Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Les invisibles. Lorsque la politique traduit l’archaïsme de la pensée

BourgeoisD. BOURGEOIS
Ils sont parmi nous les précaires, et ils deviennent insidieusement invisibles. On les rend invisibles. La période actuelle voit déferler en France des textes étrangement consensuels comme s’ils mettaient en acte la face sombre d’un inconscient collectif. Ces textes sont autant de passages à l’acte du politique visant peu ou prou à parfaire l’invisibilité des précaires. Nous allons tenter de cerner ici ce processus et d’en définir le sens.

Il fut un temps pas si lointain ou la misère criante des grands exclus avait gardé un impact sur la conscience du corps social, sans jamais arriver cependant à ce que celui-ci débouche sur la mise en place d’un véritable dispositif solidaire, d’une politique cohérente préventive (la lutte contre les facteurs causaux de la pauvreté) et curative (la mise en œuvre de moyens de réadaptation-réhabilitation). Par voie de conséquence, la charité comme expression palliative des mentalités et de l’ordre social complétait la solidarité insuffisante envers le pauvre, cet alter-ego.

La société a usé de ses moyens ordinaires pour apaiser la souffrance des exclus et par ailleurs susciter chez le citoyen un mouvement compassionnel assimilant la cause de l’exclusion à une Grande Cause. L’Abbé Pierre caracola longtemps en tête des personnalités préférées des français. Coluche (les enfoirés show-bizzeux mis à part) et les restaurants du cœur, l’armée du Salut aux relents moralisateurs anglo-saxons, le SDF édenté vendant un journal de rue au carrefour, renvoient au personnage de l’exclu longtemps resté dans l’imaginaire collectif comme un enjeu émotionnel important, chacun s’en accommodant en s’appuyant sur ses opinions et son registre compassionnel intime. Le monde était binaire et les exclus, même si on ne les fréquentait pas, ne faisaient pas peur aux inclus dans la mesure où ceux-ci pouvaient s’estimer du bon coté de la barrière. Même s’il errait dans les rues, le SDF, l’exclu, avait un visage, il ne laissait pas indifférent mais il n’était pas Moi. S’il nous tendait un miroir, nous ne nous reconnaissions pas en lui.

Aujourd’hui, il en est autrement. Dans un contexte où la monté de l’individualisme, la crainte du lendemain liée à la crise vécue comme inéluctable, la banalisation de la violence et la glorification du pouvoir de l’argent façonnent un autre idéal collectif, le personnage de l’exclu dérange le bel ordonnancement social ; il doit disparaître, il est trop inquiétant, il est notre futur.

De l’objectif Zéro SDF affiché en son temps par un ancien candidat à la présidentielle[1] (le décryptage du terme pouvait évoquer le souhait d’une solution finale à la Wannsee) aux textes d’inspiration sécuritaire tout azimuts multipliés par le pouvoir actuel et visant à réduire la supposée capacités de nuisances des sujets hors-normes, il y a comme une continuité fantasmatique (transcendant les clivages politiques), sinon d’action.

Sans admettre des causes sociales à cette croissance exponentielles du nombre des SDF, sans prendre en compte le fait qu’ils sont de plus en plus jeunes, féminins, violents, sans repères, désespérés, et qu’il y a désormais des mineurs parmi eux, on les traque, on les stigmatise sous prétexte de les responsabiliser. Tout se passe comme si après avoir tenté pendant des années de les apprivoiser (la carotte ou le couvercle sur la cocotte-minute sociale) on leur montrait le bâton pour les faire fuir comme des chiens errants. Citons quelques exemples déjà anciens, datant des débuts du quinquennat de N. Sarkozy pour montrer qu’ils n’ont rien réglé, bien sûr :

-1) Arrêté anti-chiens concernant les SDF: Pour un SDF, son chien est souvent son seul compagnon fiable. Il ne va pas les détrousser la nuit ou pendant qu’ils se retrouvent assommés par l’alcool ou d’autres produits. Il est aussi certes, un peu leur souffre-douleur, voire un instrument de défense ou d’intimidation et à ce titre, il dérange. Par ailleur,s la présence d’animaux dans les asiles de nuit complique la tâche des accueillants et contredit les protocoles hygiénistes sourcilleux qui prolifèrent dans tous les lieux médico-sociaux. On est obligé de créer des asiles « bas seuil », c’est-à-dire hors règles car sinon trop de SDF se trouveraient marginalisés de surcroit, exclus des foyers pour exclus. Un comble.

