Psy Cause dans l’Océan Indien. Carnet N°3
Ce troisième et dernier carnet évoque un autre personnage de l’histoire récente de Mayotte : le « Préfet » Younoussa Bamana. Sa mémoire a également été honorée suite à son décès en 2007 par un timbre des postes de la Collectivité départementale mahoraise (les émissions ont cessé en 2012 avec la mise en œuvre du nouveau statut de département). Nous allons évoquer son action à partir du livre de l’historien Jean Martin « Histoire de Mayotte, Département français » (Édition Les Indes savantes, 2010). La figure de proue du mouvement départementaliste de Mayotte fut Younoussa Bamana. « Ce fils de paysan de Kani-Bé, né le 1° avril 1935, avait été confié, à l’âge de 8 ans, à sa grand mère qui vivait à Pamandzi, puis quelques années plus tard, il avait eu la bonne fortune d’être pris en charge par une de ses tantes qui s’était établie à Madagascar. Écolier brillant, il fut admis au lycée Galliéni puis à l’École normale et revint dans son île pour être affecté comme instituteur au village de Sada. » Dans une île où les élites occidentalisées étaient fort peu représentées, il fut rapidement repéré par les leaders du mouvement mahorais dont il devint, « à bien des égards, la conscience ».
« Le 20 octobre 1966, la majeure partie des notables mahorais, réunis dans la mosquée de Sada, autour de Bamana et à son initiative, jurèrent sur le Coran de lutter à vie pour la départementalisation de l’île. Ce serment est resté connu sous le nom de pacte de Sada. »
En 1975, le gouvernement français prévoyait une indépendance des Comores avec une autonomie des 4 îles, au grand désespoir des Mahorais qui ne se faisaient guère d’illusion sur leur sort. Le président des Comores, le 6 juillet, sans concertation, déclara alors unilatéralement l’indépendance : une faute politique et un coup de chance pour les Mahorais. Le 11 juillet, le ministre Olivier Stirn fit le constat : « Mayotte est toujours sous la loi française ». Le chef de cabinet du délégué général, représentant de la France à Mayotte, sans mandat, demande à retourner en métropole. « Le 21 juillet, Younoussa Bamana fut élu « préfet à titre provisoire » par le conseil régional de Mayotte, mais il n’avait ni personnel ni services. Des bénévoles lui servirent de secrétaires. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la légalité des arrêtés que ce préfet élu, cas unique de l’histoire administrative française, pouvait être amené à signer. Bamana s’entoura de collaborateurs choisis parmi les notables ou les fonctionnaires locaux, et leur attribua des titres plus ou moins fantaisistes. Il désigna notamment un sous-préfet de la Petite Terre, qui prit ses quartiers à Dzaoudzi, dans un bâtiment qui avait servi d’entrepôt puis de mosquée chi’ite, et est devenu depuis l’hôtel du Rocher. » Le 1° août, les militants du parti qui refuse l’indépendance prennent d’assaut les bâtiments publics et chassent le préfet comorien. La garde comorienne s’embarque pour Moroni tandis que les Mahorais de cette garde forment la garde de Mayotte avant d’être intégrés plus tard dans la gendarmerie. Pendant ce temps le président comoriens est chassé du pouvoir par des révolutionnaires « socialistes autogestionnaires » qui, pour le malheur des Comoriens, établissent une dictature qui n’est pas sans rappeler celle, contemporaine, des Khmers rouges. Les Mahorais sont vraiment convaincus d’avoir fait le bon choix. Lorsqu’une année plus tard, le gouvernement français décide d’établir une administration, Younoussa Bamana devient président du conseil général et le restera jusqu’en 2002. Plus tard, en 1997, Anjouan fait sécession puis demande à redevenir française, ce que la France refuse : les plats de l’histoire ne repassent pas. Une chose est sûre, c’est que Mayotte est française parce que ses habitants se sont battus pour cela. Ce n’était pas la volonté de la France.
Depuis le précédent carnet, nous avons complété notre découverte de Mayotte avec la visite de Petite Terre. Là se trouvait le chef lieu du département, Dzaoudzi, jusqu’à ce que Mamoudzou lui ravisse cette position. Une chaussée appelée le Boulevard des crabes, relie cette petite ville au corps de Petite Terre. La principale curiosité à visiter est un lac de cratère avec de l’eau sulfureuse, le lac Dziani. Le cratère lui même forme la partie Nord-Est de la petite île et est en partie entouré par l’océan. Il est un spectacle très singulier mais la visite est très « physique » surtout par 40° sans ombre… N’oublions pas que Mayotte est un ancien volcan dont l’âge d’or remonte à huit millions d’années et totalement éteint depuis 10000 ans.
