Psy Cause au Canada. Carnet de repérage N°2 (Montréal)
Nous organisons notre congrès international 2013 (du 4 au 6 octobre) à Ottawa, avec pour thème « Minorités culturelles et Santé Mentale ». La dernière semaine de mars à Ottawa et la première semaine d’avril à Montréal, sont consacrées à des rencontres et des visites de repérage par le directeur de la revue Psy Cause. Nous avons déjà publié un premier volet consacré à la première semaine à Ottawa. Voici le second volet qui porte sur la semaine à Montréal.
Le séjour dans cette ville a débuté par une rencontre du réceptif de Morgan Tours, Marie Fraisse. Nous retenons la formule pour les congressistes qui s’inscrivent en France, d’un forfait qui inclut un jour et demi de congrès à l’hôpital Montfort d’Ottawa, un week-end dans le prestigieux Moulin de Wakefield avec repas gastronomiques, balades dans le parc de Gatineau et une demi journée de travail (Mindfulness Therapy et particularités amérindiennes), puis une excursion en Ontario avec la visite des célèbres chutes du Niagara, de Toronto, des mille iles et enfin de Montréal. À Montréal une demi-journée de travail est prévue. Le tout sur 10 jours, du mercredi 2 octobre au départ de Paris, au jeudi soir 10 octobre au départ de Montréal avec arrivée le vendredi matin à Paris. Nous convenons de tirer les prix au maximum tout en sachant que le séjour allie un congrès avec un repas de gala pour fêter les 18 ans de Psy Cause, un séjour dans un site (Wakefield) très haut de gamme et des prestations de qualité. Tant en République Tchèque en 2011 qu’au Cambodge en 2012, les connaisseurs des voyages/congrès Psy Cause ont pu apprécier le sérieux et les exigences de qualité qui sont de mise. Le montage définitif sera proposé avec un programme scientifique (non définitif) en fin de cette seconde semaine d’avril.
Le lendemain (3 avril), nous déjeunons avec le Pr Emmanuel Stip. Cette personnalité du Québec a fait ses études de médecine et de psychiatrie à la faculté d’Angers. Il est directeur du département de psychiatrie de l’université de Montréal depuis 2009. Il est le fondateur de la chaire de schizophrénie de Montréal. Dans le N° du printemps 2007 de la revue Santé Mentale au Québec, il écrivait : « La chaire de schizophrénie a été créée en mai 2003 dans le contexte de la création des chaires de recherche au Canada. Sous l’initiative des fondations hospitalières des hôpitaux Sacré-Cœur de Montréal et Louis H Lafontaine, et de leurs départements de psychiatrie, une charte fut établie avec le fonds de développement de l’Université de Montréal afin de créer des liens avec un partenaire industriel au Canada, s’inspirant en cela des chaires de dotations et de capitalisation. Ce fut la compagnie Eli Lilly Canada qui concrétisa cet effort en apportant un capital dédié à la recherche sur la schizophrénie. Ce montant fut accompagné par celui de deux fondations hospitalières. Pour sa part, l’Université de Montréal apporta une contribution importante pour la gestion, l’apport d’un poste académique et la validation d’une Charte de la Chaire qui garantit une indépendance intellectuelle et scientifique à son titulaire à l’égard des activités scientifiques. Nommé titulaire de la chaire, je fixai les orientations de recherche clinique basées essentiellement sur l’axe directeur et élargi de la cognition, proposai la création d’un comité scientifique composé de chercheurs et de cliniciens nationaux et internationaux. »
À la fin du mois de mai 2006, le Pr Emmanuel Stip réunissait dans le cadre de cette chaire, des chercheurs et des étudiants à la campagne au bord du lac Baskatong en un lieu mythique appelé Windigo. Un lieu situé au nord ouest de Montréal, traversé par la rivière Gatineau qui, nous l’avons vu, borde Wakefield. Les échanges scientifiques en ce lieu furent publiés dans les numéros de printemps et d’automne 2007 de la revue Santé Mentale au Québec. Nous avons envisagé avec le Pr Emmanuel Stip d’y organiser une réunion/séminaire fondatrice de l’association qui pourrait se dénommer « Société francophone Psy Cause Canada ». Cette société s’adresserait aux professionnels francophones du Canada, essentiellement de trois provinces : le Québec, l’Ontario et le Nouveau Brunswick. Le Windigo appartient à la mythologie des peuples Algonquins qui se le représentent sous les traits d’une femme séductrice dont le cœur est fait de glace. Dans les travaux de psychiatrie transculturelle, la personne peut être possédée par l’esprit Windigo et transformée en un esprit du froid qui erre à jamais dans les solitudes du Nord. Cet esprit pouvait également atteindre les aventuriers européens qui s’aventuraient dans les régions subarctiques. Les chants des chamanes apprivoisent cette entité. Ce lieu interpelle de toute évidence un spécialiste de la schizophrénie. Nous laisserons les lecteurs libres de leur interprétation en ce qui concerne Psy Cause …