-2) Arrêté anti-regroupement : On traque ainsi les jeunes dans les cages d’escalier des immeubles des cités. Bien sûr, ils taguent les couloirs, ils défoncent les boites à lettres, ils fréquent peu les stades, ils font du bruit, ils traficotent et ils intimident le passant. Ils agressent aussi parfois. Ils créent en fait des microsociétés rebelles, dotés chacune de codes et de valeurs étranges, ils forment un patchwork de tribus jeunes (comme on aurait dit bantoues du temps des colonies) promptes à en découdre sur le parvis de la Défense ou dans les agoras marchandes, promptes à faire flamber les voitures le soir de la Saint Sylvestre. Les amendes qu’ils ne pourront jamais payer puisqu’ils n’ont aucun revenus ou les TIG à visée éducative qu’on ne pourra jamais leur faire exécuter faute d’éducateur-justice en nombre suffisant ne les dissuaderons jamais de se rassembler et d’exprimer à leur manière leur désarroi. Par contre ces textes constituent de nihilo les conditions d’une surmarginalisation. Autrefois ces jeunes se trouvaient en irrégularité quelques minutes par jour (conduite de scooter sans casque, fumette de cannabis, petits vols…), maintenant, ils le seront quelques heures par jour. Ils vont rejoindre la masse des autres invisibles, les sans-papiers, les clandestins, tous ceux qui sont en situation irrégulière 24h/24 et le sont parfois de père en fils. Rien ne changera en apparence si ce n’est que cette irrégularisation chronique s’ancrera davantage dans leur appartenance identitaire et compliquera d’autant leur insertion sociale.

-3) Arrêté anti-mendicité, anti-Rom, anti-rave party…Les motifs d’exclusions s’accumulent et se cumulent parfois, ils configurent une constellation floue des exclus. Le problème avec l’ensemble de ces dispositions c’est que, individuellement, elles apportent une réponse immédiate et émotionnelle aux inquiétudes de beaucoup de braves gens, d’autres pauvres victimes de la petite délinquance, d’autres démunis effrayés par plus démunis qu’eux, d’autres futurs exclus qui ne le savent pas encore, mais que globalement elles décrivent de façon contraignante les contours inquiétants d’un néo-monde intolérant que l’on croyait réservé aux films glauques d’anticipation des années 80. Dans ce contexte de restriction des libertés, l’ouverture de droits, pourtant élémentaires ou vitaux, n’est pas près de voir le jour : droit à la différence, à la santé, à une couverture sociale, au logement, à un revenu, au travail, etc. Ces droits passent à la trappe, sous le « Droit écran » que constitue le droit à la sécurité, qui d’ailleurs n’existe pas. A croire que l’insécurité est entretenue pour polariser l’attention des gens et les distraire des luttes sociales.

-4) Arrêté anti-prostitution : L’arsenal policier du gouvernement se met au service d’un Ordre Moral(isateur) et promet un bel avenir à l’épidémie de SIDA. La prostitution, jusqu’à présent, n’était pas interdite par la loi. Elle est devenue officiellement un délit (notion de racolage passif). Ce qui pousse les prostituées à travailler dans une plus grande clandestinité et accroît les risques de violence à leur égard. Elles cumulent souvent les critères d’exclusion : elles sont femmes ou d’une minorité sexuelle, étrangères, sans-papiers, pauvres….Contraintes à une quasi clandestinité, elles perdent le fragile accès aux actions de prévention sanitaire comme celles prônant l’utilisation systématique du préservatif lors des passes. Leur prise en charge psychologique, sanitaire et sociale péniblement construite par des réseaux de terrain, bénévoles ou subventionnés (tournée des bus, associations communautaire) se retrouve mise en péril. Des techniques policières que l’on aurait voulu croire d’un autre âge sont à nouveau employées, comme les nouvelles mesures contre le proxénétisme suspendant à la délation, la remise ou la suspension de peine pour les prostituées condamnées. Et à côté de cela combien de scandales d’état impliquant y compris des politiques montrent que sexe et pouvoir gardent des relations étroites.

-5) Fermeture de Sangatte (2002, N. Sarkozy étant ministre de Chirac) puis fermeture de la « Jungle de Calais » (E. Besson étant ministre de Sarkozy), expulsion des sans-papiers. On proclamait qu’en fermant les lieux d’accueil pour sans-papiers, on leur ferait quitter la France : Echec sur toute ligne. Les incohérences du système et le manque de moyens a propulsé un grand nombre de demandeurs d’asiles dans des foyers et des centres d’hébergement d’où ils chassaient les autres usagers naturels (femmes battues, sortis récents de psychiatrie, clochards) mais cela ne suffit pas. Alors on a chassé les sans-papiers des Centres d’Hébergement. Cet hiver, les clandestins errent toujours dans nos rues mais on ne les voit plus, ils se sont comme dilués dans le brouillard (ou les fumigènes du stade vélodrome[2]).
Quelques uns de ces clandestins sont recueillis par des citoyens courageux osant braver l’opprobre xénophobe entretenue par le climat sociopolitique actuel. Le parallèle avec les français qui osaient secourir les juifs traqués sous Vichy est certes un peu fort, mais il y a un peu de ça. Et dans ce lot, combien de Docteur PETIOT ? Nous voyons parfois, dans les Centre-Médico-psychologiques, des malades mentaux maintenus en situation de clandestinité par le système (ni expulsables, ni intégrables), épaulés et exploités à la fois par des compatriotes peu scrupuleux, en règle eux.
De plus, sous prétexte de bonne pratique, sous la pression des lobbies pharmaceutiques, on a détruit le système d‘assistance et de collecte pour redistribution de médicaments non utilisés. (http://www.humanite.fr/node/31189)

Les Autorisations provisoires de séjour ne protègent pas mieux les malades. Elles ne leur accordent aucune égalité avec le

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