Colloque Psy Cause « Adolescences » à Marseille le 5 octobre 2012 (compte rendu)
Le Dr Jean Paul Bossuat, en tant que directeur de la revue Psy Cause et Président de l’association « Psy Cause International », accueille les participants. Il remercie Marie José Pahin qui est l’organisatrice de cette Journée dans le cadre de la section « Psy Cause – France ». Il précise que Marie José Pahin est rédactrice en chef de la revue Psy Cause en tant que psychanalyste avec le Dr Pierre Évrard, rédacteur en chef en tant que psychiatre. Ceci témoigne de la pluriprofessionnalité de la revue de psychiatrie. Le Dr Jean Paul Bossuat remercie les intervenants prestigieux qui ont accepté d’apporter leur contribution, et présente le IX° congrès international de Psy Cause qui aura pour thème la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent et qui se déroulera aux Seychelles du 17 au 25 mars 2013. Son organisation reposera sur la section « Psy Cause – Océan Indien » qui dispose déjà d’un bureau au « Centre Hospitalier des Seychelles ».
Marie José Pahin introduit le colloque sous le signifiant « dialogue » qu’entre autre elle décline en « dialogue analytique » dont l’objectif est que le sujet puisse entrevoir par lui-même une jouissance qu’il aurait. L’adolescent est confronté à une crise qui lui donne des chances d’ouvrir un avenir mais tout aussi bien de se refuser sur le registre de la fatalité tragique. Notre propre société est traversée par une crise et il convient de dire qu’à son sujet, ni Lacan ni Freud étaient franchement optimistes. Dans les familles, la crise d’adolescence oscille entre la créativité et les frustrations. Une adolescence difficile recouvre toujours des problèmes dans l’enfance et peut laisser des séquelles toute la vie.
Le premier intervenant est le psychiatre Nadim El Malki, connu pour son travail sur Ovide et qui communique sur le thème « Note sur la métamorphose autour du texte d’Ovide ». Il nous annonce une lecture « singulière » de l’un des plus longs poèmes de l’Antiquité (12000 vers) qui est le grand texte du poète latin Ovide : « Les métamorphoses ». Cette lecture est une réflexion sur la portée du discours poétique capable de nous émanciper du discours technique.
Ovide avait été « relégué » par l’empereur Auguste au bout du monde Romain, sur les rives du Pont Euxin, c’est à dire sur les bords de la Mer Noire. Cette condamnation faisait suite à une infraction à la Lex Julia destinée à moraliser la vie publique. Le poète était en grande souffrance, en prise avec une perte de ses repères lorsqu’il écrivait cette œuvre. Il mourra 6 ans plus tard. Il enchaîne, dans son texte, des mythes grecs et latins, emboités les uns dans les autres afin d’explorer ce qu’il présente comme une théorie poétique sur l’identité humaine. Son travail s’achève par un exposé sur la doctrine de Pythagore, qui parle du principe de la transformation incessante des choses et du monde. Cette œuvre poétique d’Ovide nous expose le mythe comme une toile centrée par un miroir qui montre ce que nous ne voyons pas dans ce que nous voyons. Le mythe dévoile l’univers du fantasme.
En lisant les mythes dans leur emboitement, dans leurs effets d’écho et de répétition, Ovide nous présentifie qu’ils abordent les différentes facettes d’une même question. Il fait le constat que chaque métamorphose est une conséquence du désir des dieux. Ainsi : les dieux créent les hommes à partir des pierres ; Vénus transforme en femme une sculpture réalisée en ivoire qui représente une jeune fille, par Pygmalion tombé amoureux de son œuvre. Si certaines métamorphoses élèvent, d’autres abaissent : Lycaon, un roi qui dévore ses hôtes, est transformé en loup par Jupiter. Ces métamorphoses illustrent la fragilité du devenir humain devant le désir des dieux, c’est à dire la tragédie du sujet confronté au désir de l’Autre et à son pouvoir.
Il conviendrait mieux, pour formuler le pathologique, de parler de métamorphoses plutôt que de maladie mentale. Le concept de maladie mentale rétrécit la tragédie du sujet à sa négativité. Alors que la métamorphose permet l’ouverture des possibles. Dans le mythe de Jupiter et de Io transformée en génisse, la métamorphose est réversible.
