’Afrique méditerranéenne en est profondément modifiée. Le 21 janvier 2011, le comité de rédaction de Psy Cause rédige une motion de soutien à la psy tunisienne et salue le courage du peuple tunisien (lire cette motion dans le blog). Le 5 juin 2011, le Pr Ben Hadj Ali associe notre revue à l’ALiCA (Association pour la Liberté et la Citoyenneté Active), à lire dans le blog. Dans le N°61 (à sortir en octobre 2012), nous publierons un texte que la Dr Faten Ellouze nous dit correspondre au contexte de la révolution, sur le burnout des enseignants tunisiens. En 2011, des membres du comité de rédaction ont souhaité l’organisation d’un séminaire en Tunisie qui n’a pu voir le jour, les psychiatres tunisiens étant fortement mobilisés par leur engagement politique et de ce fait trop peu disponibles. Nous demeurons attentifs à d’éventuelles suggestions de leur part.
Jean Paul Bossuat