Le Pr Emmanuel Stip est également administrateur des « Impatients ». Il s’agit d’un lieu de création destiné aux malades mentaux géré par la Fondation pour l’art thérapeutique et l’art brut du Québec, créée en 1992 et dénommée les Impatients depuis 1999, ceci pour affirmer une perspective : la fondation « confirme qu’elle considère les personnes qui fréquentent ses ateliers non pas comme des patients, mais comme des créateurs impatients de guérir et de développer leur art et leur personnalité. » Venu dans l’un des sept lieux qui reçoivent gratuitement des patients (au 100 rue Sherbrooke Est), le directeur de la revue Psy Cause a pu échanger avec des membres présents du personnel, en particulier avec une art-thérapeute. Un espace d’exposition présente des œuvres des participants au public et cette fondation s’est déclarée intéressée par la présentation d’œuvres dans notre congrès à l’hôpital Montfort. Elle est également intéressée par une mise en relation avec l’ARAT (Association pour la Recherche en Art et Thérapie) basée à Béziers, qui est partenaire de Psy Cause et dont le Président art-thérapeute Jean Louis Aguilar, également rédacteur et membre de Psy Cause depuis plusieurs années, a confirmé en janvier 2013 son adhésion à notre association.
Le lendemain soir (4 avril), nous dinons avec le Pr François Borgeat et sa conjointe Carmen L’Allier. Ces deux Montréalais s’étaient inscrits à notre congrès au Cambodge de novembre 2012 dont ils avaient découvert le thème « Le bouddhisme en psychiatrie et dans les psychothérapies » par internet. L’originalité de notre approche les avait convaincus de venir à notre voyage/congrès. Lors de la croisière sur le Mékong, le Pr François Borgeat avait exposé lors d’une conférence, son action au sein de la Commission de Santé Mentale de la Confédération canadienne dont il est le seul administrateur francophone. Il avait alors accepté d’entrer dans le comité de rédaction francophone de la revue Psy Cause puis, le 4 janvier 2013, arrive le virement correspondant à son adhésion à Psy Cause International.
Professeur du département de psychiatrie de la Faculté de médecine de Montréal, il a été récemment missionné pour contribuer à la désignation de l’hôpital psychiatrique Louis H Lafontaine comme institut universitaire et, depuis un mois, ce dernier s’appelle « Institut universitaire en santé mentale de Montréal ». La région de Montréal compte désormais deux instituts universitaires en santé mentale puisque ce nouvel s’institut s’ajoute à l’Institut Douglas affilié à l’université anglophone Mc Gill. Fondé en 1875 par la congrégation des sœurs de la providence, cet Institut universitaire en santé mentale de Montréal, fut dès le départ exclusivement psychiatrique. Doté de 389 lits répartis sur plusieurs grands immeubles, et de 1500 places d’hébergement dans la communauté, il dispose de 113 médecins et dentistes, de 900 paramédicaux, de 51 chercheurs équivalents temps complets, de 70 professeurs et membres du corps professoral. Lors d’un premier passage en août 2001, le directeur de la revue Psy Cause avait établi un lien avec l’hôpital de jour du Pavillon Cloutier. Depuis cette date, pendant presque douze années, notre revue a été envoyée dans cette unité. Mais cet hôpital de jour a été récemment redéployé dans une autre mission et la revue redirigée vers la documentation.
Le Pr François Borgeat est depuis 2007 co-président du programme médical des troubles anxieux et de l’humeur dans cet établissement. Ses travaux de recherche depuis une trentaine d’années traitent surtout des troubles anxieux, de l’application de la perception préconsciente dans le domaine de la psychothérapie, et de l’organisation des services en santé mentale. Natif de la ville de Québec, il a effectué ses études de médecine et de psychiatrie dans cette Province. Sa récente nomination au Conseil d’Administration de la Commission de la santé mentale du Canada confirme son rôle éminent. Dans un courriel du 8 avril, il nous écrit que dès le lendemain de notre diner convivial et de travail, il informait de notre congrès à Ottawa, le département universitaire de l’Institut universitaire en Santé mentale de Montréal.