Le second intervenant est Pierre Ginésy, un psychanalyste connu pour son œuvre décapante (dont « Outrances du sujet » aux Éditions Apolis), inscrit pour communiquer sur le thème « Les impasses de la loi : l’adolescence comme tentative de reterritorialisation ». D’entrée, il nous dit qu’il préfère le néologisme « abolescence » au mot « adolescence ». Pour lui ; il convient mieux de centrer son propos sur la temporalité plutôt que sur le territoire. Le mot latin « adolescens » se traduit par « grandissant ». L’adolescence est le temps de passage entre l’enfance et l’âge adulte. Toutes les cultures efficientes « marquent » ce temps là. À la différence de notre propre culture occidentale qui est actuellement en état « d’ethnocide inavoué » et qui rend cette période indécidable. L’adolescence, dont Euripide dit qu’elle est « anti cité », nous enseigne une temporalité avec ses variations en accéléré et en ralenti comme au cinéma. Dans le temps « destinal » de l’adolescence, nous avons des aberrations chroniques, des hétérochronies. Pierre Ginésy achève son exposé sur le message des adolescents : ils nous disent quelque chose de l’avenir de notre société, que nous n’écoutons plus. Leur discours est « prodigieux » au sens qu’il devrait être entendu comme l’étaient les « Prodiges » dans la Rome antique, qui éclairaient l’avenir.
La troisième intervenante est la psychanalyste Dominique Texier venue nous parler à propos de son livre paru aux Éditions Érès : « Adolescences contemporaines ». Elle ouvre son exposé par une métaphore : « le passage de l’adolescence est une explosion qui confronte à un vide. L’adolescent doit percevoir qu’au delà du vide, il y a le rivage. Il doit faire le saut sans tomber dans le trou. Le rôle du corps social est de l’accompagner dans ce saut. » À cette dimension du trou, Dominique Texier ajoute la convocation de la limite par le jeune. Si ce dernier ne la trouve pas dans le cadre sociétal, il va la chercher ailleurs : par exemple dans l’errance comme mode de survie ou dans les tatouages comme tentatives d’inscription. La notion d’adolescence apparue en Europe occidentale, est récente. À l’époque de Freud, on parlait de puberté, pas d’adolescence. Cette notion est apparue avec l’émergence de la notion de sujet, concomitante de l’individualisme dans notre société néolibérale. La notion d’adolescence n’existe pas aujourd’hui dans d’autres cultures, comme par exemple dans le monde arabe où l’on passe d’un seul coup du statut d’enfant au statut d’adulte. En Europe, l’adolescence est la classe d’âge qui se rebelle contre l’autorité.
Au sortir de l’enfance, le jeune va interroger la capacité de la langue à traduire ce qu’il ressent. L’enfant croit en la parole de ses parents. Arrive un moment de bascule où la figure qui assurait la garantie « quand tu seras grand, tu pourras », tombe. La puberté introduit une menace réelle que le jeune ressent dans son corps : physiquement, il peut être l’objet de la jouissance parentale. Il n’a plus de place dans le territoire du lit de la mère. Une société très hiérarchisée lui dit : « ton territoire est là ». Mais la société occidentale peine à lui trouver de vrais autres territoires dans lesquels il acceptera d’être légitimé sans garantie absolue. L’adolescent est dans un moment de rupture, de discontinuité, situé dans l’interface entre le singulier et le collectif. C’est une question très contraignante dans l’état social contemporain au sein de nos pays d’Europe. L’adolescent doit accepter ce moment de discontinuité. Notre société a un double mouvement : elle accueille certes l’adolescence mais en interprétant un mouvement vers l’infini comme un mouvement vers l’illimité. D’où le second mouvement par la mise en place de politiques sécuritaires.
Dominique Texier achève son exposé sur une dernière particularité de la rupture à l’adolescence : la chute du binaire. Chez l’enfant, c’est : « je l’ai » ou « je ne l’ai pas ». L’adolescent est confronté à une jouissance dont il n’a pas les mots pour la dire. Les seuls mots parentaux dont il dispose, deviennent une menace. Il se retrouve dans un exil qui l’oblige à conquérir une langue qui est celle de la communauté, de l’Autre social.
