Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Psy Cause dans l’Océan Indien : carnet N°2

01a-ZenaAfin d’établir une tradition dans ces carnets, nous allons commencer comme dans le précédent carnet par un timbre poste, celui d’une héroïne mahoraise du refus de l’indépendance : Zéna M’Déré, enseignante coranique. C’est une femme de tradition. Lorsqu’elle rentre de Madagascar en 1963, elle ne reconnaît plus Mayotte. La large autonomie accordée par la France depuis 5 ans aux quatre îles comoriennes pénalise les Mahorais. Mayotte a notamment perdu la capitale transférée à Moroni, à Grande Comore. Zéna M’Déré s’engage avec le leader pro-français Georges Nahouda. Une autre femme, Zaïna Meresse, se joint aussitôt à eux : « On a dit non. On s’est dit : « On va être esclaves des Anjouanais et des Grands Comoriens, vaut mieux être esclaves des Français ! » On a décidé de se mettre debout. » Le 2 août 1966, Zéna M’Déré et Zaïna Meresse défilent en tête d’une manifestation de femmes. La plupart sont illettrées car leurs mères n’avaient pas voulu qu’elles aillent à l’école pour qu’elles ne deviennent pas des mzoungous (des blancs). Ces femmes appartiennent donc à la frange la plus anticolonialiste de l’île. Les notables commencent par mépriser ces manifestantes qui lancent alors une action de commando inédite : « on va chatouiller » les responsables comoriens en visite. Cela n’est pas répréhensible alors que frapper conduit à la prison. La première victime du « Commando des Chatouilleuses » (des Soradas en Mahorais) est le ministre venu de Moroni Mohamed Dehalane : « on était une cinquantaine de bonnes femmes, on s’est mis à le chatouiller pour le faire partir. » Le ministre, chatouillé à en perdre la veste, reprend l’avion, humilié. De retour à Grande Comore, il raconte sa mésaventure qui fait rire son entourage. Mais dès qu’un avion approche de l’aéroport de Mayotte à Petite Terre, avec à son bord un « serrez-la-main », c’est à dire un responsable indépendantiste, c’est le branle bas de combat. La mobilisation s’effectuait au signal « Yououou, Youhouou … ». Elles infligent aux gendarmes qui leur font barrage le même supplice avec des éclats de rire. Amusante en apparence, l’action provoque des tensions. Le 13 octobre 1969, l’une des Chatouilleuse, Zakie Madi, meurt lors d’un affrontement entre partisans et adversaires de l’indépendance, sous les balles de la garde comorienne créée en 1968. Elle fut discrètement enterrée, en catimini. L’action des Chatouilleuses a encore persévéré au tout début des années 1970. Ainsi donc le combat contre l’indépendance a eu ses héroïnes et sa martyre. Qui le connaît en dehors de Mayotte ?

 

01b-Mayotte-Nord-5.1.14Après cette petite introduction pour rappeler la singularité attachante de cette île qui peut à bien des égards soutenir la comparaison avec le combat (mythique) d’Évangéline en Acadie, nous allons poursuivre notre découverte actuelle de l’île. Les côtes sont d’une grande variété. Si l’on part de Mamoudzou pour en faire le tour par le nord, c’est à dire par la côte méridionale (on est dans l’hémisphère sud), de charmantes petites plages alternent avec la mangrove, cette végétation qui plonge dans le milieu aquatique. Elle est particulièrement visible aux basses eaux, émergeant en partie d’un sol vaseux libéré par une marée de 4 mètres d’amplitude. Au loin, croisent de nombreux bateaux de plaisanciers qui apprécient la visite du lagon. Visite que nous allons nous mêmes réaliser. La découverte de Mayotte s’effectue en effet de façon complémentaire sur terre et sur mer.

