Journal du congrès d’Ottawa : carnet N°11. Identités canadiennes
Nous avions considéré que le carnet N°10 clôturait la série consacrée au congrès d’Ottawa. Mais des voix se sont élevées pour considérer que nous ne pouvions écarter un volet des congrès internationaux Psy Cause présent dès les origines de notre concept, en 2003 avec le « congrès itinérant en Égypte sur le sommeil et le rêve ». Il s’agit d’offrir aux visiteurs étrangers au pays hôte lieu du congrès, un volet découverte des lieux et de l’âme d’un peuple, c’est à dire de son histoire, de sa culture et de son devenir. À notre congrès d’Ottawa, dont le thème est la problématique des minorités, ce volet avait toute sa place pour le groupe des professionnels français venus participer à des travaux scientifiques dans la partie du Canada où les problématiques identitaires francophones et anglophones sont les plus imbriquées. Le circuit proposé selon le triangle Ottawa, Niagara et Montréal a été le support d’une réflexion sur le thème du Canada et des nations qui le constituent. Voici donc le « carnet N°11 ».
Notre guide, « Mr Donald », est un Québécois profondément engagé dans la défense de son identité francophone et donc à même de nous faire percevoir le ressenti du francophone majoritaire mais de façon précaire au Québec et minoritaire partout ailleurs. Tout au long du voyage, il nous a initié à la culture québécoise, aux drames historiques des francophones face au « leadership » anglais dont le plus terrible fut celui des Acadiens, aux contradictions des francophones du Québec qui ne cessent de lutter pour préserver leur langue nationale (le Québec a récemment été reconnu comme une nation au sein du Canada) au sein d’une Amérique du Nord où l’anglophonie s’impose naturellement, et dont les combats séparatistes sont vécus comme des menaces pour des droits acquis durement, par le petit tiers de francophones qui résident hors du Québec. Avec Mr Donald nous avons vu flotter haut, les couleurs des drapeaux bleu blanc et fleurs de lys du Québec, vert et blanc des Franco-Ontariens et bleu blanc rouge frappé de l’étoile jaune des Acadiens.
Le « musée canadien des civilisations » est à lui tout seul un condensé de la question des nations au Québec. Pour commencer, c’est un musée de l’agglomération d’Ottawa situé au Québec et dont l’architecte Douglas Cardinal est un amérindien. Ce musée, le plus visité du Canada, permet de comprendre concrètement et de façon spectaculaire la construction du Canada. On se promène dans les rues de la Nouvelle France puis du Canada du XIX° siècle sous un ciel artificiel très convaincant. Après la visite des totems des amérindiens de la Colombie britannique, et des « premières nations », on assiste à l’arrivée des Vikings puis des Français et des Anglais immédiatement en concurrence. Dans le bus, Mr Donald évoquera pour nous le drame d’Évangéline.
Cette œuvre littéraire a pour base l’histoire de la déportation des Acadiens en 1755. Il s’agissait d’épurer ethniquement les provinces maritimes atlantiques pour s’assurer d’une population anglaise fidèle dans le conflit qui opposait au Canada la France à l’Angleterre. Une opération de déportation vers les colonies américaines fut décidée. La mortalité dans les bateaux fut terrible au vu des conditions d’entassement et de manque d’hygiène. De plus, certaines colonies refusaient les déportés et les expulsaient. En 1847, l’américain Henry Wadsworth Longfellow publiait le poème d’Évangéline qui raconte l’histoire de la déportation d’un couple d’Acadiens, Évangéline et Gabriel. Ce couple d’amoureux habitait en 1755 Grand Pré en Nouvelle Écosse. Déportée dans un navire différent de Gabriel, Évangéline ne cessera d’errer à la recherche de Gabriel. Ce ne sera qu’à Philadelphie où elle travaille comme infirmière dans un hospice, qu’Évangéline retrouve son Gabriel qui meurt dans ses bras. Ce poème devient un mythe identitaire des Acadiens et le prénom Évangéline, qui auparavant n’existait pas dans cette communauté, devient à la mode, tant en Nouvelle Écosse qu’en Louisiane où s’était retrouvée une communauté acadienne. Deux autres versions de l’histoire d’Évangéline sont écrites là-bas avec un happy end où le couple s’y installe heureux. La francophonie en Amérique du Nord ne se résume pas au Canada. Peut-être d’autres pistes à explorer. Sans compter Haïti dont nous avons déjà parlé et traité par une exposition sur le vaudou dans le musée des civilisations.
