La revue Psy Cause représentée au second congrès de Santé Mentale de Cotonou au Bénin
Du 14 au 16 octobre, s’est déroulé à Cotonou (Bénin) le deuxième congrès de Santé Mentale de Cotonou. Le Professeur Josiane Ezin-Houngbé, psychiatre, présidente du Comité d’organisation et Professeur au CHU de Cotonou, proposait aux participants une large réflexion entre professionnels de la santé mentale, sociologues, leaders religieux, artistes, étudiants, etc… sur un thème fédérateur : Santé, Modernité et Tradition. Ce congrès incitait donc à réfléchir aux apports réciproques entre les connaissances scientifiques modernes et les médecines traditionnelles, encore fortement ancrées sur le continent africain, dans le domaine de la santé mentale.
La tradition a longtemps occupé le terrain de la santé mentale en offrant des hypothèses explicatives aux troubles telles que la croyance aux esprits, en la réincarnation, le rôle des ancêtres et ou des revenants, croyances qui restent encore vivaces dans la population. La médecine moderne s’est progressivement installée en offrant de nouveaux critères : qu’il s’agisse des diagnostics, des classifications internationales et des traitements médicamenteux. Les deux approches cohabitent encore auprès des patients, et les soignants sont soucieux de respecter les croyances des malades en faisant une place à la tradition dans la palette des soins.
Le Docteur Béatrice Ségalas et le Docteur Catherine Lesourd représentaient la revue Psy Cause dans le cadre de ce congrès.
La première matinée fut consacrée à l’Art-Thérapie, autour d’une belle conférence du Docteur Sophie Fardet, docteur en Art-Thérapie. Le Docteur Fardet a développé le thème « Le remède de l’homme, c’est l’homme ». Sa communication vise à faire des liens entre la thérapie traditionnelle et l’Art-Thérapie. Les guérisseurs ou marabouts utilisent le fort potentiel de l’art : la musique, la danse, le théâtre ainsi que les objets créés (masques, statues, amulettes). Ainsi, l’art dans les thérapies traditionnelles est au centre du dispositif de guérison, reconnu par la communauté. L’art-thérapeute exploite le potentiel artistique de la personne pour améliorer sa qualité de vie, sa relation avec lui même, et avec les autres. L’art n’est pas thérapeutique par lui même, c’est la relation développée par le thérapeute, les méthodes, les techniques, qui lui confèrent ses fonctions thérapeutiques. Le Dr Fardet rapproche ainsi la dimension artistique dans les thérapies traditionnelles africaines et la pratique en Art-Thérapie pour mettre en valeur leur concordance et leurs effets.
Après la cérémonie d’ouverture, qui nous permit d’admirer des danses traditionnelles béninoises, le congrès fut ouvert par la Professeur Josiane Ezin-Houngbé, en présence du doyen de la faculté de médecine et des ministres de la santé, de l’enseignement et de la recherche, des affaires sociales.
Les séances plénières d’ouverture purent alors commencer autour de grands représentants de la psychiatrie africaine. En premier lieu le Professeur René Gualbert Ahyi présenta, avec le cas de sa patiente Camille, « un plaidoyer pour une réorientation et un approfondissement des recherches sur les intrications entre Modernité et Tradition ». Le Professeur Ahyi démontra avec brio les limites des connaissances modernes (symptômes, syndromes, diagnostics positifs et différentiels) si l’on ne tient pas compte « des réalités dites endogènes ou africaines, pour ne pas dire des intelligences non artificielles, mais traditionnelles ». Il nous démontra brillamment comment une juste évaluation de ces croyances traditionnelles fortes (chez le patient comme chez le soignant), peuvent contribuer au processus de guérison et comment leur négligence peut conduire à l’impasse thérapeutique. Il lança un appel aux soignants pour une intrication de cette dimension sociale et spirituelle dans le processus de soins.
