Journal du congrès de Zarzis (Tunisie) : carnet N°2. Une journée à Sfax (2 juin 2015)
Trois journées de rencontre sont programmées en ce mois de juin 2015 avec des professionnels tunisiens de la psy, afin de préparer le congrès de Zarzis et de développer la présence de Psy Cause dans ce pays. La première journée se déroule à Sfax le 2 juin. Le Dr Ghazi Chakroun nous prend en charge en cette journée sfaxienne. Il enseigne au sein du département de sociologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax, en tant que Maître Assistant, Docteur en psychologie spécialiste en psychologie du développement chez l’enfant.
Historique du partenariat avec l’ARIC
Notre premier contact avec le Dr Ghazi Chakroun remonte au 26 août 2014 à l’occasion des préparatifs du congrès de l’ARIC programmé à Sfax du 27 au 29 octobre 2014, et dont l’organisation était coordonnée par lui-même.
Rappelons que ce premier contact était dans la logique d’un partenariat avec cette association (Association de Recherche Inter Culturelle) composée d’universitaires de plusieurs pays qui travaillent dans les domaines de l’anthropologie et de la psychologie et avec des psychiatres, eut pour origine l’initiative de Mr François Daniel Alberola, membre de Psy Cause et de l’ARIC, et psychologue à Phnom Penh (Cambodge). Ce dernier avait suggéré un rapprochement lors de sa participation au congrès de l’ARIC qui se déroulait à Rabat du 9 au 13 décembre 2013. La présidente de l’ARIC, la Pr Fatima Moussa, universitaire à Alger, écrivait le 29 janvier 2014 au président de Psy Cause International : « À vrai dire, avant de vous répondre, j’ai consulté longuement votre site ainsi que vos activités et vos communications aux rencontres que vous organisez et pris la mesure du dynamisme de votre équipe. C’était bien dans cet esprit que j’envisage aussi ce partenariat qui serait à coup sûr porteur et passionnant d’autant que vos objectifs et ceux de l’ARIC seraient complémentaires. » Le 19 février 2014, elle nous transmettait la décision du bureau de l’ARIC : « Votre proposition de partenariat a été discutée à la réunion du bureau de l’ARIC hier. Un accord de principe est acquis et nous vous demandons d’officialiser votre demande en indiquant les termes de ce partenariat. En ce qui nous concerne ce partenariat est scientifique et servirait le rayonnement de nos deux institutions. Nous pourrons, après réception de votre lettre envisager déjà de mettre sur le site de l’ARIC vos annonces ainsi que de collaborer à des concertations en comité scientifique pour les prochains colloques par exemple. Nous serons heureux de vous compter parmi nous. » Ce partenariat fut voté lors de l’Assemblée Générale de Psy Cause International en date du 25 février 2014.
Le mois d’octobre 2014 fut pour les responsables de Psy Cause particulièrement chargé avec notre X° congrès international à Kyoto qui, bien naturellement, rassemblait notre équipe, et, dans le même temps, la présence de notre vice président, le Dr Thierry Lavergne, au Premier congrès tunisien de psychiatrie à Tunis. Nous étions donc très peu disponibles pour les journées de l’ARIC en Tunisie. Nous étions cependant en lien avec le Dr Ghazi Chakroun qui nous signalait que le congrès de Sfax allait permettre aux participants « de vivre à chaud académiquement les résultats des élections législatives prévues le 26 octobre 2014. » Ajoutant : « C’est un moment de paix et de la réussite de la démocratie dans un pays où le printemps arabe a commencé et va résister à toutes les menaces violentes. L’histoire de la Tunisie contemporaine est une preuve. »
C’est justement ce basculement de l’histoire en Tunisie qui motive les responsables de Psy Cause dans l’organisation dès 2016 d’un congrès dans ce pays. Le Dr Ghazi Chakroun, en cette journée de rencontres du 2 juin 2015, est pleinement conscient de l’enjeu de notre démarche et situe le partenariat sfaxien à venir avec Psy Cause au niveau du CHU, de la faculté de médecine et de l’université des lettres et sciences humaines.
