Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Château de Rochegude le 29 mars 2014 : les États Limites

C’est en janvier 2013 que le Dr jean Louis Griguer, psychiatre chef de pôle à l’hôpital Le Valmont (Valence), docteur en philosophie et rédacteur de Psy Cause, eut l’idée de réinscrire notre fonctionnement associatif dans une dimension nationale un peu occultée par l’international. Cette question de Psy Cause en France faisait débat et pas seulement à Avignon, si l’on reprend des arguments de l’époque, de notre rédactrice strasbourgeoise, la Dr Dominique Schneider, qui nous demandait de ne pas perdre de vue la richesse de la clinique française qu’il conviendrait de mettre en valeur pour dans un second temps enrichir nos échanges internationaux. Les mois d’hiver de début 2013 furent entre autre l’objet de vifs échanges internes, sources de repositionnement des uns et des autres et d’une mue en profondeur de Psy Cause. Cette mue intégrait des nouvelles dimensions (et missions) dans un retour aux principes fondateurs qui fondent notre légitimité.

 

01-Rochegude-10.3.14C’est pourquoi ce colloque de Rochegude fut inscrit dans la continuité des colloques interrégionaux annuels qui ponctuaient depuis les débuts de Psy Cause la dynamique française du tandem revue + association : nous allions réaliser le « XV° colloque interrégional de Psy Cause en France ». Dans la suite du XIV° colloque qui s’était déroulé à Béziers en octobre 2010 sur l’art dans le soin, et après une interruption de près de trois années dans l’organisation de manifestations nationales. Et pourtant cette continuité s’accompagne d’une véritable rupture présentifiée par le cadre de nos travaux. Dans un monument historique appartenant à la chaine des « Relais et Châteaux », pour la première fois dans un congrès national, nous ne nous réunissions pas dans une salle relevant d’une institution soignante publique ou privée. Psy Cause eut pour berceau l’institution à une époque où encore cette dernière pouvait définir les hommes. De nos jours, en France, ce sont les hommes qui se définissent eux mêmes. Le rapport des hommes à leurs institutions aurait donc évolué. Mais peut être aussi celui des institutions aux hommes. Ainsi la place des soignants dans le service public français a considérablement évolué en quelques années.

 

La participation à ce XV° colloque fut répartie de façon équilibrée entre les psychiatres publics, les psychiatres privés, des paramédicaux et des étudiants, dont l’origine géographique était contenue dans un triangle Paris-Marseille-Bordeaux, auquel il convient d’ajouter une intervenante de Montréal. Ce colloque était donc représentatif de « Psy Cause France » en 2014.

 

Le Dr Jean Louis Griguer introduit le colloque en regrettant l’absence du co-président, le Dr Jean Paul Bossuat hospitalisé à l’hôpital cardiologique de Lyon et qui a beaucoup œuvré pour la préparation de ce colloque. Il donne ensuite la parole au Dr Hugues Sharbach, neuropsychiatre à Nantes, expert, et spécialiste reconnu des États limites.

 

Communication du Dr Hugues Scharbach

 

02-ScharbachSa communication est l’intervention inaugurale de cette Journée. Intitulée « Dé-limitation du spectre « psychopathologie – limite » de la préadolescence à l’âge adulte. », elle insiste sur un aspect mis par lui en perspective depuis son rapport du congrès de Psychiatrie et de Neurologie de langue française de 1983, à savoir un noyau anxio-dépressif qui, au niveau sémiologique, occupe une position centrale. Il existe une défaillance de l’objet interne support de projections de colère. Cette défaillance de l’objet interne entraine l’extrême dépendance des sujets limites qui, du coup, tentent une continuité narcissique avec l’objet externe. La « limite » est donc du côté de la dépression psychotique telle qu’on la retrouve dans la mélancolie, à la différence notable de la relation d’objet anaclitique quoique fondamentalement insatisfaisante dans la restauration narcissique de l’objet interne.(1) Le Dr Hugues Scharbach constate que la facilité du recours au passage à l’acte dans les états limites témoigne d’une mauvaise maîtrise de l’agressivité. « Ces sujets, qui ne peuvent conserver une appréciation stable de leur propre valeur, (…) renvoyés à un sentiment d’incomplétude, à leur appréciation dépressive de soi compensée jusqu’alors par une hypervalorisation, laissent se décharger leur tension agressive, sans possibilité de mentalisation ou de symbolisation. »(2)