La quatrième intervenante est la psychanalyste Marie Prugnaud qui se propose d’interroger la littérature sur le séisme de l’adolescence à propos d’exemples. Elle traite essentiellement le cas du jeune Werther dans le roman épistolaire de Goethe « Les souffrances du jeune Werther » (1774). Le jeune Werther exprime par des lettres à un ami, la passion qu’il éprouve pour Lotte. Goethe, lui même en souffrance, dira que ce roman l’a sauvé. Dès les premières minutes Lotte annonce à Werther : « Je suis promise ». La venue du fiancé, Albert, ne le dérange pas car il est persuadé que c’est lui qu’elle aime. Lotte est consciente que Werther est sur la pente inéluctable de la pulsion de mort et de l’autodestruction. Devenu interdit de séjour dans la maison de Lotte et de son conjoint, il y envoie un valet pour emprunter peu avant Noël deux pistolets en vue d’un voyage. Lotte s’effraie mais Albert répond à Lotte : « donne les lui ». Alors, dans un moment d’exaltation, un pistolet touché par Lotte dans sa main, il s’écrie : « Quel bienheureux je suis, puisque c’est elle qui me tue ». Et il se tue. Ce cas littéraire raconte une perversion narcissique et une réactivation de l’Oedipe avec le suicide adressé aux parents (comme la plupart du temps). Marie Prunaud compare cette issue fatale avec la problématique décrite par Dostoïevski dans son roman autobiographique « L’adolescent ». Après les humiliations dans une pension huppée où il avait été placé en tant que bâtard, il retrouve son père géniteur alors en pleine ruine économique et clôt ce chapitre de sa vie avec lui. Ensuite, il peut s’investir dans de nouveaux horizons particulièrement brillants.
Le dernier intervenant est le Dr Gérard Pommier, psychiatre, psychanalyste, maître de conférence à l’université de Nantes et auteur de « Que veut dire faire l’amour ? » aux Éditions Flammarion. Il introduit son propos en rappelant que dans son livre, il avait présenté l’orgasme comme formation de l’Inconscient. La sexualité humaine n’est pas liée à la reproduction. Elle est « perverse polymorphe » car animée par une libido excitée de l’extérieur : on peut parler d’une jouissance parasitaire. Le but du désir, précise le Dr Gérard Pommier, « est de se débarrasser de ce parasitage en le faisant sien ». Le désir n’est pas le plaisir, disait Freud. Ce parasitage conduit le sujet infans à se passer du phallus de l’Autre (et de se débarrasser de la problématique d’être le phallus de l’Autre) par la masturbation. Il faut bien savoir que le départage entre l’homme et la femme ne se fait pas sur la base de l’anatomie mais sur la base d’une bisexualité psychique. L’autoérotisme, qu’il se pratique avec le pénis ou le clitoris, est exactement la même chose. Les deux sexes sont dans la même jouissance phallique, jouissance coupable car séparée de la mère. Ils cherchent la punition. La masturbation coupable s’accompagne d’un vœu d’interdit, l’interdit étant une source de jouissance. L’enfant s’invente un père fustigateur, porte ouverte sur le choix du genre masculin ou féminin. Le désir du père (fantasmé), avec son corollaire le risque incestueux mortel (faire l’amour avec ce qui est avant la vie), est le noyau central de la structure subjective. Le choix du genre est psychique selon le positionnement à l’égard du père. Soit pour devenir homme, le sujet veut prendre la place du père, soit pour devenir femme, il aime un homme susceptible de supplanter le père. Les garçons comme les filles sont dans la jouissance phallique. La bisexualité persiste. Le départage est vouloir donner le phallus ou vouloir le prendre. « Les femmes qui provoquent le désir, c’est à dire le phallus en érection, en sont aussi bien propriétaires ». Mais les hommes ne peuvent consentir à leur féminité et les femmes cesser de réclamer leur part de masculinité qui leur revient. Nous retrouvons là ce qui reste non résolu dans le choix du genre et qui correspond à la « névrose actuelle » de Freud.
Le Dr Gérard Pommier conclut sur le lien du sexe avec la mort puisqu’établi sur le désir de parricide. Le parricide est symbolisé par l’usage du même nom de famille que le père ou par le fait de prendre un trait du père : c’est prendre sa place. L’homme aimé par une femme est celui qui permet de tuer le père. C’est le thème du Cid de Corneille. L’urgence de l’exogamie chez les femmes peut s’exprimer par la recherche d’un homme qui soit le contraire de leur père.
En conclusion, Marie José Pahin nous a organisé un colloque de rentrée très riche, au long duquel nous avons travaillé sur une belle suite de signifiants : métamorphose, saut du trou, modifications du temps, capture mortifère dans l’Œdipe, tuer le père … Mais au final, la poésie, la littérature et la création fantasmatique sont au service de la condition humaine.
Jean Paul Bossuat
Hola, soy investigadora fotografica y me interesa para la portada de un libro la imagen de Gerard Pommier. Quiero saber si la puedo utilizar y cuales son las condiciones de su publicacion.
Muchas gracias
Hola Laura !
Aqui -> http://www.gerardpommier.site-fr.fr/contact/11034