Journal du congrès d’Ottawa : carnet N°4
Ce quatrième carnet débute avec le week-end du 28/29 septembre dont les températures estivales incitent les Canadiens à randonner ou pédaler dans les innombrables pistes qui parcourent la nature. Le samedi, après l’achat des badges et l’impression d’affiches pour le congrès dans une grande surface spécialisée, nous découvrons de nouveaux paysages sur la rive québécoise de la Rivière des Outaouais. La saison avance et les couleurs automnales qui font la renommée de l’été indien canadien s’installent peu à peu. Dans quelques jours lors de l’arrivée des congressistes français, ce sera de toute beauté.
Le dimanche, nous retournons au Moulin de Wakefield car le manager compétent pour la restauration, Mr François Létourneau, est présent. Nous négocions des places supplémentaires pour les congressistes canadiens qui souhaitent venir au souper de gala du vendredi soir. De plus, comme nous fêterons, ce soir là, les 18 ans de Psy Cause, nous avons convenu des bougies à présenter sur des pâtisseries prévues dans le menu par notre partenaire Morgan Tours. Nous avons eu le souci d’ajouter une touche de solennité pour marquer comme il se doit cet événement. Il s’agit presque d’une seconde naissance puisque nous n’avions plus fêté d’anniversaire de Psy Cause depuis 15 ans. Si l’on considère les transformations dans notre revue et association depuis une année, (celles actées à l’automne 2012 et celles opérées au premier trimestre 2013), oui, il est pertinent de dire cela.
Notre promenade dominicale a pour point de départ le Moulin de Wakefield et de belles limousines américaines de collection parquées là par les membres d’un club de collectionneurs de l’Ontario. La forêt du parc de la Gatineau à laquelle on accède de suite, offre au visiteur une palette de couleurs aux touches vertes, oranges et rouges.
Le village de Wakefield fut fondé en 1830 par des immigrants irlandais, écossais et anglais. Son nom reprend celui d’une ville située dans le West Yorkshire en Angleterre. Ce village est donc une enclave anglophone à une demi-heure au nord de Gatineau/Ottawa, en Québec. Mais, comme nous l’a fait remarquer le Pr Raymond Tempier, « anglophone ne veut pas dire Anglais ». Les communautés irlandaises, bien qu’anglophones, se situent politiquement dans une certaine proximité des francophones. Et nous avons vu que des anglophones d’origine anglaise pouvaient être amoureux de la culture française et en être d’ardents défenseurs au Canada. L’histoire récente de l’Hôpital Montfort en est un exemple. Le fait communautaire linguistique est donc d’une grande complexité et tout en nuances. Le passé, le présent et le futur se heurtent dans ces lieux, générant une richesse culturelle d’une diversité plus marquée qu’aux États Unis voisins. La ville d’Ottawa, capitale du Canada, est attachée à cette diversité et la met en avant dans sa position en faveur du bilinguisme.
Le lundi dernier jour de septembre, à 4 jours du congrès, est très chargé. Nous sommes allés dans deux nouvelles institutions d’Ottawa. Tout d’abord, en plein centre d’Ottawa, nous sommes reçus par la directrice de Montfort Renaissance. Comme son nom l’indique, cette institution a pour point de départ historique l’Hôpital Montfort. Elle est complémentaire des soins hospitaliers. Sans nier l’intérêt de l’institution hospitalière, elle se situe dans une logique de désinstitutionnalisation, au sens où l’objectif est d’amener le patient atteint de problèmes mentaux, à être suffisamment autonome pour se passer d’institution : « notre but n’est pas de garder les clients, mais de donner des outils pour être autonome, ce qui n’est pas la guérison qu’il est bien souvent illusoire d’envisager. » La directrice, Mme Jeanne Hélène Tardivel, Française et Bretonne d’origine, nous donne l’exemple des personnes âgées qu’elle accueille dans le 162 rue Murray où elle nous reçoit, qui sont atteintes, pour certaines, de problèmes démentiels et qui ont récupéré le maximum d’autonomie. Il en est de même avec les toxicomanes pris en charge dans un autre centre Montfort Renaissance d’Ottawa (les Services d’accès et d’aiguillage en toxicomanie d’Ottawa, SAATO). La devise de Montfort Renaissance est « Le rétablissement, on y croit ».
