Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

La « cellule d’appui » de Psy Cause dans l’Océan Indien (volet I) : congrès de la SOMAP à Antananarivo du 17 septembre 2015

Constituée à Kyoto le 22 octobre 2014 à l’occasion de notre X° congrès international, cette cellule, destinée à appuyer les projets internationaux de Psy Cause International, est composée des Drs Catherine Lesourd (Martinique) et Patricia Princet (Bar le Duc). Ces dernières avaient coordonné, avec le Pr Shigeyoshi Okamoto, notre manifestation scientifique au Japon centrée sur la thérapie de Morita. Elles ont œuvré sur le terrain à deux reprises en 2015 dans l’île de Madagascar : en mars puis en septembre. Elles ont fait connaître Psy Cause auprès des professionnels malgaches qui ont découvert notre revue et des opportunités de publier leurs travaux. Deux psychiatres malgaches, les Prs Adeline Raharivelo et Bertille Rajaonarison rejoignent alors notre comité de rédaction francophone.

 

La Dr Catherine Lesourd, dans un courriel du 18 octobre dernier adressé au président de l’association, insiste sur le rôle de la revue Psy Cause qui donne la parole dans des contextes où cette dernière a des difficultés pour s’exprimer, que ce soit en Afrique ou au Cambodge, assimilant ce type de service rendu au registre de la psychiatrie humanitaire, et concluant : « c’est donc, dans ce sens, une revue unique et importante. » C’est ainsi qu’en accord avec les responsables de Psy Cause International, la cellule d’appui a souhaité aider, au nom de Psy Cause, la Société Malgache de Psychiatrie (SOMAP) à internationaliser son congrès 2015 qui s’est déroulé dans la capitale (Antananarivo) le 17 septembre de cette année. Le compte rendu ci-après, rédigé par la Dr Patricia Princet, fait le récit de cette manifestation. Il constitue le premier volet d’un résumé du travail accompli par la cellule d’appui de Psy Cause dans l’Océan Indien en septembre 2015, un second volet étant annoncé par la Dr Patricia Princet à propos de l’île Maurice.

 

Jean Paul Bossuat

 

 

Premier Congrès International de la Société Malgache de Psychiatrie : « Les soins psychiatriques aux carrefours de la tradition, de la culture et de la religion ». Le 17 Septembre 2015 à Antananarivo

01-Affiche-SomapEn Septembre 2015, les Docteurs Catherine Lesourd et Patricia Princet ont participé au 1° Congrès International de la Société Malgache de Psychiatrie. Ce Congrès s’est tenu à L’Hôtel de Ville d’ Antananarivo sous la présidence du Professeur Adeline Raharivelo , présidente de la SOMAP avec le concours du Professeur Bertille et le partenariat du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, du Président de l’Université d’Antananarivo et du Doyen de la Faculté de Médecine d’Antananarivo .

 

Le thème des soins psychiatriques aux carrefours de la tradition, de la culture et de la religion a permis de nombreux échanges entre les orateurs et près de 100 participants malgaches travaillant dans le domaine de la santé mentale : psychiatres, médecins généralistes, psychologues, internes. Nous représentions, Catherine et moi, la France et Psy Cause mais une collègue de la Réunion, le Docteur Alice Ranorojaona, était aussi présente

 

La première communication a porté sur « le recours des psychotiques aux tradipraticiens et à la religion » par le Dr Bakohariliva Hasinavalona , interne à l’USFR Neuropsychiatrique HJR Befelatanana. Il s’agissait d’une étude sur 16 Mois décrivant le parcours de patients psychotiques depuis le début de la maladie avec passage ou non chez le tradipraticien. La conclusion s’orientait vers un pronostic plus grave en matière de traitement chez les patients ayant eu un contact avec le tradipraticien, du fait d’un retard de diagnostic. Par contre s’il existait une alliance thérapeutique entre le tradipraticien et le psychiatre, la compliance aux soins était meilleure.