Une stèle du musée nous parle des Mohawks qui s’engageaient aux côtés des Anglais comme un certain nombre de colons loyalistes lors de la guerre d’indépendance des États Unis. Rappelons que la France apporta une aide décisive à cette révolte. Cette stèle raconte les services rendus de leur capitaine, Joseph Brant et la récompense : de vastes terres en Ontario. La défaite entraina une importante immigration loyaliste qui fonda Toronto. En 1812, les Américains attaquent le Canada et commencent par brûler Toronto. Cette fois ci toutes les communautés sont solidaires avec les Anglais y compris les francophones qui amorceront ainsi un long processus de reconquête de leurs droits. Les Anglais ont senti le vent du boulet. Mais ils ne cèderont pas sur l’autonomie des Canadiens sans la répression d’un mouvement révolutionnaire qui, une fois de plus, une vingtaine d’années plus tard, associa anglophones et francophones. Les francophones, nous a raconté notre guide, Mr Donald, avaient réussi à contrer numériquement l’immigration anglophone grâce à une discipline nataliste très stricte conduite par leur clergé catholique. Cependant, les francophones allaient peu à l’école et ce fut l’un des aspects majeurs de la « révolution tranquille » au Québec que de promouvoir massivement l’accès à l’éducation et de créer ainsi les élites d’aujourd’hui.
Nous allons faire un aparté avec le courriel du Dr Pierre Migneault adressé le 18 octobre dernier à propos du congrès d’Ottawa. Ce psychiatre de Montréal a suivi nos travaux et était présent à l’Hôpital Pierre Janet de Gatineau, dans la salle Jeanne d’Arc Charlebois à propos de la création de Psy Cause Canada, projet dans lequel il a l’intention de s’investir. Il travaille actuellement à la rédaction d’un commentaire du congrès que bien évidemment nous publierons sur le site. Après avoir exprimé sa satisfaction quant à nos carnets, et ses excuses pour son absence le dimanche en raison d’une obligation familiale, il écrit :
« les deux premières journées m’inspirent un « slam » (poème à la Rictus) … En Abitibi, le « slam », c’est le résidu minier, la boue acide desséchée… Deux pages, maximum… autour du Dur désir de durer, en pratique psy long cours…, un peu dépité mais pas désespéré. Autour aussi du dur défi psy de nommer…, qui est peut-être le rôle et défi scientifique fondamental du psy, à l’échelle internationale, à mon avis…, et celui de Psy Cause ?… que je vois un peu comme les singes-vigies du tableau de Brueghel, enchaînés, sur les murs de la Cité, ?…, signalant les mouvements significatifs (d’idées, d’expériences, de faits, de maux, individuels et sociaux etc) dans le port… et dans la Cité.
Je me sens… et sentais, en décantation du Colloque de Montfort, et de certaines présentations, dont celles autour des Amérindiens, comme Josephus Famulus et Pugil Dion…, Le Confesseur… du jeu de perles de verre (Hermann Hesse).
Je vais, dans les prochaines semaines, le « pondre » ce slam… pour moi d’abord… et mes tams-tams… et vous en ferez ce que vous voulez. (…) J’ai assisté, hier soir, à une rencontre autour de l’un des Pères de la Révolution, en Haïti… Jean-Jacques Dessalines (1804)… Il y avait des descendants d’Acadiens déportés, très actifs… dans cette Révolution. Psy Cause… en Haïti, éventuellement ? Ce sont nos « frères », au Québec.
À la prochaine… et portons-nous bien. »
Depuis le Château de Montebello dans la forêt québécoise jusqu’aux chutes du Niagara, nous avons toute une journée tracé la route, environ 600 Km, instruits par notre guide, Mr Donald. Et nous n’avons pas vu le temps passer. Aux environs de Toronto, la pluie cesse (nous en aurons en totalité une journée sur tout le séjour du groupe, pas de quoi se plaindre) et nous retrouvons le soleil. Nous atteignons le Canada méridional, à la latitude de Bordeaux. Notre hélicoptère nous attend à Niagara Falls pour un inoubliable survol des chutes. Ces chutes sont un endroit mythique incontournable. À la frontière de l’État de New York. Derrière, on accède aux grands lacs d’où des explorateurs venus de Nouvelle France rejoignirent le Mississipi et conduisirent à la fondation, à la fin du XVII° siècle, de la Louisiane. Les plus belles des chutes du Niagara sont situées en territoire canadien et forment un arc de cercle. La visite en bateau est prévue pour le lendemain.