Le mandat de Montfort Renaissance est d’offrir une approche de services intégrés centrée sur le client qui favorise son pouvoir d’agir, en matière : de soutien au rétablissement en santé mentale par les professionnels et les pairs aidants, de soutien aux personnes itinérantes, de soutien à la vie dans la communauté, de soutien judiciaire, de gestion du sevrage (programme bilingue et non seulement francophone comme dans les autres missions), d’hébergement pour personnes vieillissantes et fragilisées avec un soutien à la vie autonome, de continuité des services de santé en français au moyen d’un guichet unique, de participation au continuum de services en collaboration avec ses partenaires, de promotion d’une vie saine.
Mme Jeanne Hélène Tardivel évoque les débuts, il y a une dizaine d’années, de Montfort Renaissance. Ce fut dans un premier temps d’offrir des logements avec accompagnement communautaire à des patients francophones d’Ottawa qui présentaient des problèmes de santé mentale et risquaient de devenir des sans abris. « Nous étions dans un milieu linguistique minoritaire et il nous fallait prendre notre place pour obtenir les mêmes services que les anglophones. Tranquillement, nous avons développé un business, c’est à dire que nous nous sommes entendus avec le ministère de la santé pour avoir un budget. » Elle nous explique comment cela se passe : on vous donne de l’argent, vous avez tant de cibles que vous devez atteindre pour conserver le budget. Il y a une notion de rendement. Certes il y a du quantitatif mais le qualitatif est important pour le bailleur de fonds. Il ne sert à rien de multiplier les actes, si l’amélioration n’est pas au bout. Pour les autorités, l’important est que la communauté se porte mieux. Au terme de ce cours de gestion à la canadienne, elle revient sur la finalité de Montfort Renaissance : « on se soigne à l’hôpital mais on guérit dans la communauté. »
Mme Jeanne Hélène Tardivel poursuit : « l’organisation a grandi et nous avons développé des services de toxicomanie. » Montfort Renaissance propose alors une philosophie du soin différente de l’abstinence d’emblée : « la réduction des méfaits. » C’est à dire une réduction progressive de la consommation qui responsabilise le toxicomane. Puis elle gère en collaboration avec l’Hôpital Montfort un service de sevrage (le sevrage ne se fait pas à l’hôpital). Après le sevrage physique, doit suivre le sevrage psychologique qui se fait avec des « partenaires » qui prennent le relai, dans le cadre d’un plan de soin établi avec le client. Dans certains cas, lorsque l’état physique du patient le justifie, on peut procéder à un sevrage à l’hôpital. Mme Jeanne Hélène Tardivel nous parle, enfin, d’une innovation juridique : la déjudiciarisation des toxicomanes pour les délits mineurs avec la création d’une « Cour de Santé Mentale » à laquelle contribue Montfort Renaissance.
L’action de Montfort Renaissance repose donc sur tout un réseau communautaire aux activités multiples et innovantes qui justifient pour le moins une publication dans notre revue pluridisciplinaire. Mme Jeanne Hélène Tardivel qui a déjà exploré notre site Psycause.info, est partante pour une participation active à Psy Cause et nous a dit être intéressée par la constitution d’un groupe canadien francophone de Psy Cause.
Nous poursuivons ce lundi par une visite au Centre de Santé Mentale Royal Ottawa. Cet établissement de construction récente situé au sud ouest d’Ottawa, est l’hôpital psychiatrique de la ville. Théoriquement bilingue, il est essentiellement anglophone. Quelques psychiatres francophones parce que français y exercent. Nous y rencontrons le Dr Jean Marie Ribeyre. Il travaille dans le « Programme des troubles de l’humeur et de l’anxiété » qui est très orienté vers la psychiatrie biologique et la recherche. Il est très intéressé par un congrès francophone à l’Hôpital Montfort et en parle autour de lui dans son hôpital malgré le très petit nombre de professionnels qui y maîtrisent la langue française. Il approuve l’idée d’un groupe Psy Cause Canada. Nous parlons aussi de la Louisiane où il doit exister des psys qui, à côté de l’anglais, ont également une connaissance du français. Il pense qu’il serait intéressant d’explorer cette possibilité.
Notre prochain carnet évoquera notre rencontre du premier octobre au siège de SSF (Société Santé en Français), organisation financée par le gouvernement du Canada pour accroitre l’accès aux services de santé dans les communautés en situation de langue minoritaire, dans le cadre du bilinguisme. Nous verrons l’action de SSF dans l’ensemble des Provinces canadiennes hors Québec. Dans cette dernière Province majoritairement francophone, c’est un autre organisme qui prend en charge la population anglophone en situation minoritaire.
Jean Paul Bossuat