 

La pointe Nord de l’île, si l’on fait abstraction de la végétation africaine, pourrait être un paysage de Corse avec sa découpe ciselée. De la route, on a une 02-Extremite-Nord-5.1.14vue panoramique des côtes orientale et occidentale qui se rejoignent et donnent lieu à de puissants courants qui s’affrontent. Sur la côte Ouest, la route s’élance dans d’improbables dénivelés pour franchir les crêtes qui séparent des baies profondes. Il y a quelques années, il n’y avait quasiment que des pistes mais la départementalisation est passée par ici et désormais l’asphalte est de règle, tant mieux pour nous. Le moindre petit village a sa poste et le service bancaire attenant. Au moindre problème, les véhicules flambant neufs des pompiers sont disponibles. Nous sommes bien en France (voire un peu plus).

 

2b-Mayotte-Nord-OuestLa charmante petite ville côtière de Mtamboro, située sur la côte Nord Ouest en face des îlots Choizil et à quelques kilomètres seulement de la pointe Nord, est typique de l’habitat « provincial » de Mayotte. Le minaret de sa mosquée la domine mais l’Européen, comme sur l’ensemble de l’île, doit être attentif pour repérer une pratique de l’Islam qui n’a rien d’ostentatoire. L’appel à la prière ne s’impose pas à coups de décibels, le port du voile est discret et non systématique, les femmes semblent bénéficier d’une considération qui va de soi. Et nous avons vu leur rôle politique dans l’histoire récente de Mayotte. Mayotte nous donne l’image d’un Islam que nous aimerions plus présent dans nos banlieues de France métropolitaine.

 

02c-MakiNous pouvons poursuivre la descente de la côte Ouest jusqu’à la pointe Sud et la plage Ngouja, réputée pour ses tortues que l’on peut accompagner dans l’eau avec un masque et un tuba à marée montante. Cette plage de sable fin est bordée de toutes les espèces végétales de Mayotte : palmiers, baobabs et quelques petits coins de mangrove. Elle est aussi le paradis d’une espèce de primates très présente sur l’île (trop au goût des agriculteurs car ils s’attaquent aux récoltes) à savoir une race de Lémuriens appelés Makis de Mayotte. Ces animaux viennent aussi nous rendre visite tous les soirs devant notre bungalow à notre hôtel. Avec leurs yeux vifs, leur museau allongé et leur immense queue, leur agilité à sauter de branche en branche, ils ont quelque chose à la fois du singe avec leurs mains et de l’écureuil. Leur compagnie est un spectacle sans cesse renouvelé.

 

Avec leur évocation, nous abordons un nouveau chapitre de ce carnet : nous parlerons maintenant d’une excursion sur les eaux du lagon, pleine de surprises au niveau de la faune marine.

 

03-DauphinsC’est en effet le lundi 6 janvier que nous partons en mer pour une journée avec le bateau à fond de verre, l’Aquarium. L’excursion démarre par le spectacle des dauphins qui se déplacent en famille en se jouant des vagues pour chasser. Leur mode de déplacement aquatique qui leur permet de respirer, car ce sont des mammifères, est à la fois spectaculaire et gracieux. Leur groupe peut être très important puisque nous en avons vu jusqu’à 500 chasser ensemble… Nous avons pu admirer la barrière de corail avec le fond en verre du bateau mais aussi mettre un masque pour nager au milieu des coraux et des poissons multicolores : un régal. Dommage qu’il ne soit pas possible d’en faire des photos pour le site.

 

06-ile-de-sable-blancNotre excursion s’achève par la visite d’une curiosité de la nature située à l’est de l’extrémité sud de l’île : l’ilot de sable blanc. Produit de courants marins, ce vaste banc de sable sans la moindre touffe d’herbe, tranche avec la végétation luxuriante de Grande Terre située à quelques encablures, tel un coin de désert au milieu de la forêt. Sa surface varie en fonction de l’amplitude des marées jusqu’à être totalement immergée pendant quelques heures. L’ilot se prolonge par une étroite bande de sable au nord qui peut donner l’illusion de marcher sur les 06b-ilot-2eaux.

 

Depuis cet ilot, se profile l’étroite partie sud de Mayotte qui se traverse par la route en deux kilomètres, dominée par les 600 mètres du cône volcanique du Mont Choungui. La variété du relief est surprenante en un espace aussi restreint. Ce qui en fait un écosystème exceptionnel. Le déjeuner est organisé sur une plage de l’extrémité sud (près de Kani-Kéli) avec au menu punch coco et poulet au riz façon mahoraise.