 

Communication du Pr Gérard Pirlot

 

Après une pause, le programme se poursuit avec trois orateurs appelés à décliner les états limites avec un point de vue psychanalytique. Le premier orateur est le Pr Gérard Pirlot, professeur de psychopathologie psychanalytique à l’université de Toulouse II Le Mirail, membre de la rigoureuse Société Psychanalytique de Paris, ancien psychiatre des Hôpitaux, directeur du Laboratoire Cliniques Psychopathologiques et Interculturelles (actuellement en cours d’instauration d’un partenariat avec Psy Cause), membre du comité de rédaction et du comité de lecture de la revue Psy Cause. Il nous a transmis un développement détaillé de son exposé que nous reproduisons ci-dessous in extenso :

 

ÉTATS-LIMITES

 

1- Caractéristiques cliniques psychiatriques

03-PirlotDevant l’extension de ce «syndrome», nous ferons une place conséquente à sa description clinique, à l’historique et aux hypothèses psychopathologiques psychanalytiques qui permettent d’en comprendre à la fois le sens et la construction.

Le polymorphisme clinique et psychopathologique de cette entité clinique état limite invite à la à la prudence. Le clinicien, ne doit ainsi pas poser le diagnostic trop hâtivement  en particulier chez l’enfant(3).

La présentation clinique d’un patient état limite, peut poser problème et faire évoquer, successivement, une psychose, une névrose (hystérique, d’angoisse, phobique, obsessionnelle), une personnalité pathologique (histrionique, schizotypique, paranoïaque, narcissique, dyssociale, dépendante), une psychopathie, toutes celles-ci pouvant être masquées par des conduites toxicomaniaques et addictives.

 

Si l’on se réfère aux travaux de Kernberg, repris par Marcelli, ou ceux de Green, qui nous servirons de fil introductif, on repère pour le diagnostic :

– l’angoisse et sentiment d’insécurité,

– pathologie de l’intériorité,

– les symptômes d’apparence névrotique,

– la dépression, sentiment d’infériorité et désertification psychique,

– le passage à l’acte,

– la relation de dépendance drogue, alcoolisme,

– les épisodes psychiatriques aigus,

– les réactions thérapeutiques négatives.

 

a. L’angoisse et le sentiment d’insécurité

L’angoisse est constante mais a des aspects différents de celle présente dans la névrose d’angoisse même si, comme dans cette dernière, existent des crises d’angoisse avec manifestations somatiques et sidération sur les processus. Mais l’angoisse est ici existentielle, empêchant tout sentiment de bien être et d’adéquation entre le sujet et ses objets environnants. Comme le remarquait déjà Stern en 1938, l’angoisse n’est pas mentalisée mais plutôt somatisée côtoyant un sentiment constant d’insécurité reflet des traumatismes infantiles précoces et du manque « d’objets sécures » pendant cette période.

Angoisse paroxystique

-expérience de déréalisation, de sensation de perte du sens de la vie et de sa propre identité

-angoisse d’abandon, d’annihilation, crainte de perte le contrôle de soi –même de devenir fou (le fameux « vos questions, ça me prend la tête »), avec peur de céder à ses impulsions

-Angoisse chronique

Mal-être et angoisse continue que le sujet ne supporte pas : l’intolérance à celle-ci, vécue sur un mode dramatique voire persécutif, est fréquente.