Aller de Grande Terre à Petite Terre et vice versa, est un incontournable de Mayotte : avec l’usage de « la barge ». Ce moyen de locomotion est passé dans le vocabulaire courant du département avec le verbe « barger ». Le point d’embarquement à Mamoudzou est très authentique avec les étals des marchands ambulants de sodas, de fruits tropicaux et de légumes. Les femmes ornant leur visage du masque de beauté coloré spécifique à Mayotte. À cet endroit particulièrement, la France rencontre l’Afrique, à moins que ce ne soit l’inverse. L’Islam également y rencontre l’Afrique selon une version libre et peine de couleurs.
Un petit mot sur la masque de beauté (M’dzinzano, c’est à dire « bois de santal ») : il est obtenu comme son nom l’indique avec du bois de santal frotté sur une pierre de corail et mélangé avec un peu d’eau. Ce masque protège la peau contre le soleil et peut être une parure de séduction. Aux antipodes de la burka…
La barge nous débarque dans l’ancienne capitale administrative au périmètre très restreint occupé par l’armée dont la légion étrangère et par des locaux annexes relevant de l’administration préfectorale et du conseil général. L’ancienne préfecture, ex siège du gouverneur au temps des colonies, est un monument historique qui abrite aujourd’hui la Direction départementale aux affaires culturelles du conseil général de Mayotte.
Nous en arrivons à présent à la troisième partie de nos carnets consacrée à Psy Cause à Mayotte.
L’après midi du 13 janvier 2014, est consacrée à une rencontre avec la Dr Sophie Guionnet, psychiatre au Centre Hospitalier de Mayotte. Cette jeune professionnelle, ancienne chef de clinique, accepte de nous rendre visite à notre hôtel alors qu’elle est en congé de maternité, avec son bébé. Elle nous fait une présentation très complète du service de psychiatrie à Mayotte. Celui ci est de création très récente puisque ses touts débuts remontent à une dizaine d’années et que l’unité d’hospitalisation de 12 lits au Centre Hospitalier de Mayotte est installée depuis moins de 2 ans, les 6 premiers lits ayant été ouverts début 2008. La psychiatrie n’est pas « encore » un pôle spécifique et est rattachée au pôle de médecine. Au sein de ce service, la pédopsychiatrie n’existe que depuis une année mais n’a pas de local spécifique.
Chronologiquement, les investissements sont venus avec l’obtention par Mayotte du statut de département français (référendum de 2008 et mise en place en 2011). Dans tous les domaines dont celui de la santé, les moyens arrivent, ce qui crée une dynamique que l’on ne connaît plus ailleurs en France par ces temps de crise. Tout est à faire et les perspectives de développement à court terme sont uniques.
Tout est à faire, soit dit en passant, dans le domaine du tourisme en général et de l’hôtellerie en particulier. Notre hôtel, le seul de l’île à prétendre a un certain confort, use et abuse de sa situation de monopole, au niveau de la médiocrité de ses prestations malgré une conception architecturale et un cadre somptueux. Les investisseurs ne devraient pas tarder car le contexte géographique dispose d’un potentiel énorme : le plus beau lagon de la planète, une végétation africaine variée et de toute beauté, une faune attachante en particulier avec ses lémuriens (les makis) d’une grande intelligence et qui enterrent leurs morts après les avoir pleurés, une position éloignée des pirates somaliens qui ont détourné le trafic maritime, lequel remonte désormais en majorité par le Cap de Bonne espérance.
