Festival d’Avignon : Psy Cause visite PSYcause(s) 2
Après PSYcause(s) joué plus de 500 fois à Paris, Avignon et en tournée, PSYcause(s) 2 s’invite au festival 2016 d’Avignon, proposant une nouvelle plongée dans l’inconscient. Nous avions déjà remarqué, sur google, la sympathique concurrence (en terme de notoriété sur le web) de la pièce de théâtre PSYcause(s) produite et jouée en solo par une actrice parisienne, Josiane Pinson, férue de psychanalyse et passionnée par la complexité émotionnelle de ses contemporaines. Le siège social de Psy Cause étant au cœur du festival, le président et sa femme se sont tout naturellement déplacés, le 13 juillet, au théâtre du Petit Chien au 16 rue Guillaume Puy à deux pas de la rue des Teinturiers, la plus branchée du festival.
Ce jour là, la pièce est jouée à guichet fermé et nous avons acheté nos billets pour le surlendemain. PSYcause(s) 2 remplit la salle. La chargée de communication de Josiane Pinson nous a conseillé d’attendre l’actrice à la sortie de la représentation afin de lui dire quelques mots et de lui présenter l’exemplaire N°70 de la revue Psy Cause que nous avons à la main. L’homonymie entre la pièce qui parle de psy et notre revue de psychiatrie avait suscité sa curiosité. Nous nous attendons de ce fait à un moment de rencontre chargé d’une certaine émotion.
L’actrice nous informe qu’elle a déjà eu entre les mains, une autre année, la revue Psy Cause qui lui avait été remise par une spectatrice. Bien que très sollicitée par un public conquis qui l’entoure, elle accepte de nous consacrer du temps et de se prêter de bonne grâce au jeu des photos pour notre site. Elle nous fait observer que la seconde étape de cette rencontre sera, pour nous, de découvrir son œuvre le surlendemain. Puisse le compte rendu ci après témoigner de notre ressenti. La rencontre avec une artiste comporte forcément deux volets indissociables : la personne et l’œuvre.
Le 15 juillet, le spectacle fait de nouveau salle comble. Bien évidemment, référence sera faite à l’attentat de Nice présent dans les esprits. Certains avignonnais, d’ailleurs, se sont félicités de l’annulation du feu d’artifice en bord du Rhône pour cause de mistral. Mais l’entrée dans l’univers de PSYcause(s) 2 nous saisit dès les premières minutes. Josiane Pinson, depuis le fauteuil de son cabinet de psychanalyste, pose la problématique d’emblée : « Oh non ! C’est reparti pour la liste des hernies !… Et roule ma poule !… D’abord elle va me parler de sa hernie hiatale et de son incapacité à digérer son refoulement émotionnel… Jackpot !… Maintenant on va passer à la hernie inguinale, à droite, du côté du père… voilà… et l’autopunition qui l’empêche d’avancer dans sa vie… ça c’est fait ! Dans deux minutes on va poursuivre avec sa hernie discale et son sentiment de dévalorisation… Oui !… Et… Et ?… Et la voili la voilou : la petite dernière pour compléter le tableau : la hernie ombilicale et le syndrome d’abandon ! La totale !… (…) C’est horrible, je m’ennuie !… Je ne sais plus quoi faire avec cette patiente… Qu’est ce que je peux faire pour la déprogrammer ?… Elle les aime tellement ses hernies !… » C’est bien vu, en particulier la question de la fonction du symptôme, de la résistance au traitement, de la jouissance masochiste liée au fantasme. Ce qui fait qu’une analyse prend tant de temps. C’est le premier niveau du message de la pièce.
Le second niveau est la délicate question des frontières. La première étant celle entre les psychés de la thérapeute et de ses patients. C’est un fait bien établi en psychanalyse que cette frontière est perméable et que le psy doit être au clair avec le fantasme qui structure son inconscient. Josiane Pinson nous présentifie sa confrontation à une problématique qui la touche : celle du combat existentiel entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, dont l’agent moteur est la sexualité. Il la touche d’autant plus qu’elle est elle même atteinte par la crise de la cinquantaine, un âge où la biologie remet en cause l’équilibre antérieur.
La sexualité commande des choix d’objet qui peuvent être hors norme. Ainsi une analysante interroge sa psy sur le partage de la semaine entre trois partenaires différents : « C’est la monogamie qui mène à l’infidélité !… Mais si on remplace la logique d’exclusion par une logique d’addition : Lui + lui + elle = la fête ! La joie ! Le plaisir ! Le désir vivant ! Je vous choque, hein ?… Non ?… Non, bien sûr, je suis bête : vous êtes psy ! Moi, je suis une nomade de l’amour. Je n’enlève rien à Corinne quand je suis avec Luc… Et je ne prends rien à Luc quand je suis avec Christian… Je ne suis pas infidèle : je suis polyfidèle ! » Cette patiente interroge la question de la liberté, de la condition féminine et … de la bisexualité qui est toujours présente à des degrés divers dans l’inconscient humain.
Une ritournelle obsédante revient à intervalles de plus en plus rapprochés sur le mode d’une comptine infantile en voix off, qui scande « Nique la mort ». La sexualité contre la mort ? Tiens, le tueur de Nice avait, selon les enquêteurs, une « sexualité débridée » et, tout particulièrement, bisexuelle. Il avait une méga pulsion de mort à gérer…
Dans sa pièce, Josiane Pinson ouvre allègrement les portes d’une seconde frontière : celle entre la vie professionnelle et la vie privée. Son traitement de la question de la psyché de la psy s’entremêle entre patients et thérapeute. Ses enfants sont partis, son mari la quitte, la solitude et la vieillesse s’installent… « Mais pourquoi faire tout ça ? Tout ce boulot : pourquoi faire ? De toute façon on la connaît la chute ! On a beau jouer le jeu : on y va ! Tranquillement, étape par étape ! »
Elle rétorque à ce soit disant inéluctable : « Là, le dis « JOCKER » ! Il a pas lu la bonne notice, là haut ! Il s’est trompé de personne ! Ma mécanique à moi est garantie à vie ! Ok pour une réparation, une révision annuelle ; deux trois pièces à changer… un pète de carrosserie… Mais la casse : c’est pour les autres, c’est pas pour moi ! Moi je suis immortelle ! Quoi ?… Faut que je trouve… un… un quoi ?… Un « nique la mort » ? C’est quoi un « nique la mort » ??? » Mine de rien, Josiane Pinson nous convie, nous, spectateurs, dans sa troisième frontière, celle dont nous sommes acteurs. C’est à dire dans le rapport entre l’artiste et son œuvre. La création artistique projette un morceau de psyché dans une œuvre, laquelle, par le succès de ses admirateurs prend vie et acquiert une forme d’immortalité. L’œuvre, quelque part, échappe à son créateur qui, lui, n’échappe pas au clap de fin de la condition humaine. Mais dans le cas de Josiane Pinson, sa personne vivante avec sa sensibilité, ses émotions, fait partie intégrante de l’œuvre qui n’a de sens qu’avec le jeu de l’actrice en présence du public. Mêler l’immortalité à la condition de mortel ? Oui, mais alors pourquoi proposer à la vente le DVD de sa prestation ?
PSYcause(s) 2 est une très belle pièce, très bien jouée. Elle est un questionnement qui va au fond de la raison d’être d’une civilisation, à l’image de la fonction du théâtre antique. L’actrice, à la fin de sa pièce, nous encourage à explorer le festival, démarche qui est la meilleure réponse contre la barbarie.
Jean Paul Bossuat