Rencontre avec le Pr Farhat Ghribi au CHU de Sfax
Nous commençons la journée du 2 juin par une visite dans le service de pédopsychiatrie du CHU Hédi Chaker. Nous sommes reçus, en présence du Dr Ghazi Chakroun, par le Pr Farhat Ghribi, Professeur à la Faculté de Médecine de Sfax (en psychiatrie générale) et Chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans le CHU de Sfax. L’entretien se déroule chaleureusement et porte, essentiellement, sur le projet de congrès à Zarzis, outre une présentation de Psy Cause. Le Pr Farhat Ghribi se déclare très intéressé par une revue internationale dans laquelle les auteurs font le choix de s’exprimer en langue française, même s’ils n’exercent pas dans un pays francophone, la publication en français de l’article suédois sur le concept d’alliance de travail ou d’alliance thérapeutique qui fait consensus dans ce pays (Psy Cause N°67 pp 29 à 32) en étant un exemple de grande portée symbolique. Le Pr Farhat Ghribi nous informe de son attachement à l’école française de psychiatrie qui est sa référence, auprès de laquelle il s’est formé, et qu’il se situe en particulier dans le courant psychodynamique.
Il est en accord avec la dimension pluridisciplinaire du congrès de Zarzis qui permet d’appréhender plus largement les phénomènes sociétaux en jeu dans l’évolution actuelle de la Tunisie, au sein desquels s’affrontent le culturel et l’individuel, les limites entre la liberté de l’individu et la nécessité de prendre en compte les autres. Le Dr Ghazi Chakroun constate un véritable problème d’insuffisance de civisme à ce niveau. Il pense, en accord avec le Pr Farhat Ghribi, que le thème de notre congrès pourrait être « Psychopathologie et révolution ». Ce sera donc la proposition de Sfax.
Visite d’une école expérimentale pour enfants aveugles
En milieu de journée, le Dr Ghazi Chakroun nous fait découvrir au cœur de la vieille ville entourée de remparts, une école auprès de laquelle il est engagé en tant que spécialiste de la psychologie du développement de l’enfant. Cette école organise une séance de présentation de ses activités pédagogiques, auprès des responsables de l’éducation nationale et de la santé, présentation à laquelle nous sommes invités. Le président de l’association à l’initiative de cette école, Mr Nabil Triki, nous remet une fiche d’information qui précise : « L’association Tunisienne des Enfants Aveugles (ATEA) est une association caritative dont l’objectif est de porter secours et assistance aux enfants non-voyants. L’association dispense un enseignement approprié tel que l’utilisation de la méthode Braille pour aider ses élèves à se scolariser. En outre, l’association s’occupe de privilégier le bien-être physique et psychologique, et œuvre à vaincre l’isolement et à faciliter l’intégration de ces enfants avec les autres dans le cadre d’une expérience particulière « une classe spéciale dans une école ordinaire » et par le développement des sorties pédagogiques et éducatives. »
Mr Nabil Triki effectue une démonstration d’un clavier qui se connecte aux ordinateurs et effectue la conversion de textes numériques mis en ligne sur internet, en Braille. Ce qui donne aux enfants aveugles l’accès à internet. Après nous avoir présenté l’appareil, il installe plusieurs enfants devant des écrans évidemment invisibles pour ces jeunes utilisateurs. Ces derniers surfent alors sur internet et peuvent effectuer une lecture tactile en posant leurs doigts sur le convertisseur. L’objectif est de démontrer aux invités l’intérêt pédagogique de cette technologie qui d’une part a un coût, et d’autre part enrichit considérablement l’accès à la connaissance qui ne passe plus par des livres rédigés en Braille, mais à présent par les mêmes documents que pour des enfants dotés de la vue. La révolution de l’écrit par la mondialisation numérique via le web est une ouverture fantastique pour les enfants aveugles ainsi appareillés.