Le Professeur Baba Koumaré, professeur de psychiatrie au CHU de Bamako (Mali), poursuit cette réflexion sur Santé, Modernité et Tradition, en ouvrant le débat sur « Mythe et réalité, quelles perspectives ? ». Brillant connaisseur de la mythologie grecque, autant que des traditions africaines, en particulier celles du peuple Bambara, le Professeur Koumaré nous invita à une réflexion humaniste sur ce qu’est la santé dans les différentes cultures, au plan de l’individu, de sa famille et de son groupe social. Le Professeur Koumaré étend sa réflexion de la Grèce antique à Buffon, en créant des liens avec la culture africaine. Il conclut : « l’art de soigner consiste à guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. » L’art de soigner est une pratique sociale qui n’est pas le seul apanage du médecin. Chaque société, en tout temps et sous tous les cieux, s’est dotée de moyens et d’outils thérapeutiques pour combattre la maladie, chasser le spectre de la Mort. Ainsi, si on a pu dire que l’homme est un loup pour l’homme, on peut dire que « l’homme est le remède de l’homme ». Chaque génération, dans une relative opacité, doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. La sagesse des Dongo, peuple chasseur, est une invite à la tolérance et au vivre ensemble. Toute vie est une vie. Aucune vie n’est supérieure à une autre. Les vies se nourrissent les unes des autres.
Nous entendons ensuite le Professeur Tingbé Azalou, anthropologue, parlant du « cheminement thérapeutique à l’épreuve de la tradition de la modernité en culture Fon », puis un sorcier guérisseur adepte de la géomancie : Théophile Lokossou. Ce dernier propose « d’entendre la voix de l’autre dans tout ce qui nous entoure », ce qui implique d’être initié. Dès qu’un enfant nait, une âme se réincarne en lui. Il faut traiter cette âme réincarnée, sinon la personne tombera malade, ou pourra devenir folle. La géomancie est une science qui consiste à identifier sous quel signe est née la personne. Pour soigner la maladie, on doit d’abord soigner l’âme. La géomancie est une technique divinatoire qui s’appuie sur des nombres clés de la vie d’une personne, qui sont accessibles par l’initiation.
Le père Pamphile Fanou, exorciste du diocèse de Cotonou, est venu nous faire part de son expérience avec des malades traités en psychiatrie. Il a souligné l’intérêt de pratiques d’exorcisme, et le regain d’intérêt pour le spirituel dans la prise en charge des troubles mentaux.
Les débats animés entre les orateurs et un public averti et passionné, eurent lieu, après les différents exposés. Il ressort que nos collègues béninois et africains sont intéressés par une prise en charge holistique des maladies mentales, respectueuses des convictions et de la spiritualité des patients.
Le dernier jour du congrès, nous entendîmes la conférence du Professeur Josiane Ezin-Houngbé, qui nous invita à réfléchir sur « les interdits sociaux en milieu Fon et leurs impacts sur la santé mentale des individus ». Le Professeur Houngbé analyse l’impact des interdits sociaux, en particulier alimentaires. Elle démontre que la violation de ces interdits crée des conflits intrapsychiques qui se manifestent par une forte angoisse, une culpabilité et divers malaises psychosomatiques (troubles alimentaires et cutanés). Les interdits touchent l’alimentation, le comportement, l’habillement, les étapes de la vie (la grossesse, la naissance, la mort, l’adultère). La transgression de l’interdit est porteuse de maladie, de malchance. Ainsi l’interdit a un rôle organisateur au plan social et moral. L’interdit est cadrant, structurant pour le groupe social. Enfreindre un interdit, c’est enfreindre une loi traditionnelle et un tabou. Le sens des interdits trouve son origine dans la pérennisation de l’espèce : l’alimentation et la sexualité sont indispensables à la survie de l’individu et à la pérennisation de l’espèce. L’interdit protège l’individu du mal et de la Mort (interdit alimentaire). Il protège l’ordre moral (dans le couple). L’interdit propose ainsi de gérer la communauté. Le respect de la femme, de la virginité, est un élément capital car à l’origine de la survie de l’espèce.
Les ateliers se sont déroulés en parallèle des séances plénières. Au nombre de 40, les interventions ont réalisé un survol des pratiques. Elles nous ont permis d’apprécier la qualité de la réflexion et la diversité de l’expérience de nos collègues africains. Les thèmes retenus étaient :
– Innovation en Santé : angles d’approche et réalisations.
– Prise en charge de pathologies vues par la Tradition et la Modernité.
– Déterminants socio-culturels des maladies.
– Santé mentale et Genre entre tradition et modernité.
Au total donc, le deuxième congrès de Santé Mentale de Cotonou a permis à 160 professionnels de se revoir et d’échanger. Huit nationalités étaient représentées : Bénin, Togo, Mali, Niger, Cameroun, Centrafrique, France et Belgique. Ces journées nous ont permis d’éclairer la diversité des approches et de mesurer l’importance de la domension spirituelle qui reste vivace dans la cilture africaine, à l’opposé de la pratiqie occidentale et européenne.
Docteur Béatrice Ségalas-Talous