Le 5 avril, le rendez vous est au onzième étage d’un immeuble de la rue Saint Denis. Le Pr Emmanuel Stip avait recommandé une rencontre avec le Pr Yves Lecomte, son prédécesseur à la direction de la revue Santé mentale au Québec. Dans le dernier numéro publié sous sa direction (numéro de l’automne 2012), le Pr Yves Leconte écrit un article intitulé « 37 ans plus tard : une aventure sous le signe d’un combat ». Il débute ainsi son propos : « « Il est temps de partir. » Cette phrase soulève son lot de craintes et d’angoisses quand il s’agit de mettre fin à 37 ans d’investissement intellectuel, émotif et financier. » Il ajoute : « Fonder et diriger une revue est un privilège qui doit être partagé avec tous ceux et celles qui ont contribué à cette aventure. Le mérite leur en revient. (…) Une revue digne de ce nom en est une qui sait se mettre au service des divers acteurs du milieu. » Il raconte que la revue est née fin février 1976, moment fort du mouvement communautaire de la psychiatrie québécoise. C’était à une époque où les slogans révolutionnaires étaient encore possibles, où tous les horizons s’ouvraient. À la différence des États Unis, ce mouvement communautaire s’intéressait à la chronicité, était une alternative aux asiles. Le Pr Yves Lecomte évoque les 20 premières années dans un milieu « très dynamique et axé sur la réflexion, la théorisation au service de la pratique et la création de réponses originales aux besoins des usagers. » Après 37 années, la revue est connue dans le monde francophone. Elle est l’une des trois revues de langue française en santé mentale répertoriées dans la célèbre banque de données Medline. Mais les quinze dernières années, « la revue fait face à un environnement qui s’est complètement transformé. » C’est à dire qu’une gestion pour plus d’efficacité, par l’encadrement des systèmes de soins via les « Plans d’action en Santé mentale », a façonné les manières de penser et d’intervenir, jusqu’à les normaliser. Les préoccupations de la gestion ont pu prendre le pas sur le système de soins. En somme, il y a bien des similitudes entre les deux rives francophones de l’Atlantique.
À cela s’ajoute un autre phénomène. « La recherche est faite par des chercheurs dont les intérêts professionnels – par exemple de publier dans des revues internationales de langue anglaise – peuvent mettre en péril les petites revues ancrées dans le milieu. (…) Les revues comme Santé mentale au Québec sont fragiles (…) mais n’est-ce pas le propre des ressources alternatives ? Des ressources qui se situent à la marge afin de conserver leur potentiel de créativité ? » Dans une région du monde telle que l’Amérique du Nord où le pragmatisme est roi, où les postes de responsabilité institutionnelle (chefferies de département, positions administratives, etc…) sont temporaires, comment expliquer 37 années à la direction d’une revue ? Ce n’est certainement pas un hasard. Surtout en Amérique. Une revue est comme une œuvre d’art, elle a besoin de la garantie du projet initial par son concepteur qui la met à la disposition du public. Le Pr Yves Lecomte a tenu le cap, avec d’autres qui s’y sont reconnus bien sûr, mais sans qu’il fut possible de trahir la raison d’être de la revue.
Qui plus est, il se soucie de la transmettre en de bonnes mains et dans un bon contexte pour que sans lui, la revue conserve son cap. Il explique que les responsables de la revue ont finalisé une entente avec le Département de psychiatrie de l’université de Montréal (dont le patron est le Pr Emmanuel Stip) « pour qu’il assume l’entière responsabilité de la revue à partir du 1° avril 2013. » (Soit quelques jours à peine avant notre rendez vous). « Le Département de psychiatrie connaît un mouvement de renouveau en osant réintroduire, dans son cursus de formation, une maîtrise en études psychanalytiques de même que davantage de sciences humaines. Nous pensons qu’il s’agit là d’une occasion unique pour la revue d’être à nouveau partie prenante d’un projet novateur, et de retrouver ses racines. » Ces dernières paroles du Pr Yves Lecomte dans son article sont importantes. Il est possible que ce retour du balancier qui s’amorce en Amérique gagne un jour la France. Que Psy Cause s’implante aujourd’hui au Canada est peut être une chance pour Psy Cause en France demain.
