Journal du congrès d’Ottawa : carnet N°9. Rencontre avec les Mohawks (5 et 10 octobre)
Cette seconde journée du congrès Psy Cause « Minorités culturelles et Santé mentale » à l’Hôpital Montfort, est également très riche. Deux heures durant, nous débutons la matinée par une rencontre avec la culture et les problématiques amérindiennes dans le cadre d’une équipe de santé mentale au sein du territoire Mohawk de Kahnawake situé au sud de Montréal en bordure du Saint Laurent. S’est déplacée pour l’occasion, toute l’équipe de santé mentale qui intervient sur ce territoire, en particulier trois communicants Mohawks de Kahnawake. Le Dr Jean Dominique Leccia, professeur adjoint dans le département de psychiatrie de l’Université McGill à Montréal et psychiatre intervenant dans ce territoire Mohawk, introduit cette rencontre par une présentation de cette réserve amérindienne située à deux pas de la ville de Montréal, au sud et en bordure du fleuve Saint Laurent, d’une superficie de 42 Km2 pour 8600 habitants.
Dans le livret de présentation qui nous sera remis lors de notre visite de Kahnawake le 10 octobre, on peut lire : « Nous, les Mohawks de Kannawake, sommes une ancienne nation avec une histoire riche. Kahnawake est connue pour la contribution inestimable de ses membres au montage des hautes charpentes métalliques des gratte-ciel d’un grand nombre de villes américaines. Kahnawake et notre peuple Kanienkehaka (ou peuple de l’emplacement du silex) font partie de la Nation mohawke, qui fait partie des Iroquois de la ligue des Cinq Nations (…) Nous sommes l’une des huit communautés qui forment la Nation Mohawke. » Nous lisons également l’importance du pow-wow (« Échos d’une nation fière ») qui se déroule depuis 1991 dans une petite ile sur le Saint Laurent en bordure de la réserve aux environs du 11 juillet pour « promouvoir la compréhension interculturelle entre Autochtones et non-Autochtones ».
Une visite de la réserve, nous informe le Dr Jean Dominique Leccia, ne provoque pas un choc architectural. Les maisons sont bâties selon l’architecture traditionnelle du sud de Montréal, et correspondent à un niveau de vie aisé grâce à des facilités économiques légales en particulier dans le commerce du tabac et des échanges intenses avec les États Unis voisins. Lorsque nous visiterons ces lieux en fin de séjour, nous pourrons constater l’existence d’une communauté plutôt prospère même si elle a ses riches et ses pauvres. Nous pourrons voir quelques points forts comme la maison des anciens, un établissement pimpant pour personnes âgées très ouvert sur l’extérieur où les pensionnaires demeurent entourés et intégrés, et l’école où les trois langues (anglais, français et mohawk) sont enseignées, la langue d’usage utilisée avec nous, étant l’anglais. Un effort important est consenti pour défendre voire reconstruire la culture traditionnelle.
Historiquement, nous renseigne également le fascicule d’accueil, la Mission Saint François Xavier construite en 1720 a joué un rôle important à Kahnawake en faveur des « Iroquois chrétiens » qui étaient protégés. Il en reste une charmante petite église catholique avec le tombeau d’une sainte, Kateri Tekawitha (« Celle qui avance en hésitant »), appelée aussi la « Lys des Mohawks ». Jeune Mohawke convertie par les Jésuites à l’âge de 20 ans, elle vécut de 1656 à 1680. Son procès en béatification commencé en 1943 a débouché sur une canonisation en 2011 par le pape Benoit XVI qui l’a déclarée sainte. Ce qui en fait la toute première Amérindienne d’Amérique du Nord à être canonisée. La cérémonie se déroule le 21 octobre 2012.
Le Dr jean Dominique Leccia exprime à la fin de son exposé que s’il se sent bien en phase avec la communauté Mohawk, c’est en raison de ses racines corses et de son attachement à une culture minoritaire qui défend son identité en France.
Après la présentation du Dr Jean Dominique Leccia, prend la parole Mr John Mayor, intervenant communautaire dans l’équipe de santé mentale et conseiller autochtone en addictions. Il nous apprend que les Mohawks se sont tournés vers le Centre hospitalier Anna Laberge de Châteauguay pour leurs besoins d’hospitalisation en psychiatrie. Le Dr Jean Dominique Leccia, psychiatre qui fait partie du personnel médical de ce centre rencontre régulièrement Mr John Mayor lors de séances régulières de synthèse au Centre médical de Kanawake. Bien qu’anglophones minoritaires au Québec, les Mohawks ont accordé leur confiance à un psychiatre francophone… et ont accepté de venir à un congrès d’une revue qui défend l’expression scientifique en langue française (dans un contexte international minoritaire par rapport aux publications anglophones). Le paradoxe, comme le souligneront le Dr Jean Dominique Leccia et le Dr Jean Paul Bossuat, n’est qu’apparent car au delà d’une langue, il y a l’esprit dans lequel on l’utilise.
Le second intervenant Mohawk, Mr Tom Deer House, est un intervenant communautaire de l’équipe de santé mentale très investi dans la promotion de la culture Mohawk. Il nous fait un rappel de la cosmogonie mohawk, de leur vision du monde et de la santé en général.