Le site des chutes du Niagara est bien en Amérique… La ville de Niagara Falls les borde, véritable parc de loisirs, mélange de Disney World et de Las Vegas avec des enseignes lumineuses gigantesques et toutes sortes d’attractions. Le filon touristique est exploité jusqu’à plus soif. Mais, une fois dans le bateau, recouvert de son imperméable en plastic bleu style emballage de supermarché, le spectacle est tout simplement grandiose et on n’est pas déçu. Ces chutes, comme Venise ou quelques autres lieux de la planète, sont à visiter au moins une fois dans sa vie. De plus, l’été indien est bien au rendez vous avec un ciel bleu immaculé et une température estivale. Les jeux de rencontre entre le soleil et l’eau sont du plus bel effet. Comme si les forces divines avaient décidé de faire don au groupe Psy Cause, d’un signe augurant d’une belle réussite future dans nos projets. C’est un fait que tout au long de notre pérégrination post-congrès, l’ambiance du groupe est à l’optimisme… et porteuse d’une démarche créative pour l’avenir. Il nous faudra nous souvenir de ce 8 octobre 2013.
Après un déjeuner dans un restaurant panoramique, nous visitons « Niagara on the Lake », une charmante petite ville à l’architecture traditionnelle au bord du lac Ontario, en aval des chutes. L’architecture de cette région est typiquement britannique voire des États Unis proches. Notre guide, Mr Donald, constate que cette région est tout à fait charmante, avec un climat beaucoup plus avenant que dans le reste du Canada, mais que malheureusement, elle est habitée par des anglophones. Provocation mise à part, c’est un fait que Niagara on the Lake, est très britannique avec son cénotaphe en milieu de rue, tour miniature dont on trouve de nombreux exemples dans divers pays de l’ex Empire Britannique. Au long de le Rivière Niagara qui coule entre le lac Érié et le lac Ontario, se dressent des fortifications et une haute colonne au sommet de laquelle le général Issac Brock indique la direction de l’ennemi américain repoussé de ce coin d’Angleterre lors de la guerre de 1812, en un lieu où il mourut au combat.
Cette région, depuis les environs de Niagara on the Lake jusque vers Toronto en bordure du lac Ontario, est riche de ses vignobles. Le vin canadien produit dans ce terroir est réputé, en particulier le vin de glace récolté lors des premières gelées. Nous visitons une propriété viticole et la séance de dégustation, au fil des verres distribués généreusement, ne tarde pas à créer une agréable euphorie conviviale. Nous sommes en plein Canada anglophone, loyaliste lors de la guerre de l’indépendance américaine, et pourtant, nous trouvons au milieu de ces vignes une ambiance familière, bien française, peu différente de la tradition viticole de notre pays, bordelaise ou provençale.
Ensuite, rapidement, nous partons à l’assaut des nœuds autoroutiers surchargés de véhicules à l’approche de la capitale de l’Ontario : Toronto. Là, nous retrouvons l’Amérique, ses gratte ciels, la foule. En fait, ce n’est pas à Ottawa, capitale confédérale, que l’on se sent véritablement chez les anglophones, car le bilinguisme y a une certaine réalité. Mais à Toronto, c’est différent. Là, on perçoit une tension antifrancophone. Toronto se vit comme la rivale de Montréal. Toronto étant la ville des banques et des affaires tandis que Montréal est la ville de la culture. Il y a peu de vie nocturne à Toronto à l’inverse de Montréal (sauf dans notre hôtel où des fêtards ont empêché de dormir certains d’entre nous). La fête n’est pas dans la rue. Le matin, à cause d’un petit déjeuner trop tardif en raison d’une discrète panne d’oreiller, nos protestations sur la lenteur du service nous font mal recevoir par la serveuse qui nous envoie un propos bien senti sur notre condition de Français. Nous quittons sans regret cette ville qui, heureusement, ne résume pas l’Ontario.
Nous faisons, ensuite, halte dans la charmante petite ville de Kingston, au bord du lac Ontario, avec ses immeubles de taille modeste et stylés, ses très jolis parcs paysagés et sa gare musée avec une locomotive à vapeur. Une de celles qui ont connu l’époque où le chemin de fer était un instrument irremplaçable de l’union du Canada de l’est à l’ouest. N’oublions pas que durant presqu’un demi siècle, le train était le seul moyen de déplacement rapide fiable sur de longues distances, avec longtemps comme seule alternative, le cheval. Ce fut donc un plaisir de parcourir le charme rétro de ce lieu.
À l’extrémité nord-est du lac Ontario, commence le Saint Laurent avec ses « milles îles ». Et là, de nouveau, c’est l’enchantement. D’autant plus que le temps estival est toujours de la partie. Ces îles se répartissent de part et d’autre de la frontière avec les États Unis. De riches personnages y ont fait bâtir, qui une maison, qui un château. La promenade en bateau va de part et d’autre de cette frontière. Assez rapidement après les mille îles, nous retrouvons le Québec, puis Montréal. Le lendemain matin, nous serons reçus par l’intermédiaire du Dr Jean Dominique Leccia, en terre Mohawk. Nous y avons déjà consacré le carnet N°9.
Jean Paul Bossuat
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