Journal du congrès d’Ottawa : carnet N°8. Après-midi de travail et soirée anniversaire du 4 octobre
L’après-midi à l’Hôpital Montfort débute par deux séances de travail sous la forme de deux ateliers fonctionnant en parallèle. Dans l’atelier N°1, la Dre Marie Ève Cotton, psychiatre à l’Institut Universitaire en Santé Mentale de Montréal et psychiatre consultante au Nunavik (dans le grand nord du Québec) nous fait un exposé sur les représentations des maladies mentales dans la culture Inuit à l’aide d’un diaporama dont les illustrations par des œuvres d’artistes inuits, sont très appréciées. Rappelons que les Inuits étaient jadis connus sous la dénomination d’Eskimos. Sa démarche thérapeutique l’avait amenée à prendre conscience de l’ampleur de la détresse qui touche les Inuits : taux de suicide alarmant, mortalité infantile importante, pauvreté endémique.
Pendant ce temps, dans l’atelier N°2, le Dr Marc Mauguin, psychiatre dans le Programme de Santé mentale de l’Hôpital Montfort d’Ottawa, consultant à Kapuskasing dans le nord de l’Ontario, communique sur le thème de la télépsychiatrie, technique au service des communautés isolées. Le Canada étant un pays doté d’immenses espaces très peu peuplés mais où la souffrance mentale est présente, cette technique y est incontournable. La petite ville de Kapuskasing, à 68% franco-ontarienne, peuplée d’un peu plus de 8000 habitants, est économiquement liée à l’industrie hydroélectrique. Elle est à environ 900 Km d’Ottawa et seulement 300 Km de la baie d’Hudson, c’est à dire de l’océan Arctique. Le climat y est rude et les communications peuvent être interrompues par mauvais temps. Cette petite ville est un exemple type de l’intérêt de consultations à distances par internet, à l’aide de liaisons sécurisées établies préalablement et reçues dans des dispensaires. Cette communication, très applaudie, est complémentaire de la première communication de l’atelier N°1, également axée sur les soins dans le nord canadien, loin des grands centres urbains.
L’atelier N°1 poursuit avec un sujet de société sensible et qui fait débat, celui des enfants de parents homosexuels. Deux communicants français se sont intéressés à cette réalité d’une minorité sexuelle et ont proposé de s’exprimer sur ce sujet : le Dr Thierry Lavergne, psychiatre domicilié à Aix en Provence, secrétaire de rédaction à l’Amérique du Nord dans la revue Psy Cause, et Mme Joelle Szymanski-Khalil, psychologue/psychanalyste dans le pôle universitaire de psychiatrie de l’Hôpital Sainte Marguerite à Marseille. En leur absence excusée et au vu de l’intérêt de leur contribution, nous avons procédé à une présentation centrée sur le diaporama du Dr Thierry Lavergne lu par le Pr François Borgeat (selon la demande de l’auteur), tandis que le Dr Jean Paul Bossuat apporte ensuite un commentaire sur les imagos parentales s’inspirant du travail du second auteur. L’institut National (français) des Études Démographiques, fait observer le Dr Thierry Lavergne, évalue qu’en 2005, en France, entre 24 000 et 40 000 enfants sont élevés par des concubins homosexuels. L’Association des Parents Gay et Lesbiens (AGPL) avance, selon des critères différents, un chiffre beaucoup plus important pour ce même pays : entre 100 000 et 200 000 enfants seraient concernés par l’homosexualité d’au moins un parent, sur 14 millions d’enfants. Parmi les 20 000 personnes (environ) en couple de même sexe qui élèvent un enfant en France, on compte principalement des couples de femmes alors que les couples d’hommes sont les plus nombreux. En mai 2013, ce sont environ 150 000 personnes (un million selon les organisateurs) qui manifestent contre la loi autorisant le mariage des personnes du même sexe. Les désaccords, selon le Dr Thierry Lavergne, portent sur les droits de filiation liés au mariage, la notion de famille, l’intérêt de l’enfant …