À la différence d’angoisses psychotiques (qui peuvent toutefois être présentes dans certains cas), à savoir une angoisse d’éclatement, de morcellement ou de transformation physique (dysmorphobie), ou d’angoisses névrotiques de sentiment de culpabilité ou d’échec, l’angoisse est préférentiellement elle d’une perception  de la perte du sens de la vie et de sa cohérence interne doublée de celle de «n’être pas à la hauteur de ce que l’on souhaite être ».

L’angoisse signe un débordement pulsionnel et un échec d’ordre économique à lier l’excitation psychique aux  représentations dynamiques. On comprend  que le recours à la drogue ou à l’alcool apparaissent à l’état limite comme une béquille externe pouvant combler l’incapacité à représenter et symboliser les affects, les fantasmes  et  ce qui est de l’ordre de la séparation. L’absence de l’objet –y compris du thérapeute- ne peut être  pensée, représentée, le sujet assimilant  l’absence à un manque qui renvoie aux angoisses d’abandon.

 

b. Pathologie de l’intériorité

Un des aspects des cas limites est leur défaut d’intériorité, d’investissement de l’espace psychique interne, de l’activité psychique propre qui explique :

– l’incapacité à être seul,

– la dépendance (addictive),

– l’impulsivité et les passages à l’acte,

– la relation d’objet anaclitique,

– le besoin d’étayage du Moi sur celui d’autrui.

De sa pulsionnalité, ses impulsions, ses représentations vécues avec une intensité toute hallucinatoire et réelle, bref de sa folie privée (Green), vient ce qui fait peur à l’état-limite.  Ce défaut d’intériorité prendra parfois l’aspect d’un faux-self, particulièrement dans le cas où le sujet sera intégré socialement, voire conformiste sur le plan social et professionnel(4).

Toutefois chez l’état limite classique, la position en faux-self n’est là que comme tentative défensive pour masquer une activité fantasmatique crue, d’ordre prégénital condensant oralité, analité et génitalité infantile centrée sur une vision terrifiante de la scène primitive: la posture en faux-self dans ces cas supplée au défaut de refoulement des activités fantasmatiques. «Ici, ce qui dans la névrose est inconscient se manifeste directement, donnant le sentiment que l’inconscient es retourné en doigt de gant, et que ce qui est latent dans les névroses devient manifeste dans ces états»(5). Aussi, on ne sera pas étonné que dans les meilleurs des cas, certains états limites doués artistiquement, mettent à profit, dans leur art, cette capacité (chanteurs, stars pop-rock, peintres plus que romanciers évidemment).

Sur le plan psychopathologique, c’est évidemment toute la question des limites entre l’interne et l’externe qui est exprimé. La fonction de cadre, de contre-investissement de la limite qui départage dedans et dehors a été précocement défaillante comme l’a montré Green. Ceci résulte d’attaques précoces contre les liens de pensée pendant l’enfance: disqualification de la pensée, non soutien des choix d’objets, etc. Les limites de systèmes conscient/préconscient/inconscient ont alors été durablement mal établies et s’avèrent poreuses.

Le travail de pensée, qui demande la négativation de l’hallucinatoire originel avec lequel fonctionne le nourrisson pour aller, via l’acception de la perte et la séparation, vers les représentations d’objet, a été défectueux : le fantasme est perçu comme une hallucination envahissante, persécutante que seul le passage à l’acte permettra de fuir ou de vivre…

 

c. Les symptômes d’apparence névrotique

Les phobies se caractérisent par leur aspect multiple et changeant. Plus que les classiques phobies d’objet ou de situation, il s’agit souvent de phobie touchant le corps phobie du regard ou éreuthophobie ou encore de phobie à la limite de l’obsession : phobie de la saleté. Une tonalité persécutive ou des efforts de rationalisation justificatrice sont également très caractéristiques.

Mais ces phobies touchent l’activité mentale elle-même : Green a ainsi introduit à partir de la cure psychanalytique de ces sujets le concept de « position phobique centrale »: qui traduit, chez ces sujets,  une phobie de la pensée: c’est le fameux slogan, que l’on rencontre chez les adolescents dès que l’on essaie de les faire penser : « ça me prend la tête ».

