La thérapie de Morita au Japon (2) : réactions et courriel de Shigeyoshi Okamoto
Le courriel de notre rédacteur et psychiatre japonais, en date du 28 août 2011 fait suite à notre article du 29 juillet dernier dans le blog et aux réactions de divers rédacteurs de Psy Cause.
Ainsi Errol Palandjian, psychiatre des hôpitaux à Draguignan, relève la dimension culturelle de la technique de soin qui « traite des troubles liés à des populations de l’Extrême Orient, dans des cultures aux prémices très différents des nôtres ».
Ola Lindgren, psychologue suédois, relève que les psychothérapies ne sont pas toujours aussi différentes qu’il semble. Il note en effet une similarité avec la thérapie comportementale « Acceptance and Committment Therapy (ACT) » qui a des racines bouddhistes. Il conseille aussi la lecture d’un petit essai de Freud « Vergänglichtkeit » qui se trouve dans « Das Land Goethes 1914-1918 ». Une autre proximité est notée par Jean Louis Griguer, psychiatre des hôpitaux à Valence et phénoménologue, qui trouve Shigeyoshi Okamoto très proche de la phénoménologie.
C’est l’intervention de Raymond Tempier, Professeur de psychiatrie au Canada, qui est référencée dans le courriel de notre rédacteur japonais praticien de la thérapie de Morita. Raymond Tempier note que cette thérapie est bien connue des psychiatres japonais mais bien peu à l’extérieur du Japon. Comme d’autres thérapies de ce pays (le Naikan par exemple), elle s’inspire du bouddhisme et correspond à la culture japonaise et à la philosophie Zen, et est de ce fait difficile à appliquer hors du contexte nippon : « je laisserai à mon collègue japonais le travail de nous expliquer en détail de quoi il s’agit dans cette thérapie et si cela serait applicable ailleurs. »
Raymond Tempier constate en ce moment une influence grandissante du bouddhisme dans les psychothérapies correspondant à ce que l’on appelle en Amérique le « mindfulness » à savoir une écoute de ses émotions face au patient, et de sa propension à la compassion au sens fort du terme qui est de « souffrir avec » : « on n’est pas loin de l’analyse des réactions contre-transférentielles quoique le bouddhisme rejette la notion d’inconscient d’où l’incompréhension (fondamentale) des psychiatres de l’Orient face aux psychothérapies dites occidentales. » En Orient, la psychothérapie est avant tout une forme d’enseignement où le Sensei (professeur, guide, etc.) dicte le comportement que le patient doit avoir. « Les patients asiatiques, en général, attendent du Docteur qu’il leur prescrive une conduite ou une action. La neutralité et l’absence de conseils précis font qu’ils abandonnent et vont voir tout autre « counselor », ou même leur pharmacien pour une « vraie » thérapie. Tout est question de culture. »
On ne peut détacher la culture de la façon dont on voit la maladie mentale et ses soins. Ainsi la thérapie de Morita permet au patient de se reconnecter (fortement) avec les autres peu à peu. « Il faut savoir que dans la culture japonaise, une valeur importante est l’attachement aux autres et le fait que l’individu doit être dépendant du groupe et non le contraire. Pour les Japonais, l’enfant nait indépendant et il faut l’habituer à ce qu’il se fonde dans le groupe. On est loin de l’individualisme et de l’éducation vers l’autonomie et la compétition individuelle. »
Raymond Tempier ajoute qu’il a étudié un peu l’histoire de la psychiatrie au Japon et qu’il est fascinant d’apprendre qu’elle a plus de mille ans : « si je me rappelle bien, ils avaient déjà un traité des maladies mentales au 8ème siècle (!) amené et écrit par les moines bouddhistes, et leur médecine kampo (qui comprend aussi le traitement des maladies mentales) est fortement influencée par la médecine traditionnelle chinoise basée sur le flux (ou l’absence de flux en cas de maladie) du qi (ou énergie vitale). » Il conclut en soutenant qu’il est grand temps de réintroduire les notions de culture (et aussi d’histoire dans tous les sens du terme … que ce soit de la psychiatrie ou du patient) dans notre façon de voir les choses en rapport avec la psychiatrie et dans notre façon d’agir la psychiatrie.