Le directeur fondateur de Santé mentale au Québec est le psychologue Yves Lecomte qui exerçait en 1976 à la clinique externe du département de psychiatrie à l’hôpital Saint Luc (rue Saint Denis) aujourd’hui en cours de reconstruction. Il précise dans son article qu’il remercie tout particulièrement TÉLUQ qui l’a accueilli avec sa revue à un moment difficile. La TÉLUQ (Télé-Université du Québec) est une structure de formation universitaire à distance. Le directeur de Santé mentale au Québec y a trouvé un cadre universitaire et y assure la direction du DESS de santé mentale. Cette télé-université occupe les deux derniers étages d’un immeuble situé au 5800 de la rue Saint Denis au cœur d’un quartier cosmopolite avec une importante communauté haïtienne. Le directeur de Psy Cause a donc rendez vous à cet endroit avec l’ex directeur de la revue Santé Mentale au Québec, sur les conseils du Pr Emmanuel Stip. Le Pr Yves Lecomte présente sa collaboratrice, la sociologue d’origine argentine Elena Bessa. Avec elle, il a conduit de nombreuses études en santé mentale à propos de la communauté haïtienne de Montréal.
En 2010, le Québec fut très investi dans le tremblement de terre catastrophique à Haïti et depuis cette date les ONG assurent une prise en charge de la psy dans ce pays tropical de langue française indépendant depuis 1804. La situation de la psychiatrie haïtienne y est tout simplement catastrophique. Le Pr Yves Leconte, comme également le Pr Emmanuel Stip, pensent que la revue francophone internationale Psy Cause pourrait être associée à leur action. Un congrès est programmé en janvier 2013 à Haïti, qui pourrait être l’occasion d’une présence de Psy Cause. Le directeur de Psy Cause donne son accord pour y participer. Ce qui pourrait d’ailleurs être l’opportunité de la venue d’autres responsables de Psy Cause (la Dr Sophie Sauzade pédopsychiatre et le Dr Thierry Lavergne secrétaire de rédaction à l’Amérique du Nord). Le Pr Yves Lecomte remet pour Psy Cause deux numéros de la revue Santé mentale en Haïti dont il est co-directeur. Il remet également deux numéros de la revue de psychanalyse Filigrane construite sous sa direction. Il convient avec sa collaboratrice Elena Bessa de présenter ensemble à notre congrès une communication à propos de la communauté haïtienne de Montréal.
Le Pr Raymond Tempier, notre rédacteur de l’Ontario et co-président du congrès Psy Cause d’octobre, avait conseillé de prendre contact avec le Pr Emmanuel Stip mais aussi avec le Dr Jean Dominique Leccia, un psychiatre haut en couleurs qui a une grille de lecture de la psychiatrie en terme d’espaces. La première semaine d’Avril, il n’est pas à Montréal car il consulte dans l’Abitibi, une région pionnière de 80 ans d’âge à quelques centaines de kilomètres au nord de Montréal, une région subarctique prospère grâce à ses mines d’or. Dans un courriel en date 5 avril, il regrette de n’être pas à Montréal : « nous aurions pu aller ensemble faire un tour sur la rive sud de Montréal, une banlieue typiquement nord-américaine avec en son épicentre historique une réserve Mohawk, dont je suis le psychiatre. » Il est d’accord pour communiquer à notre congrès d’Ottawa.
Au total, la semaine de repérage à Montréal fut très riche de rencontres prometteuses tant au niveau de la réussite future du congrès en octobre prochain, que dans la perspective d’une dynamique Psy Cause dans les années à venir. Nous envisageons d’y retourner avant le congrès, cette fois-ci avec le Dr Thierry Lavergne, co-fondateur de Psy Cause et secrétaire de rédaction à l’Amérique du Nord, dans le but d’approfondir les liens et de travailler à nos projets parmi lesquels un partenariat avec la revue Santé mentale au Québec et la mise en place d’une Société francophone Psy Cause Canada, membre du Mouvement Psy Cause. Nous achevons notre séjour par une visite au musée d’Histoire de Montréal au cœur du vieux Montréal, dont le clou est l’exposition sur les Beatles avec sur grand écran le spectacle de leur dernier concert en 1970 sur les toits de Londres. Une exposition à ne pas manquer lors du passage des congressistes français de Psy Cause en octobre prochain.
Dr Jean Paul Bossuat