DSM et EBM : un débat dans la revue Psy Cause
La revue Psy Cause a une ligne éditoriale liée à un certain nombre de valeurs véhiculées par les développements historiques de la psychiatrie française depuis plus de deux siècles : Pinel et la libération des malades mentaux de leurs chaines, la loi de 1838 contre les internements arbitraires, Fleury les Aubrais en 1913 et l’adaptation à tout un établissement de l’Open Door, la psychothérapie institutionnelle au lendemain de la seconde guerre mondiale, le secteur, la psychanalyse appliquée à l’institution, les thérapies psychocorporelles etc…, toute une histoire de soins centrés sur la personne plutôt que sur le symptôme.
Le DSM venu d’Amérique du Nord a tout d’abord suscité une vision critique chez les rédacteurs français de la première époque de Psy Cause qui dénonçaient un saucissonnage de la personne. Mais il n’avait pas fait l’objet d’articles spécifiques. C’est l’internationalisation de la revue qui a conduit Psy Cause, à l’initiative des Béninois, à organiser en février 2008 à Parakou en collaboration avec la faculté de médecine de cette ville du Centre-Bénin, un congrès sur les classifications. Les psychiatres africains dénonçaient les lacunes du DSM pour décrire les symptômes observés en Afrique subsaharienne. Le doyen de la faculté de médecine, Francis Tognon Tchegnonsi, proposait alors une « tentative de classification des maladies mentales dans la psychiatrie traditionnelle béninoise »(1) Il y distinguait la « Grande folie » correspondant à des états psychotiques, et la « Petite folie » avec ses phénomènes de possession qui obligeait à réintroduire l’hystérie dans le DSM. Cette question de l’hystérie disparue dans la classification avait été soulevée dans ce congrès par Pierre Évrard.(2)
Le pédopsychiatre canadien Bertrand Tiret, du Centre Hospitalier Pierre Janet à Hull au Québec et rédacteur de Psy Cause, avait à Parakou resitué le DSM tel qu’il l’avait perçu dans son cadre naturel qui est l’Amérique du Nord(3). Promu par l’Association Américaine de Psychiatrie (American Psychiatric Association, APA), il est un manuel destiné à diagnostiquer les troubles psychiatriques sur un plan international. Dans ses débuts (DSM I et II), la classification était fortement influencée par le modèle psychanalytique (1948 à 1973). Le DSM III en 1974 marque un tournant avec l’abandon du modèle psychanalytique au profit du modèle biomédical et l’intention déclarée d’un cadre « athéorique ». L’objectif était aussi de faciliter une approche randomisée des essais thérapeutiques. Ce virage n’a pas fait l’unanimité aux États Unis où de nombreux psychiatres dénonçaient le risque de collusion avec le milieu pharmaceutique. Le DSM IV en 1994 a tenté une vision intégrative des symptômes avec l’approche axiale. Bertrand Tiret voit dans le DSM l’intérêt d’un langage commun, de disposer d’un outil statistique pour la recherche en épidémiologie et pour mesurer l’efficacité de mesures en santé publique. Par contre il dénonce l’inconvénient de faire fi du subjectif et le risque d’une médicalisation excessive de la souffrance. Derrière l’invention du DSM, se profile son usage. Il décrit dans sa communication l’intégration du DSM dans la politique de santé du Québec. De toute façon et malgré les enjeux économiques, disposer d’un outil quel qu’il soit ne justifie pas l’économie de la réflexion. Bertrand Tiret cite des propos de Freud dans une lettre à Férenczi : « J’estime qu’on ne doit pas faire de théories, elles doivent tomber à l’improviste dans notre maison, alors qu’on est occupé à des détails ».
L’intervention canadienne avait le mérite de situer le débat sur le DSM : même si des lobbies en font un instrument idéologique, il doit être remis à sa place. Nous ne nions pas l’utilité de l’outil … dans la mesure où il n’est qu’un outil qui n’interdit pas la réflexion clinique avec d’autres modèles de référence, laquelle peut ensuite se retrouver de surcroit dans le DSM.