Il nous conte l’histoire de la création, de deux jumeaux qui ont été élevés par leur grand-mère après le décès en couche de leur mère. Le récit de la création situe dès les premiers temps une première société de médecine (Hadoui) pour aider ceux qui sont malades. La grand-mère a favorisé l’un d’entre eux mais c’est l’autre qui inventa la première tente de sudation et prit le dessus comme créateur principal. Le peuple issu des créateurs s’étend sur la terre mais les familles se divisent, connaissent la mort, le deuil et les pertes. C’est alors qu’un jeune homme a une grande idée : il interroge la femme ainée et constitue des clans matrilinéaires. Les clans sont le cerf, l’ours, le bécasseau, l’anguille, la tortue, le loup, le faucon et le castor. Les avantages du clan sont de constituer des liens de solidarité : un clan qui a une perte peut compter sur d’autres clans qui ne sont pas en deuil ; lors de la mort d’un chef, les autres clans apportent condoléances et réconfort au clan en deuil ; on retrouve des membres de sa famille partout où l’on retrouve des membres du même clan. Le peuple continue de se répandre en divers territoires donnant naissance à des Nations qui sont entrées en guerre contrairement aux enseignements d’un jumeau créateur sur la façon de vivre en paix. Alors nait en territoire Huron, selon une naissance virginale, un enfant destiné à être le pacificateur. Son message se propage d’est en ouest.
De nos jours, on reconnaît dans le pays amérindien qu’il y a des individus avec des dons, appelés guérisseurs, voyants. Tous les peuples autochtones ont accès à des tentes de sudation, à la société hadui et à la médecine. L’amérindien est invité à « s’asseoir dans un clan pour assister à des fonctions, à assister à des festivals, à accéder à des guérisseurs traditionnels et à suivre les recommandations des voyants. » Des consignes du pacificateur ont également débouché sur des modalités de gouvernance et de pratiques de cérémonies.
Après cet exposé de Mr Tom Deer House, une travailleuse sociale Mohawk de l’équipe de santé mentale, Mme Loanna Zakarie, entre dans le vif du sujet en nous parlant des contraintes particulières de sa pratique en territoire Mohawk à Kahnawake. Elle nous raconte son histoire : « je suis née à Kahnawake où j’ai vécu presque toute ma vie. J’ai grandi avec les mêmes gens que je vois encore, jour après jour. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, je suis une travailleuse sociale professionnelle. J’ai fait beaucoup d’erreurs en grandissant et, contrairement à ceux qui vivent dans les grandes villes, ou ceux qui se sont déplacés, je ne peux pas échapper aux choses que j’ai faites… Une chose est sure, personne n’oublie dans une petite ville. Alors, imaginez une minute, votre propre voisinage pendant l’adolescence, ou quand on est jeune adulte. Maintenant imaginez que chacun de vos clients, vos collègues ou votre réseau de professionnels connaissent ou ont accès à chacun des petits détails de ces années vécues. Ça, c’est notre vécu à Kahnawake. » Elle poursuit (ce compte rendu est basé sur son power point) par le problème du manque d’anonymat et de confidentialité dans sa pratique. Elle a un rôle à jouer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 : « si je suis dans un restaurant local et que je commande un verre de vin, comment vais-je paraître face à un client avec lequel mon travail consiste à le diriger vers des modes de vie plus sains ? Qu’advient-il de ma crédibilité ? Si je veux sortir et danser et si je participe à une danse communautaire ou dans un bar local, comment cela se reflète-t-il sur mon professionnalisme si je suis entourée par des clients, des familles de clients et/ou des amis de clients ? » Elle explique qu’elle doit aller en dehors de la réserve pour avoir un soutien anonyme.
Elle est également confrontée à des questions de frontières et de conflits d’intérêt. Par exemple « lorsqu’un ami personnel commence à jaser sur une affaire où vous venez d’intervenir avec lui. » Autre situation : « vous avez un ami proche qui est l’ami intime ou le parent d’un client. Vous pouvez recevoir des informations que le client ne sait pas que vous avez. Ce peut être source de maladresse lors d’un dîner ou avec les invités lors d’une fête. Comment maintenez vous la confidentialité et l’amitié ? » Elle peut même se voir affecté un client qui peut avoir été un ami d’enfance, un ancien amour, l’enfant d’un vieil ami. Elle a le souci de l’interaction des membres de la famille, des amis et leurs partenaires et de leurs comportements. Elle expose un cas clinique à propos d’une fille de 13 ans qui lui est affectée pour dépression pour procéder à une évaluation avec la famille et procéder à une évaluation des besoins. Elle raconte en détail qu’elle connaît très bien les deux parents. « J’ai exprimé le conflit d’intérêts potentiel à mon supérieur et il a été décidé que je poursuivrais le dossier à condition que les parents soient d’accord avec le processus, ce qui fut le cas. » Suivent une cascade de découvertes sur la vie de la fille, la vie conjugale des parents. Un ami intime lui donne des infos. À un anniversaire elle apprend que sa nièce est amie de la fille. Et tout devient quasiment rocambolesque. Un cas extrême peut être mais qui illustre bien les embuches d’un travail dans sa communauté.
Le cycle des présentations s’achève par un débat animé et les remerciements des organisateurs du congrès aux intervenants Mohawks pour la participation à nos travaux, ainsi qu’aux autres membres de l’équipe de santé mentale et tout particulièrement au Dr Jean Dominique Leccia qui a organisé cette rencontre. Quelques jours plus tard (le 10 octobre), le groupe des professionnels français est reçu à Kahnawake. Une cérémonie d’accueil Mohawk est organisée à notre intention. Il nous est ainsi signifié symboliquement que des liens privilégiés se sont établis. Le Dr Jean Dominique Leccia nous explique ensuite, que cette cérémonie est très rare. Elle témoigne que la communauté Mohawk de Kahnawake nous honore de sa confiance. Nous sommes ensuite guidés par nos hôtes dans une visite de ce territoire Mohawk. Cet accueil sera notre dernière expérience avant de regagner quelques heures plus tard la France.