 

02-SalleLe Docteur Alice Ranorojaona Pèlerin, Doctorant en Anthropologie de l’Ile de la Réunion, a présenté « le Joro , un rituel thérapeutique en santé mentale pour finir un deuil ». Le travail consiste, après avoir recensé les traumatismes du patient, listé les émotions qui vont avec, à donner ensemble un sens à son mal être et à réaliser un acte pour changer son vécu de son ancienne histoire. Cela passe par un rituel symbolique, « le Joro », où l’on sépare le monde des morts de ceux des vivants, où le patient décide de se séparer de manière consciente de ses anciennes émotions, et de substituer un seul sentiment d’amour à la place. Ce rituel est élaboré avec le patient en fonction de sa culture et de ses représentations personnelles. L’image de la poupée russe est souvent utilisée où l’on se débarrasse de ses représentations négatives pour se retrouver à l’état primaire. Ce travail se fait en ambulatoire dans le cabinet du médecin.

 

Le Docteur Ratsaramandimby Vololona, Psychiatre à l’USFR deNeuropsychiatrie HJR Befelatana a présenté « la place de la religion chez les patients souffrant de maladies psychiatriques et dans le soin en psychiatrie ». Il s’agit d’une étude observationnelle de type descriptive, multicentrique, concernant des patients souffrant de maladie psychiatrique suivis en ambulatoire depuis plus de 15 ans. Les praticiens travaillant en milieu psychiatrique ont été interviewés. Parmi les 43 patients inclus, 65% sont célibataires , 60% sont psychotiques. Les religions prédominantes sont les protestants (42%) et les catholiques (37%). Le tiers des patients a mentionné spontanément que la religion est l’une des stratégies utilisées pour faire face à la maladie. La religion est utilisée de façon positive et négative. Dans la majorité des cas, les praticiens interrogés acceptent que leur patient aborde les questions d’ordre spirituel en entretien, dont la moitié utilise même la religion comme ressource. En conclusion, la religion a sa place dans la vie des patients pour faire face à sa maladie. Les praticiens sont ouverts à la question

 

03-TribuneLe Docteur Patricia Princet a pour sa part évoqué « les traditions, culture et religion dans le développement de la psychiatrie française. À l’origine de la psychiatrie française, se trouve la religion où le suicide et la mélancolie étaient des péchés mortels et la folie une possession démoniaque. A la renaissance, elle suit le courant du développement artistique pour enfin rentrer dans une conception médicale à partir du XVIII° siècle. En parallèle, la prise en charge des « fous » suit les évolutions politiques de la société française à travers la déclaration des droits de l’Homme, le Code Napoléon, les principes de la III° République et le chaos des 2 guerres mondiales. De nos jours, la psychiatrie française se trouve au carrefour des traditions avec des prises en charge multiethniques, des cultures avec le poids des politiques françaises et européennes. La religion a moins d’impact, renvoyant à une baisse de la religiosité en France.

 

Le Dr Randrianarivo Raphael, Interne en psychiatrie Section Santé Mentale EUSSPA, a évoqué « les Facteurs liés au fardeau chez les aidants des malades atteints de démence à Antananarivo ». Il s’agit d’une étude rétrospective, transversale et descriptive allant d’août 2014 à juillet 2015. L’Echelle de Zarit a été utilisée pour mesurer le niveau du fardeau chez les aidants de déments. Les facteurs liés avec le niveau du fardeau de l’aidant ont été recherchés en utilisant le test du chi-carré. 32 aidants principaux ont été recensés. Le niveau du fardeau de l’aidant est lié avec la situation matrimoniale (dément célibataire), la perte de la motivation, le trouble du langage du dément, le lien de parenté ( les collatéraux du dément), la réduction des activités, la sensation du fardeau, l’absence d’aidant secondaire, le conflit intrafamilial.. Toutefois l’appui apporté aux aidants doit être adapté selon les cas. Il faut ainsi dépister les aidants qui ont besoin de soutien. Toutefois, l’appui apporté aux aidants doit être adapté selon le cas. Un centre d’accueil, de diagnostic et de prise en charge à la fois pour le dément et la famille sont certainement nécessaire.