La question de l’intérêt des enfants, poursuit le Dr Thierry Lavergne, est difficile à évaluer en raison d’échantillonnages peu nombreux. Il est possible de dire aujourd’hui que les résultats des études existantes, non dépourvues de failles méthodologiques, ne conduisent pas au constat d’une plus grande vulnérabilité des enfants. Divers témoignages d’enfants concernés, relevés dans le journal Le monde par l’auteur ne sont pas alarmants. Le Dr Thierry Lavergne fait observer une banalisation des changements rendus possibles par les progrès scientifiques : « le progrès permet de maîtriser de plus en plus le choix de la filiation biologique, et de ne plus la corréler systématiquement à l’acte hétérosexuel. La contraception est aujourd’hui facile. La procréation médicalement assistée se banalise. Certains pays autorisent les mères porteuses. Le test ADN de paternité est en vente sur internet. »
Le débat avec le public a principalement porté sur l’aspect psychanalytique de la question. Le Dr Thierry Lavergne rappelle que chez Freud, « le père est une figure incontournable de l’Œdipe, prémisse aux identifications et sublimations socialisantes », que Lacan « lui donne une fonction symbolique au cœur de la constellation familiale », et que « tous deux en font un invariant humain structurant et porteur des interdits majeurs de la civilisation ». Une question porte alors sur l’existence du complexe d’Œdipe lorsqu’un enfant est élevé par un couple homosexuel. Le Dr Jean Paul Bossuat remarque que nous avons là un débat sur une éventuelle universalité du complexe d’Œdipe que l’on retrouve dans les débuts de la psychanalyse avec le célèbre débat Freud/Malinowski. L’anthropologue avait observé que les enfants des îles Trobriand en Mélanésie n’étaient pas élevés par leurs parents biologiques mais, dans leur société matrilinéaire, par les oncles maternels. Ce débat lors des années 1915 à 1918, a conclu à l’universalité du complexe d’Œdipe, le jeu des identifications structurantes s’effectuant avec les substituts parentaux. La psychanalyse fait d’ailleurs la différence entre le sexe biologique et le sexe fantasmatique. Dans les couples homosexuels, les deux partenaires se répartissent entre les positions masculine et féminine.
Dans la communication qu’elle nous a transmise, Mme Joelle Szymanski-Khalil écrit : « Comment le complexe d’Œdipe peut-il se jouer dans un cadre d’homoparentalité ? Peut-il encore permettre à l’enfant de constituer sa propre identité sexuelle? D’un point de vue psychanalytique, il n’est pas surprenant de constater qu’un enfant qui grandit avec des parents de même sexe soit capable de faire la différence des sexes; c’est aussi le cas des enfants qui grandissent avec un seul parent. La différence sexuelle est marquée symboliquement, elle est nommée par les mots « père » ou « mère » qui désignent des personnes et des places distinctes. En fait, l’enfant s’identifie à l’inconscient des adultes qui prennent soin de lui, il s’identifie à ce que l’adulte voit en lui, en l’occurrence au sexe qui lui est assigné. Deux hommes homosexuels voient dans leur fille une femme en devenir, et deux femmes lesbiennes voient dans leur fils un futur homme. Si cela n’était pas le cas, nous ne serions pas face à un problème d’homoparentalité mais face à un fonctionnement psychotique. L’enfant peut s’identifier aux rôles différents de ses deux homoparents. »
L’atelier N°1 s’achève avec une communication fort originale : l’introduction d’un chien d’accompagnement social auprès de patients atteints de maladie d’Alzheimer. La Dre Patricia Princet, présidente de la CME à l’Hôpital de Fains Veel, chef de service de psychiatrie et rédactrice de la revue Psy Cause, nous présente un diaporama explicitant à l’aide de photographies, les différentes facettes du « travail » du chien dressé pour venir en aide à ces patients : le contact physique avec le chien, l’incitation au déplacement favorisant la motricité, l’insertion déstigmatisante auprès d’autres maîtres, l’aide à l’endormissement etc… Le chien d’accompagnement social donne de la vie à ces patients déficitaires.
L’atelier N°2, pendant ce temps, s’achève avec une communication traitant de l’intervention interculturelle en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme. L’intervenante, Mme Geneviève Saulnier, est doctorante en service social à l’Université d’Ottawa et exerce à Gatineau dans le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble envahissant du développement. Sa communication a bien des points communs avec celle qui clôture l’atelier N°1.