– Les idées obsédantes: le patient rationalise des idées obsédantes ou des rituels afin de colmater (suturer) son angoisse flottante. Ces idées obsédantes peuvent aussi être en relation avec la re-libinisation du surmoi (culpabilité) et de l’idéal du moi (honte) lors d’expériences toxicomaniaques ou sexuelles.

– Les symptômes hystériques: à la différence de la névrose hystérique structurée il y a ici des conversions multiples, changeantes, bizarres et aléatoires. Ce sont plus des manifestations hystériques liées à des épisodes crépusculaires, des amnésies associées à des fugues ou des expériences sexuelles ou toxicomaniaques(6).

– Les symptômes hypocondriaques sont fréquents et largement connotés d’angoisse voire de sentiments de persécution : préoccupation envahissante pour la santé physique ou mentale (peur de devenir fou) qui, dès lors, peuvent affecter l’activité sociale, professionnelle et relationnelle des sujets.

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d. La dépression, sentiment d’infériorité et désertification psychique

04-La-salleDépression

Bergeret fait de la dépression l’élément central de l’organisation structurelle de ces patients allant jusqu’à isoler ce qu’il appelle la dépression limite : « ce qui menace le plus l’état limite [se sont] les manifestations dépressives et en particulier cette  dépression essentielle toujours spécifique d’une organisation limite sous-jacente ».

Un  élément doit attirer l’attention: la relative rareté du ralentissement  psychomoteur vrai, même lorsque la souffrance dépressive paraît intense. De  même, il convient d’être attentif aux effets désorganisant de ce symptôme sur  les capacités adaptatrices du sujet : un état dépressif qui s’accompagne d’une  apparente désadaptation grave du sujet, tant à la réalité externe qu’à sa  réalité interne doit être tenu pour suspect.

Sous-jacent existe donc toujours une colère intense, une rage froide, à l’égard de l’objet qui ne peut apporter la complétude et réparer la blessure narcissique. Derrière cette colère et rage narcissique gît un vide psychique lié à l’incapacité d’avoir pu représenter la perte objectale (défaut de dépassement du stade anal et de la phase de séparation-individuation de M. Mahler).

On est proche ici des  descriptions du faux self rapporté par Winnicott, ou de celles des personnalités schizoïde. En même temps ces patients se plaignent d’un intense sentiment d’ennui et de lassitude à vivre une vie sans signification ni sens.

Sentiment d’infériorité

Les sentiments d’infériorité sont envahissants, occupant presque toute la personnalité, irréductibles à toute logique et presque délirants(7). L’auto-dévalorisation délirante du mélancolique est proche du tableau. Toutefois le sentiment de culpabilité qui accompagne le classique état dépressif, témoin de la sollicitude à l’égard de l’objet et de la crainte de l’avoir détruit ou endommagé est ici souvent absent. C’est moins le sentiment d’avoir commis une faute (culpabilité œdipienne) que celle d’être « en faute de » face à l’Idéal de soi, de n’être pas à la hauteur d’un certain état de complétude, qui le caractérise. C’est un Moi-idéal grandiose qui persécute le sujet, là où chez le dépressif neurasthénique (obsessionnel) c’est un Surmoi œdipien intransigeant et sadique et, là où chez le mélancolique on trouve un Surmoi prégénital sadique, féroce et intraitable.

Désertification psychique

Très vite le sentiment de vide réapparaît conduisant ces patients à rompre l’engagement pour un autre, pendant que chez d’autres patients le vide apparaît au contraire comme une position de  retrait défensive dés qu’ils se sentent menacés  par l’établissement d’une relation trop proche. Ainsi se profile un  désertification psychique avec mort mentale apparente (Green, 2005) :« Les patients qu’on met dans l’obligation de se soumettre aux conditions du cadre psychanalytique se sentent plongés dans un univers anobjectal. » qui oblige à une technique spécifique lors de la prise en charge, le patient exprimant, en face à face, ses projections en rapport avec un mauvais objet interne.

