Inauguration du CMP/CATTP Lucien Bonnafé à Dieulefit le 19 janvier 2017
Psy Cause est invité à Dieulefit, un charmant village de 3000 habitants, situé à une trentaine de kilomètres à l’est de Montélimar en Drome Provençale et très connu pour ses activités de poterie, dans le cadre de l’inauguration, le 19 janvier 2017, d’un centre de consultations et de soins psychiatriques à temps partiel. Cette structure de soins est rattachée au secteur de psychiatrie adulte du sud de la Drome, basé à l’Hôpital Psychiatrique de Montéléger (Valence) « Le Valmont ». Cette création vise à désenclaver au niveau du soin psychiatrique, une population relativement isolée. Elle est une illustration de l’esprit de la circulaire de 1960 sur le secteur, dont le Dr Lucien Bonnafé fut, il y a plus d’un demi siècle, l’un des principaux inspirateurs.
Le directeur de Psy Cause a donc fait le voyage depuis Avignon, d’autant plus volontiers qu’en se référant à la mémoire du Dr Lucien Bonnafé, le CMP/CATTP de Dieulefit rend hommage au courant de la psychiatrie désaliéniste et de la psychothérapie institutionnelle qui a transformé la prise en charge des malades mentaux dans le service public français au lendemain de la seconde guerre mondiale, et qui fut une référence majeure de Psy Cause lors de sa fondation. Nous découvrons, sur les hauteurs en face du village, au milieu de la neige, au 1F Allée des Rossignols, l’entrée de ce lieu de soins, arborant une plaque portant le nom de Lucien Bonnafé.
Une affiche (à voir en cliquant sur l’image ci contre) est disposée en divers lieu du CMP/CATTP aménagé sur deux niveaux. Elle présente ainsi le Dr Lucien Bonnafé : « Docteur Lucien Bonnafé (Figeac, 15 octobre 2012 – 16 mars 2003), psychiatre désaliéniste français qui a élaboré et mis en place la politique de secteur psychiatrique. La sectorisation des soins psychiatriques consiste à prendre en charge le malade dans l’aire géographique proche de son domicile. Par le développement de structures intermédiaires extra-hospitalières, elle permet d’assurer la continuité des soins en permettant le maintien des personnes hors les murs, constituant une rupture totale avec l’asile. (On considère que l’acte de naissance de la sectorisation psychiatrique est la circulaire ministérielle du 15 mars 1960). » Est également évoquée sur ce document, la dénonciation par le Dr Lucien Bonnafé, après la guerre, de la mort de faim et de froid de 40 000 malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques sous l’Occupation.
Dans un premier temps, avant la cérémonie, le directeur de la revue Psy Cause, le Dr Jean Paul Bossuat, a la possibilité de s’entretenir avec la Dr Marie Bonnafé, fille du Dr Lucien Bonnafé. Cette dernière est l’invitée de marque à l’inauguration. Elle évoque son métier de pédopsychiatre et de psychanalyste. Elle parle de ses années passées à « l’unité du soir » de pédopsychiatrie du treizième arrondissement de Paris sous la direction du Dr Tony Lainé. Elle se confie également sur son positionnement en tant que psychanalyste en accord avec son père qui « avait raison de dénoncer le lien d’argent : les psychanalyses entièrement remboursées marchent très bien. » De son côté, le Dr Jean Paul Bossuat, échange à propos de son expérience personnelle de travail avec le Dr Lucien Bonnafé au sein du comité de rédaction de la revue Vie Sociale et Traitement (revue des équipes de psychiatrie éditée par les CEMEA). Les fondamentaux de cette publication l’ont beaucoup inspiré pour fonder Psy Cause.