Déjà en mars 2007, Jean Jacques Lottin, rédacteur de Psy Cause, avait lancé un pavé dans la mare avec son « pamphlet », publié dans notre tribune libre « Opinons », évoquant les invasions barbares de l’EBM (Evidence Based Medecine) et dont le ton polémique était destiné à susciter des réactions.(4) Il affirma dans son article que la médecine fondée sur des preuves scientifiques avait été inventée par le Reich nazi fasciné par les théories positivistes … et les théories eugéniques et raciales du mouvement fasciste américain emmené par Henry Ford dont la photo décorait le bureau de Hitler. Selon lui, cette idéologie scientiste a été reprise par le monde anglosaxon de l’ère néolibérale et récemment en France où désormais les autorités administratives et scientifiques sont contaminées par une méthode fondée sur la statistique, le déterminisme biologique et comportemental, qui porte gravement atteint à notre culture professionnelle. L’EBM est une méthode pédagogique mise au point en 1980 à Toronto dans une université privée financée par l’industrie pharmaceutique, conçue comme une démarche de recherche, d’évaluation et d’utilisation des preuves disponibles pour résoudre une question clinique. Cette méthode suit quatre étapes : formulation du problème médical, recherche dans la littérature et les statistiques des articles les plus pertinents et des « meilleures » preuves dont on fait la méta-analyse, évaluation de leur « niveau » de validité et de l’applicabilité des conclusions pratiques, enfin, intégration des données trouvées dans la réponse thérapeutique sous forme de référentiels et de protocoles. Cet ensemble donne une caution scientiste aux nouvelles croyances du tout quantifiable. Jean Jacques Lottin dénonçait alors dans son article l’utilité de l’EBM pour l’idéologie gestionnaire de nos gouvernants. Il attirait notre attention sur le danger inhérent à cette méthode qui peut confondre preuve et probabilité, entachée d’empirisme et scientiste.
C’est, une fois de plus, un rédacteur canadien de Psy Cause, Raymond Tempier alors Professeur de Psychiatrie dans la province du Saskatchewan, qui alimente le débat sur l’EBM dans un article adressé à la revue début 2010 : « La psychiatrie basée sur l’évidence : une histoire à prendre avec modération ».(5) Il constate que la pratique de la médecine basée sur l’EBM est en train de devenir, qu’on le veuille ou non, la règle de base de la pratique dans le monde, et que le pratique de la psychiatrie en fonction de données probantes ou Evidence Based Psychiatry (EBP), n’y échappe pas non plus. Selon lui, la psychiatrie vit actuellement une époque charnière et de plus en plus de psychiatres posent la possibilité de la disparition pure et simple de cette « jeune » discipline au profit d’une médecine du comportement voire d’une médecine psychologique ou spécialisée dans les maladies du cerveau. Les théories sur l’origine des maladies mentales divergent et de plus en plus de voix s’élèvent pour signaler les dangers qui guettent la profession écartelée entre plusieurs courants de pensée et théories sans grand lien, voire contradictoires. On a l’impression que le clinicien, face à son patient, suit et subit sans se douter qu’au fond quand il parle de psychiatrie, on est en train de réassembler les chaises sur le pont du Titanic, s’exclame Raymond Tempier : « Quand est-ce que la psychiatrie touchera l’iceberg ? Et l’EBP, démarche scientifique à l’appui, est peut-être cette chance que nous devons saisir pour ne pas sombrer. »
Raymond Tempier rappelle que l’idée de base de l’EBM était de fournir aux cliniciens les outils statistiques nécessaires pour évaluer une étude. L’université Mac Master de Toronto partait du constat que 40% des décisions cliniques ne sont pas basées sur la preuve (évidence) et que de plus, sur des millions d’articles qui paraissent dans les journaux spécialisés, la plupart sont narratifs ou anecdotiques sans apporter aucune preuve de ce qui est avancé. L’EBM a au moins le mérite d’essayer de prouver scientifiquement le bien fondé de l’observation. Mais, observe Raymond Tempier, l’EBM a eu moins d’impact en psychiatrie parce que chaque patient est unique et que les psychothérapies ne sont pas quantifiables. Le premier article sur l’EBP a été écrit par deux Canadiens de Colombie Britannique en 1995 (Bilsker et Goldner). L’enjeu concernait l’efficacité des traitements médicamenteux. La démarche EBP a mis en évidence par exemple que la prescription pourtant courante de plusieurs neuroleptiques chez un même patient, n’apporte rien de plus que le cumul des effets secondaires.
