De la folie singulière, individuelle et collective.
Un homme solitaire, insoupçonnable et secret, un sujet jusque-là inconnu qui tire et abat des dizaines de personnes au nom d’une revendication idéologique, la coexistence d’une méthode et d’une rigueur dans la mise en acte avec une revendication sans ambages et un mobile fumeux construit à partir de l’idéologie en vogue, en psychiatrie, on connait. Paranoïa, idéaliste passionné…La classification des maladies mentale est rodée, pas le DSM, bien sûr (il a une autre finalité que de décrire finement les sombres ressorts humains, celle de justifier l’usage des psychotropes), mais la classique classification issue de l’aliénisme français.
Ces individus sombres sont rares mais chacun des faits divers qu’ils suscitent pointe avec acuité la responsabilité politique de ceux qui nourrissent leurs délires. C’est la différence entre auteur et acteur d’un crime. Ygal Amir l’assassin d’Itzhak Rabin, mais aussi, aux antipodes de l’histoire, Richard Durn, et Ravaillac. Ces passages à l’acte suscitent émotion et indignation mais in fine resserrent les liens du corps social qui en est victime. La société norvégienne aura les moyens psychiques collectifs de mener une introspection doublée d’une communion émotionnelle sur le fait qu’elle ait pu engendrer un tel « monstre ». Elle s’en remettra et s’en trouvera sans doute fortifiée car le Monstre, lorsque sa folie envahit le champ social, resserre paradoxalement le lien social. Il a donc une fonction précise. Par son acte si énorme, hors norme, il va replacer pour un temps la barrière entre le bien et le mal et permettre ainsi une normalisation des rapports au sens où il va réintroduire la norme. Il va revivifier le système.
Mais qu’en est-il des crimes politiques au quotidien, à toutes les échelles collectives ? Quelques exemples seront sans doute parlants à beaucoup :
-A l’échelle de l’entreprise : le harcèlement moral comme mode managérial et comme folie du lien social en milieu restreint.
-A l’échelle de l’état : Les démantèlements programmés du service public hospitalier, de la justice, du système scolaire, de la police de proximité qui entrainent la désarticulation du lien social, tout ça pour préserver la courbe des bénéfices de quelques-uns. Sauver les banques plutôt que sauver le peuple, voir la Grèce….Et la France aussi.
-A l’échelle mondiale deux exemples entre mille : La cécité mortifère des gouvernants vis-à-vis des dangers d’un nucléaire instauré avant d’être complètement maitrisé ; celle des trois religions du Livre à l’égard de l’explosion démographique insensée qu’elles encouragent encore et toujours contre toutes logiques : l’instauration d’une idéologie de la décroissance pourrait faire repasser la population mondiale de neuf milliards à trois milliards d’êtres humains, Et là, plus problème energétique, ni d’emploi…Mais le contrôle réel des naissances est un tabou social ! Au nom de l’Eternel…
Certaines idéologies meurtrières collectives si elles ne sont pas outrancièrement brutales échappent donc à la psychiatrisation et leurs auteurs comme leurs acteurs jouissent longtemps d’une aura jusqu’à ce que, parfois, le jugement de l’histoire les condamne. Mais le mal est fait. Ma question est : pourquoi l’acte de Anders Behring Breivik est-il immédiatement perçu comme relevant de la folie meurtrière et pourquoi d’autres actes aussi énormes et insensés, commis eux par des hommes politiques respectés, ne peuvent-ils pas être aussitôt identifiés comme tels ? Le Tribunal Pénal International est un premier pas, les notions récentes à l’échelle historique de génocide ou de crime contre l’humanité sont des avancées indiscutables bien que la volonté politique manque souvent pour en faire une norme universelle partagée, certains états restant trop puissants pour qu’on puisse oser les inquiéter.
C’est aux peuples de créer leurs normes psycho-comportementales, pas aux petits chefs de guerre, aux gourous de tout poil ou ou aux gouvernants qui, on le sait, ont perdu la raison depuis longtemps (la raison est soluble dans la corruption et l’ivresse du pouvoir). La folie est un peu le propre de l’homme seul ou en groupe (folie individuelle, folie à deux, folie collective), c’est pour cela qu’elle ne peut être que consubstantielle du politique. Osons la reconnaitre même lorsqu’elle prend le masque du politique.
D. Bourgeois 24/7/11
Bibliographie :
M. DIDE : Les idéalistes passionnés. Coll. Psychopathologie fondamentale. Ed. Frison Roche 2006.
D. BOURGEOIS : Criminologie politique et psychiatrie. L’Harmattan 2002.