Après une pause, les congressistes se regroupent en réunion plénière pour les dernières communications de l’après-midi. Mme Marie José Pahin, psychologue/psychanalyste à Marseille et rédactrice en chef de la revue Psy Cause, aligne sur le mur une rangée de mathèmes lacaniens, à savoir les quatre discours et la rotation de quatre concepts (le Signifiant maître S1, la signification produite S2, l’objet a et le Sujet S barré) sur 4 places, qui correspondent au bon déroulement d’une psychanalyse étalée sur plusieurs années. Certains congressistes l’avaient mise en garde quant à l’accueil d’un public nord-américain à une telle approche et étaient perplexes. Le public est captivé par la clarté de sa démonstration vivante et convaincante qui démontre une très grande maîtrise de concepts lacaniens complexes, et salue la performance en l’ovationnant à la fin de son exposé. Le cas clinique, de surcroit, s’inscrit dans la problématique des minorités puisqu’il évoque la stérilité d’une analysante qui se transfigure au final dans l’explicitation du fantasme inconscient lié à l’aliénation au désir de sa mère corse qui n’aimait que les morts mis en terre : « Cette-terre-île, la Corse ».
Interviennent ensuite dans une même communication, le Pr François Borgeat, président du comité scientifique du congrès, rédacteur de la revue Psy Cause, membre de la commission canadienne de santé mentale, et Mme Carmen L’Allier, travailleuse sociale, sa conjointe, tous deux exerçant à Montréal. Le propos des communicants est « de parler des patients entre deux chaises dans nos programmes spécialisés par catégories diagnostiques. » Au Québec, comme en Ontario, on ne parle pas de services de psychiatrie, encore moins de secteur. La tendance est la spécialisation en fonction de la pathologie : le « programme ». Ce qui présente l’avantage d’avoir des soins plus pointus et de faciliter la recherche. Ce qui a l’inconvénient de marginaliser des minorités diagnostiques. Tout est question de dosage entre l’approche hyperspécialisée et l’approche généraliste. Il n’y a pas de solution miracle en la matière et cette communication dont l’un des auteurs est un responsable de la politique de santé mentale au Canada prouve qu’il y a un questionnement.
Ce questionnement conclut cette première journée de travail du congrès. Il est proposé aux congressistes de prendre la route pour se rendre au souper de gala qui se déroule en Québec au Moulin de Wakefield, à une trentaine de kilomètres au nord de la Rivière des Outaouais.
Ce souper a une connotation particulière puisque nous y fêtons les 18 ans de Psy Cause. Les deux fondateurs présents : le Dr Jean Paul Bossuat et Mme Marie José Pahin qui ont été partie prenante dans la conception du N°1 de la revue Psy Cause, paru en septembre 1995 (numéro à lire sur le site psycause.info), sont appelés à souffler la bougie mise à disposition par le restaurateur. La présence du Pr Raymond Tempier à cet anniversaire est toute aussi symbolique puisque ce n’est que trois années plus tard, dans le N°13 paru en septembre 1998, que son épouse Ann Carson Tempier publiait un article intitulé : « Une expérience dans le traitement des agresseurs sexuels (au Canada). » En 2001, le directeur de la revue visitait plusieurs établissements du Québec (dont l’Hôpital Pierre Janet) sur la suggestion du Pr Raymond Tempier retrouvé à Montréal. Ce fut le début de liens privilégiés qui sont à l’origine, quelque part, de notre anniversaire de Psy Cause en Québec ce 4 octobre 2013.
Jean Paul Bossuat
Merci au Pr Ray Tempier d’avoir insisté pour que malgre mon absence je prepare et envoie un power point qui m’a donné l’opportunité de partager ma relexion sur le sujet, merci au Pr Francois Borgeat d’avoir eu le courage de le presenter malgré les aspects polemiques, merci a Dr Jean Paul Bossuat d’avoir rappelé l’invariant structurel de l’oedipe puisque les imago parentales parcellaires sont portées par chacun des responsables de l’enfant (substituts parentaux, parents isolés, parents hetero, parents homo, parents recomposés…etc…) Il y a seulement lieu de permettre qu’elles ne soient pas altérées, et restaurées s’il le faut, afin que l’enfant puisse s’appuyer dessus et s’y identifie? ce qui est donc en faveur de la reconnaissance symbolique (par la loi) de la filiation homosexuelle
Bien amicalement à tous, j’etais avec vous par la pensée,bravo à psy-cause pour ce magnifique congrès…
Dr ThieryLAVERGNE
Pedodpsychiatre, psychiatre