L’un des invités à cette démonstration est Mr Hedi Megdiche, inspecteur formateur de l’Education Nationale. Il s’est montré très concerné par la créativité de cette école qui a présenté d’autres innovations utilisées à des fins pédagogiques, par exemple une imprimante en relief. Il nous a expliqué le rôle fondamental des associations depuis la révolution. Il nous a fait part également de son intérêt pour notre présence dans cette école et de son intérêt pour Psy Cause. Il est lui même engagé dans la vie associative en tant que président à Sfax du Ciné-Club Tahar Chériâa.
Il nous écrit le soir même de notre visite : « Cher Jean-Paul Bossuat ; je suis bien content d’avoir fait votre connaissance et demeure spécialement sensible à votre passage à l’Association pour la scolarisation des aveugles. “Psy Cause” est la preuve de votre engagement scientifique du côté des personnes fragiles et du travail de vulgarisation au profit d’un large public. Je suis intéressé d’en recevoir d’autres numéros.
Je désire vous mettre en situation par rapport à notre action culturelle, dans un cadre pédagogique et didactique. Je sollicite votre attention pour venir à la rescousse de notre petite mais ancienne structure (Cf. Hommage à Tahar Chériâa). Le Ciné-Club Tahar Chériâa est une association à but non lucratif qui œuvre pour la promotion de la culture du débat autour de films classiques et récents. Le choix de supports variés -appartenant à des genres, écoles, auteurs et pays divers-, prouve notre volonté de nous ouvrir sur d’autres cultures et expériences de l’humain dont le cinéma est le parfait témoin. Outre les projections-débat les jeudis soir au Théâtre Municipal de Sfax, au profit d’un public adulte ; cadres, chômeurs, étudiants,… et le Ciné-club du dimanche à l’Espace 3 D, au profit des élèves du primaire, collège et secondaire, nous organisons des ateliers d’analyse filmique, des tables rondes, des rencontres avec des professionnels de l’image, des médias, mais aussi avec des réalisateurs et des jeunes créateurs,…
Nous sommes partenaires des Journées du Cinéma européen, de la Route du Cinéma, du Festival du Cinéma d’animation, du Festival de la Médina, nous avons accès à la plateforme Cinéma de l’Institut Français… Or, face à la démission des structures étatiques pour la création de Ciné-Clubs et la promotion de jeunes talents, face à la faible affluence du public pour les cercles de débat, à la fermeture des salles de cinéma les unes après les autres (il ne reste qu’une seule sur neuf salles, dans une ville qui compte un million d’habitants dont soixante cinq mille étudiants) et pour répondre à la montée de l’intolérance, de la xénophobie, du repli identitaire, de l’intégrisme religieux,… nous jugeons urgent de mettre en place plusieurs cercles de débats, dans les milieux scolaires et universitaires, sortes de pépinières pour garantir une démocratisation de la culture cinématographique, à travers des ateliers d’analyse filmique…
En 2015-2016, nous mettront, en place 12 Clubs (dans les Collèges et les Lycées, au centre ville, comme dans la banlieue). Ces structures feront de la cinéphilie et de la culture de l’image un outil au service de l’alphabétisation culturelle, mais aussi et surtout, un cheval de bataille pour l’éducation citoyenne.
En mars 2016, nous organiserons la 3è édition du Festival Printemps de la Bande Dessinée avec nos partenaires belges et français. Nous œuvrons pour le renforcement des compétences artistiques, discursives, sociales et citoyennes des jeunes. Il s’agit de développer le sens du jugement et surtout l’esprit critique, à travers l’argumentation, la libre expression, l’écoute active, le respect de la pensée d’autrui, du différent,…
Les séances de projection-débat sont aussi une sorte de thérapie de groupes, assurant le développement personnel, à travers la libre expression, la valorisation du moi, loin de toutes formes de censure ou d’autocensure.