La Dr Sophie Guionnet nous parle des perspectives pour la psychiatrie à Mayotte. Des fonds avaient été attendus pour accroître le nombre de lits mais le budget a été alloué ailleurs. Cela a permis une discussion avec les tutelles. L’ARS s’inquiète des sorties rapides des HO par manque de lits. Les psychiatres du service expliquent que la solution est dans plus de locaux et de personnel soignant plutôt que dans plus de lits. C’est un fait que quelques lits de plus pour desservir 300 000 habitants ne changeraient pas grand chose tandis qu’un meilleur accompagnement des familles qui sont culturellement très contenantes serait plus efficace. Il n’y a pas d’hôpitaux de jour qui pourraient traiter efficacement, dans le contexte mahorais, les pathologies aigues. L’île de Mayotte n’est pas sectorisée (il y a un seul service de psychiatrie) mais il existe un zonage territorial avec un maillage par des dispensaires. La première nécessité est de renforcer ce zonage avec un infirmier et un médecin référent pour chaque zone. Il n’y a pas de prise en charge possible pour des déplacements réguliers en ambulance vers un lieu de soin à l’hôpital de Mamoudzou. Si l’on ne fait pas d’activités CATTP dans les dispensaires, les gens ne se déplaceront pas vers le chef lieu.
Il existe 4 grands dispensaires qui ont été rénovés pour permettre ces soins à temps partiel et un grand nombre de petits. La Dr Sophie Guionnet nous parle du cas particulier du dispensaire de Kounga situé à proximité du plus grand bidonville de Mayotte où s’entassent des immigrés clandestins en provenance des îles indépendantes des Comores où c’est la misère. Bien évidemment la République Française apporte une assistance sanitaire à cette population illégale qui, d’après elle, représente environ 100 000 habitants, soit le tiers de la population de Mayotte ! « Là, c’est vraiment l’Afrique », nous dit-elle. Cette population clandestine est actuellement le grand problème de l’île. Qui ne va pas s’améliorer si l’on prend en compte une étude récente qui dit que l’émigration des Mahorais de nationalité française vers l’île de la Réunion et la métropole est supérieure à l’immigration clandestine en provenance des Comores indépendantes.
L’autre chantier de la psychiatrie à Mayotte est la mise en place de la pédopsychiatrie. Le pédopsychiatre nommé provisoirement pour un an vient de partir. Un autre arrive. Mais la solution serait de jouer la carte de la polyvalence qui est de règle parmi les psychiatres du service et que deux psychiatres travaillant à 50% en pédopsychiatrie et à 50% en psychiatrie générale serait mieux. Le déficit en médecins à Mayotte est de 50% de postes vacants, il y a donc de quoi faire pour des professionnels qui ont le désir de s’investir dans une île africaine magnifique qui offre la possibilité d’une pratique transculturelle … en France. D’autant plus que ce 101° département qui vient d’être créé offre un potentiel d’évolution unique. C’est à terme, de la création d’un service de pédopsychiatrie financé par la France, qu’il s’agit. Une orthophoniste et un psychomotricien viennent d’être recrutés. Nous en sommes au tout début.
La Dr Sophie Guionnet qui est, pour le service de psychiatrie, le référente pour les recrutements médicaux, explique que l’un des obstacle au développement de la psychiatrie mahoraise est le turn over très rapide des praticiens en général en début de carrière. Un ou deux psychiatres qui auraient de l’expérience et seraient intéressés par une expérience originale au moins sur quelques années, seraient un atout pour construire maintenant l’outil psychiatrique nécessaire.
Nous parlons bien entendu de Psy Cause. Les professionnels du service de psychiatrie vont, dans une optique pluridisciplinaire, se concerter pour proposer un ou deux rédacteurs à la revue Psy Cause. La Dr Sophie Guionnet est intéressée par la création d’une association Psy Cause Mayotte qui sera liée par convention avec Psy Cause International et donc avec la revue Psy Cause et qui pourra organiser sur place des colloques et séminaires dans lesquels des membres du réseau international de Psy Cause seront les bienvenus.
À la mi-janvier, la période des pluies arrive à plein régime avec son cortège de tempêtes tropicales et notre retour en métropole a été un peu plus long que prévu avec un autre avion et des escales supplémentaires. Tout de même, nous avons eu une vision des plateaux de la région de Tananarive et du Kilimandjaro depuis l’avion. Madagascar peut également ouvrir des perspectives intéressantes pour Psy Cause dans l’Océan Indien. Notre rédactrice, la Dr Patricia Princet, devrait aller prochainement à Madagascar et pourrait y avoir des contacts. Le développement francophone de Psy Cause est en 2014 un travail d’équipe et, au gré des déplacements des uns et des autres de par le monde, le réseau, peu à peu s’étend, des projets nouveaux peuvent voir le jour.