Vient alors la cérémonie d’inauguration. Devant un nombreux public constitué de personnels du service, de membres de la direction et de représentants d’associations de familles de malades mentaux, la Dr Marie Bonnafé, émue, coupe le ruban. Suivent les discours protocolaires. Le Dr Lucien Martinez, médecin chef du pôle de psychiatrie générale Sud de la Drome, présente les caractéristiques du CMP/CATTP. La structure de soins couvre un bassin de population de 16000 habitants. Elle est ouverte de 9 heures à 17 heures 5 jours par semaine, avec une possibilité d’extension à 18 heures si besoin. Deux médecins, une psychologue et une assistante sociale interviennent à temps partiel. Trois infirmiers et une secrétaire sont également affectés. Il est prévu qu’une équipe mobile de gérontopsychiatrie intervienne également. Le Dr Lucien Martinez constate dans notre société française un déclin des idéaux collectifs. Il estime que l’un des objectifs du CMP/CATTP sera de faire progresser le lien social et plus spécifiquement de faire reculer l’isolement du malade mental en suscitant davantage de tolérance dans la population.
Le directeur du Centre Hospitalier Le Valmont (Valence), Mr Claude Eldin, prend à son tour la parole. Il est heureux, nous dit il, d’inaugurer le CMP/CATTP : « il est rare aujourd’hui de créer une structure nouvelle. » Il souligne la pertinence d’avoir choisi le nom de Lucien Bonnafé pour cette unité de soins car ce dernier fut « l’un des pères fondateurs du secteur avec la circulaire de 1960 ». Il rappelle que la rédaction de cette circulaire avait été le fruit d’une coopération exemplaire entre l’administration et les médecins. Attirant ainsi l’attention du public sur l’intérêt d’une telle coopération dans le contexte de la gouvernance actuelle au sein du système hospitalier public en France.
Le Dr André Salomon Cohen, psychiatre du service et intervenant au CMP/CATTP Lucien Bonnafé, nous présente la Dr Marie Bonnafé. Il utilise la métaphore cinématographique du film « La vie est belle » pour nous dire que ce n’est pas parce que ça va mal que nous ne pouvons pas espérer. Il voit Marie Bonnafé dans le rôle de l’ange d’un conte de Noël, à cette fin. Il nous parle ensuite de liberté : celle de Lucien Bonnafé aux côtés de Paul Eluard à Saint Alban pendant la guerre, pour résister contre l’envahisseur nazi et éviter que les malades de l’hôpital psychiatrique ne meurent de faim. Il évoque Paul Eluard réfugié à Dieulefit en 1941. Il cite quelques propos de Lucien Bonnafé : « l’esprit de résistance qui va de soi » qui consiste à venir au secours d’un être humain en difficulté même si on risque la peine de mort pour cela. Egalement une définition : « Le désaliéniste est celui qui se présente sur la place publique pour dire : que puis-je pour vous ? ». Le désaliénisme, nous dit le Dr André Salomon Cohen, « c’est : les soins au plus près de la population. »
La Dr Marie Bonnafé conclut, par sa prise de parole, cette cérémonie. Elle nous parle de son père. Il était athée, proche des poètes surréalistes, et freudien. Il était opposé à la façon dont la psychanalyse était, dans notre société, liée à l’argent. Il était pénétré de mots « et nous avons ici Dieulefit, Montéléger, la montagne. » Il était incroyant mais il aimait citer les évangiles, ce qui correspondait à sa dimension poétique. « Je l’imagine ici avec le mot Dieulefit ». Il aimait beaucoup, nous confie t’elle, le poème : « j’écris ton nom, liberté ». Ce qui pouvait être un patient qu’on libère. « Il était une sorte d’évangéliste, un poète moderne avant tout… et un révolutionnaire » Pour lui, conclut-elle, « la psychiatrie était à la pointe de ce qu’une société pouvait être : celle où tous les êtres sont égaux. Lorsqu’alors on était malade, on était exclus. Aujourd’hui, c’est différent. »
Donner le nom de Lucien Bonnafé, à Dieulefit, à un lieu de soins psychiatriques n’est pas une première, puisque, comme nous l’a fait observer la Dr Marie Bonnafé juste avant de couper le ruban, tout un hôpital a déjà été dénommé ainsi (l’EPSM de Roubaix). Cela témoigne de l’importance du message désaliéniste et de l’attachement au concept de secteur. À Dieulefit, nous avons découvert une équipe pluridisciplinaire très accueillante et optimiste. Une raison d’espérer ?
Jean Paul Bossuat