Le courriel de Shigeyoshi Okamoto
Après avoir remercié pour le texte à propos de son livre, présentant dans le blog la thérapie de Morita, et les réactions qu’il a suscitées parmi les rédacteurs de la revue, il écrit :
« Parmi les réactions, celle du Pr Raymond Tempier, surtout, a posé plusieurs problèmes suffisamment grands et fondamentaux pour que la discussion soit à leur propos inévitable, et dont la compréhension commune n’est pas toujours facile, car chaque psychothérapie est basée sur sa culture et chaque culture a ses racines. Dans ce contexte, je devrais donner des explications sur la thérapie de Morita en réfléchissant à la culture japonaise en rapport avec les autres cultures. Ceci est un grand travail. Cette fois ci, je voudrais donc simplement parler de quelques problèmes dont il m’apparaît qu’ils sont difficiles à comprendre pour les thérapeutes « occidentaux ».
Il est évident que la thérapie de Morita est inspirée par le Zen, mais surtout la pratique de l’hôpital Sansei où je travaille est beaucoup (ou bien « trop ») influencée par le Zen. Je dois alors dire, d’abord, que ce que j’ai écrit dans le livre a été un peu dévié, le but de ce livre étant la présentation de cet hôpital. D’ailleurs j’oserais dire que mon propre point de vue est basé sur la thérapie de Shoma Morita lui-même, fondateur de cette thérapie.
1- Le but de cette thérapie :
Elle ne vise pas la suppression des symptômes névrotique, mais elle vise le développement de l’humanité. Si l’on n’avait pour nécessité que d’enlever les symptômes, il serait suffisant d’appliquer les autres thérapies, par exemple les médicaments, la thérapie comportementale, la psychanalyse etc.. En revanche, le caractère névrotique a, dans l’intérieur, le pouvoir de se développer, même si de par le blocage de ce pouvoir, se présentent des symptômes. La thérapie de Morita, avant tout, anime ce pouvoir. L’élimination des symptômes névrotiques n’est plus le but.
Tout de même, les symptômes s’éliminent souvent comme l’action secondaire du développement de l’humanité.
2- La guérison dans la thérapie de Morita et l’éveil dans le Zen :
Selon la sagesse du Zen, l’éveil est une fleur qui s’épanouit au chemin de la peine. Autrement dit, aucun éveil sans aucune peine. Ou bien, l’éveil ne peut pas être détaché de la peine, comme l’endroit de l’envers. Même si cette sagesse est paradoxale, elle fait savoir que notre esprit, toujours changeant, ne peut pas être l’objet fixe et qu’il est mieux de vivre sans arrêt, sans aucune solution au niveau de l’esprit. Morita a considéré la guérison comme étant le même état que l’éveil. En soulignant l’importance de la vie dans la réalité, il a dit : « L’effort même est le bonheur ».
3- L’inconscient :
Depuis les temps antiques, la sagesse du bouddhisme apprend qu’il existe l’inconscient dans la profondeur de l’esprit humain. L’élément le plus originel de l’inconscient est la « semence ». Ce qu’on appelle le « bouddha-nature » serait la même chose que la « semence ». Morita, qui n’a pas apprécié la psychanalyse, a proposé l’existence de « l’esprit naïf ». Ceci serait considéré comme un produit d’une découverte de l’inconscient dans le même sens.
4- L’individu et le groupe :
Il est vrai que l’homme se trouve, dans le processus du développement de la vie, en face de deux problèmes contradictoires : l’indépendance et l’absorption des attributs de quelques groupes. Quoiqu’il en soit, l’intégration même de cette contradiction est le travail psychique très important, surtout à l’âge de l’adolescence. Le conflit entre la volonté d’être indépendant et la séduction de l’indulgence des groupes, amène la névrose. La thérapie de Morita aide cette intégration sans résoudre le conflit psychologique. Il est recommandé de vivre obéissant à toute la réalité, avec le soi flexible comme l’arbre souple qui ne se casse jamais même par tempête.
Il reste encore beaucoup de choses dont il est nécessaire de discuter. Mais à la prochaine fois. Merci beaucoup de votre intérêt.
Shigeyoshi Okamoto »
Notre collègue japonais attend donc d’autres réactions et questionnements pour rebondir avec d’autres développements.
Jean Paul Bossuat
bonjour chers tous
je relis avec davantage d’intérêt les principes et processus de la thérapie de Morita.je comprends l’idée de reconnecter son “soi” social ou sociétal à l’essence même du “soi humain” je me demande si cette dynamique régressive peut être envisagée dans le cadre des addictopathies et en particulier l’alcoolisme?
pourriez-vous nourrir mes réflexions en tant que thérapeute?
cordialement
Dr YAPI Lawrence