 

Le retour sur Mamoudzou est l’occasion de 07b-retour-portbien visualiser le port et ses façades modernes sous des toits pentus, qui s’élèvent derrière des rangées de bateaux de plaisance et le môle d’arrivée de la barge. Sur la droite du Centre commercial Shopi, s’élance une rue en S qui amène au Centre Hospitalier de Mayotte bâti sur les hauteurs, où nous sommes attendus les jours suivants.

 

Nous ouvrons donc le dernier chapitre de ce carnet.

 

08-CMPNotre  visite du 7 janvier sera dans les locaux du Centre Médico-Psychologique du service de psychiatrie. L’occasion de présenter la revue Psy Cause à des membres de l’équipe infirmière. Cette présentation s’effectue à l’aide des numéros 63 et 64 qui se complètent : un numéro généraliste avec des articles du Liban, de France et d’Afrique Subsaharienne ; un numéro thématique avec les actes du congrès de Siem Reap au Cambodge. Ce binôme sera remis à nos différents interlocuteurs. La période estivale du mois de janvier est une période de congés, ce qui évidemment ne facilite pas la rencontre des psychiatres mais ceux qui sont présents nous reçoivent bien volontiers. Au CMP, c’est le Dr Jérôme Ruimy, qui 09-Ruimy-7.1.14effectue un remplacement de plusieurs mois, qui nous reçoit. Il nous propose très aimablement de parler de Psy Cause à ses collègues présents et absents et de présenter la revue au CMP.

 

Le service de psychiatrie de Mayotte n’a été créé qu’en 2001. Il est encore de taille très modeste avec 12 lits pour plus de 200 000 habitants. Nous comprenons que l’île de la Réunion est en seconde ligne. Ce service fait partie du pôle de médecine. Il est en quête de stabilité et toujours en chantier, en fait plein de perspectives. Il est à l’image de Mayotte et de son développement très rapide depuis quelques années.

 

Le lendemain de cette visite au CMP est l’occasion de visiter un troisième lieu de soins, après l’unité d’hospitalisation et le CMP. Nous pourrons ainsi mieux appréhender la diversité des modalités de travail en psychiatrie au Centre Hospitalier de Mayotte. Même si nous sommes bien conscients qu’il ne s’agit pas d’une découverte exhaustive. (Les contacts établis en ce mois de janvier 2014 sont un début).

 

Le 8 janvier, en effet, nous avons rendez vous dans le local de 10-José-Mahazoasyl’équipe de psychiatrie de liaison aux Urgences. Le Dr José Mahazoasy, praticien hospitalier diplômé en France et d’origine malgache nous reçoit en compagnie de deux infirmiers de l’équipe. Nos interlocuteurs prennent connaissance des exemplaires de la revue et rendent visite au site psycause.info. Ils se déclarent très intéressés par un partenariat avec Psy Cause et envisagent de nous soumettre un article sur les caractéristiques mahoraises de la psychiatrie de liaison. Le Dr José Mahazoasy nous précise que sa connaissance de la langue malgache facilite les entretiens puisque deux langues sont pratiquées à peu près à égalité par les autochtones mahorais : le Comorien et le Malgache. Nous évoquons aussi le combat des Mahorais contre l’indépendance et pour l’obtention du statut de département français qui fut très dur et est méconnu en France, en particulier la lutte des « Chatouilleuses » que le Dr José Mahazoasy qualifie de très importante. Il nous parle également de l’ambivalence des Mahorais devant le métissage culturel qu’implique la départementalisation, mais aussi des Comoriens vis à vis des Mahorais dont ils envient le niveau de vie consécutif au choix politique de ces derniers. Au total, le courant est très bien passé avec nos interlocuteurs et augure bien d’échanges à venir.

 

11-UrgencesJean Paul Bossuat

Écrire les chiffres et les lettres apparus ci-dessous, dans le rectangle en dessous