Il n’empêche qu’un malaise s’est fait jour en raison de l’utilisation de l’EBM par le management care canadien pour réduire les coûts de la santé. L’EBM n’avait pas été inventée pour cet usage mais pour améliorer la qualité des soins apportée au patient. Raymond Tempier relève qu’aujourd’hui au Canada « les pressions constantes à contrôler les coûts peuvent contribuer à la démoralisation des soignants et au rejet de l’EBM au nom d’une pratique plus éthique qui se veut séparée de l’économique. » Malgré tout, il pointe l’aspect positif d’avoir un outil qui aide au jugement pour prendre la bonne décision dans l’intérêt de son patient, qui permet de demeurer critique face à l’afflux de nouvelles techniques. Il questionne au passage le tabou d’une critique de la psychanalyse : « on ne critique pas la religion catholique sans risquer les foudres de l’Inquisition ! On y croit ou on n’y croit pas, un point, c’est tout. Pourtant, la psychanalyse n’a pas fait sa preuve quoiqu’elle reste souvent un cadre théorique de référence et que les récits de guérison sont nombreux. »
Le point de départ sur l’EBM était avec Jean Jacques Lottin, l’idéologie nazie et nous voilà arrivés à la Sainte Inquisition ! En avril 2009, j’étais invité par l’association des psychiatres universitaires tunisiens, en tant que directeur de Psy Cause, à Sousse à un congrès intitulé « facteurs de risque et facteurs de protection en psychiatrie » centré sur les applications de l’EBP.(6) La méthode statistique basée sur la preuve était de règle. L’une des communications réalisée par une jeune équipe de l’hôpital Razi de Tunis (Mejda Chéour, Anissa Bouasker, Hédi Aboub), présentait une étude sur le stress qui associait la méthode EBM à des travaux de Sigmund Freud et d’Anna Freud. Espérons que la jeune révolution tunisienne replacera dans une nouvelle perspective cette question de l’EBM : la meilleure antidote du totalitarisme est la pluralité des références et leur libre expression.
Pour conclure, donnons la parole à notre rédacteur anglais, Andrew Blewett, psychiatre à Exeter, à propos de la revue francophone Psy Cause(7) : « il est clair que les publications anglophones apparaissent sur une échelle industrielle, que leur force gravitationnelle crée un effet boule de neige (…) mais il est important d’adopter un point de vue pluraliste. La psychiatrie francophone ne doit pas se définir en réaction à sa cousine anglosaxonne. Peut-on s’offrir le luxe de passer son temps à dénoncer la médecine de base évidentielle (EBM) en tant que courant intellectuel – important, mais capable de perversion comme toute chose ? Ne faut-il pas mieux développer une autre base d’évidence construite et fondée sur les conditions et les besoins de chaque société, et de chaque système de tradition culturelle ? Pourquoi ne pas réinventer le concept d’évidence, l’adopter et le remanier ? Il faut plus que la méta-analyse des études de contrôle randomisé pour imaginer un monde – même si cela facilite les choses. » Andrew Blewett, dans cet article écrit en octobre 2010, regrette la révolution libérale en cours en Angleterre qui va remettre en question un système de psychiatrie sociale et humaniste qui est la richesse de la psychiatrie anglaise. « Le marché va tout décider dans le domaine de la santé semble-t-il ! » Soutenir un autre discours concernant la consommation des soins en psychiatrie, rendrait service. Au fond, pour notre rédacteur anglais et ce sera le mot de la fin, la question est éthique.
Jean Paul Bossuat
(1) Francis Tognon Tchegnonsi, « Tentative de classification des maladies mentales dans la psychiatrie traditionnelle béninoise », Psy Cause N° 53, pages 9 à 10.
(2) Pierre Évrard, « Où se cache l’hystérie disparue ? », Psy Cause N° 53, pages 40/41.
(3) Bertrand Tiret, « Et si le DSM (vous) était conté », Psy Cause N° 53, pages 4 à 8.
(4) Jean Jacques Lottin, « Pour en finir avec « les invasions barbares » infantilisantes de l’Evidence Based Medecine (…) », Psy Cause N° 47, pages 40/47.
(5) Raymond Tempier, « La psychiatrie basée sur l’évidence : une histoire à prendre avec modération », Psy Cause N° 57, pages 49/53.
(6) Sousse les 16-17-18 avril 2009 : « facteurs de risque et facteurs de protection en psychiatrie » (compte rendu), Psy Cause N° 54, pages 51/54.
(7) Andrew Blewett, « En écho à l’éditorial », Psy Cause N° 58, page 47.
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