Les élèves prendront le soin de faire fonctionner leur Ciné-Club et ils auront la liberté de choisir, de discuter leurs supports et même de passer à la production ; scénarisation, storyboard, techniques de prise de vues, montage,… De leur côté, les animateurs, que nous cherchons à former et épauler, joueront leur fonction d’accompagnateurs (coachs) et veilleront au bon déroulement des clubs, selon une approche participative et récréative…
Je serai intéressé par le séminaire de l’an prochain au sud tunisien.
Je vous prie de croire à notre fierté de vous voir partager nos projets pour l’édification d’une jeune mais fragile démocratie.
Cordialement. »
Cette visite à l’école de l’ATEA s’est poursuivie en musique avec la prestation d’une jeune élève particulièrement douée. Elle s’est achevée avec un moment convivial. Elle nous a permis de mesurer l’élan de créativité qui a été libéré par la révolution de janvier 2011, en particulier avec la libéralisation du fonctionnement associatif. Ainsi que l’engagement des services de l’état pour accompagner les expériences qui émergent. Cette visite appelle à témoigner pour que soit connue à l’étranger cette exemplarité de la Tunisie. Une exemplarité qui est unique dans ce que l’on appelle « le monde arabe » et, comme le dit Mr Hedi Megdiche, « fragile ».
C’est donc en toute conscience de la portée symbolique de leur geste, que le président et la responsable du marketing de Psy Cause International signent le livre d’or de cette école pour laquelle ils souhaitent le meilleur succès.
Partenariat de l’université des lettres et sciences humaines de Sfax
Le troisième volet de cette journée du 2 juin à Sfax, est une rencontre avec le doyen et les principaux décideurs de l’université des lettres et sciences humaines de Sfax. Le Dr Ghazi Chakroun se situe dans une démarche qui, au delà de l’ARIC dont il est le responsable tunisien, concerne son université. Participent à la réunion, outre le Dr Ghazi Chakroun, les Professeurs Mohamed Ben Ayed, doyen ; Mohamed Jerbi, vice doyen ; Farhat Breik, secrétaire général ; Tawfik Jemai, chef du département de sociologie.
Deux questions sont à l’ordre du jour. La première concerne la publication d’un certain nombre de communications du congrès de l’ARIC à Sfax. L’université donne son accord pour une contribution financière à un dossier dans la revue Psy Cause correspondant à une sélection de textes établie en concertation entre le Dr Ghazi Chakroun et la revue.
La seconde question porte sur un partenariat au niveau du congrès Psy Cause à Zarzis en 2016. L’université est d’accord pour contribuer à l’organisation de ce congrès dans une optique pluridisciplinaire. Elle sera un partenaire parmi d’autres, d’ores et déjà à Sfax avec la psychiatrie du CHU et la faculté de médecine. Egalement avec d’autres partenaires à Sousse et à Tunis. Les contributions scientifiques au congrès seront principalement centrées sur le département de sociologie. L’université pense s’autoriser à aborder, sur un mode académique, des sujets sociétaux difficiles en Tunisie, comme ceux en rapport avec l’homosexualité.
La discussion porte également sur la nécessité, sur le lieu du congrès, de fonctionner en trois à quatre ateliers afin d’élargir au maximum les champs abordés. Ce sera possible dans l’hôtel retenu à Zarzis qui est l’hôtel Odyssée, lequel dispose d’une infrastructure adéquate en matière de salles.
L’après midi s’achève par une visite de l’université. La grande cour est ornée de fresques réalisées par les étudiants aux lendemains de la révolution de janvier 2011. Cette journée du 2 juin à Sfax nous a permis de ressentir un climat particulier mêlé d’initiatives créatives, inventives, de rencontres avec des limites à la liberté individuelle non étatiques et d’espérances inachevées.