 

Après un petit intermède à travers l’évocation de Jack l’Eventreur dans une approche psychocriminologique par le Dr Patricia Princet, les communications sur l’approche de la maladie mentale à Madagascar se sont poursuivies par « la conception de Betsimisaraka des maladies mentales » exposée par le Dr Ratobimanakasina Herilanjahiarena, Psychiatre, Service de Psychiatrie CHU Toamasina. Les Betsimisaraka, population de la côte Est de Madagascar, dont la capitale est Tamatave, le grand port maritime malgache, ont comme toutes les autres ethnies leur propre conception de la maladie mentale. A travers des propos recueillis auprès des peuples autochtones, cette étude nous apporte plus de précision sur les rites traditionnels betsimisaraka tel le « tsaboraha », le « fagnovan-draha »dits « mahôla » ou « fôka » selon la conception qui sévit en brousse de nos jours. La religion fait appel à la délivrance dans les « toby » pour chasser les démons chez les malades mentaux selon leur propre conception. La psychiatrie est en dernier recours. Il n’est pas rare de recueillir des malades ligotés dans le service. Une sensibilisation s’impose sur la place que doit prendre la psychiatrie devant ces diverses conceptions. Le souhait de la population est que l’Etat prenne en charge les médicaments antipsychotiques.

 

La dernière communication a porté sur « le traitement psychothérapeuthique des troubles mentaux à Madagascar » par le Dr Andriamanjato Hasina, Interne en Psychiatrie Section Santé Mentale EUSPPA. À Madagascar, le mouvement de réveil Malgache prend en charge de nombreux malades mentaux. Les Malgaches ont leur propre conception des maladies, en particulier la folie et les maladies mentales qui sont étiquetées comme des maladies surnaturelles s’opposant aux maladies reconnues comme naturelles. Les étiologies sont attribuées le plus souvent à des actes de sorcellerie, à des possessions par des esprits mal attentionnés ou suite au non respect des devoirs des ancêtres, à la transgression des tabous par exemple, et les traitements doivent être pratiqués en conséquence. Au centre de réveil dirigé par « les directeurs confessionnels » ou « Bergers », se déroulent les mouvements de réveil pour soigner les maladies mentales avec de bonne dose d’actes spirituels : prédication de la parole dispensée au cours des services religieux réguliers et dont l’objectif est d’indiquer la voie de la Rédemption, séances (collectives ou individuelles) de prières, imposition des mains. Les avantages pour la famille sont : un être moindre coût et déchargées du poids des soucis. Par contre, les aspects négatifs sont multiples : le retard de diagnostic psychiatrique précis et /ou bien documenté, l’absence de chimiothérapie adéquate. Pour conclure, néanmoins, cette conception socio-culturelle malgache de 04-photo-groupela maladie mentale : la possession démoniaque, la sorcellerie dans laquelle une intention maléfique provoque par l’intermédiaire d’un procédé magique le malheur de la personne persécutée, correspondent à ce qu’affirme Foster dans son étude des systèmes étiologiques traditionnels. Le malgache a sa façon de considérer certaines pathologies, de les concevoir, de les traiter selon sa culture, ses tabous et sa capacité d’adaptation, d’aptitude, à l’acquisition des civilisations introduites à Madagascar.

 

Ainsi ce sont achevés nos travaux avec la promesse de poursuivre ce partenariat franco malgache. Et cela sera chose faite en Avril prochain avec le projet de monter un séminaire de criminologie avec l’équipe de Bar le duc sur Antananarivo.

 

Patricia Princet

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