 

e. Le passage à l’acte et les conduites antisociales

La facilité de passage à  l’acte est une des caractéristiques de ces types de personnalités : là où le névrosé est inhibé, le sujet limite est, lui, actif. Il agit ce qu’il ne peut penser. Le déficit à pouvoir symboliser et pulsionnaliser l’excitation interne et les affects (agressivité) est évacué dans l’acte. L’acte, le passage à l’acte sont le plus souvent en réponse à la perception d’une émotion qui déborde.

 

f. La relation de dépendance: drogue et alcoolisme ; les conduites additives

La dépendance à ces  produits apparaît le plus souvent dans un contexte impulsif (crise d’alcoolisme aiguë, absorption massive et temporaire de drogue), avec une sorte d’idéalisation de cet état, en même temps que l’agressivité (retournée sur le sujet lui-même) se  laisse aisément percevoir. Le plaisir immédiat, la dimension impulsive, paraissent servir à répéter compulsivement l’excès effractif des traumas précoces. L’absence apparente de toute critique et culpabilité au décours de l’épisode aigu distingue le patient limite du patient névrotique qui lui, sera en proie à un sentiment d’échec ou de culpabilité. Toutefois le sentiment inconscient de culpabilité existe sous une forme plus archaïque, de mal-être, d’angoisse diffuse qui explique la présence continuelle de celle-ci.

 

g. Les conduites sexuelles déviantes

Les conduites sexuelles déviantes sont fréquentes chez les patients  limites. Il ne s’agit pas ici d’une conduite sexuelle perverse fixée – comme chez le pervers chez qui le scénario est immuable -, mais au contraire d’une succession  de conduites qui prennent un aspect impulsif, chaotique, imprévisible, au gré des rencontres et circonstances : on observe ainsi l’alternance possible de relation homosexuelle puis hétérosexuelle,  d’expérience sadique puis masochique. La variabilité du partenaire est la règle. Les conduites  perverses sont fréquentes (Kernberg) et largement infiltrées d’une importante agressivité.

 

Ces perversions-limites ne sont pas à confondre avec les perversions transitoires propres à l’adolescence : pratiques perverses apparaissant pendant des périodes comme l’adolescence, lors de réorganisations ou de moments pathologiques (phases délirantes ou dissociatives, des moments d’errances et de passages, voire d’une thérapie). La perversion transitoire peut représenter une régression sur des points de fixation permettant de retrouver une omnipotence (déni de castration)(8).

 

h. Les épisodes psychiatriques aigus

Les épisodes psychiatriques aigus sont fréquents amenant des hospitalisations brèves : état d’angoisse aigue, épisode quasi confusionnel, perte de repères, sentiment d’avoir perdu tout repère interne. Parfois des idées délirantes non  élaborées se manifestent sans qu’on puisse parler véritablement d’un délire construit. Tout se passe comme si la perception de la réalité extérieure était conservée, mais le patient n’en trouve plus la signification habituelle à cause du chaos interne.

La tentative de suicide est l’autre grande modalité d’admission en urgence. L’humeur est labile et, alors que le  psychiatre des urgences a hospitalisé ces patients dans un état inquiétant, il les retrouve le lendemain ou le surlendemain bien adaptés, détendus,  critiquant même parfois leur état antérieur. Comme le remarque Marcelli on invoque avec trop de facilité, face à ces patients, la manipulation ou le chantage hystérique, alors qu’en réalité on se situe dans un registre pathologique beaucoup plus profond.

 

2-    Personnalité, structure et inorganisation structurelle

La référence au concept de personnalité ou de caractère est fréquente dans les  divers travaux consacrés aux états limites : on évoque différents types de personnalités : schizoïde, paranoïde, infantile, narcissique, hystérique, dépressive voire, mal organisée. La difficulté provient du fait de définir le concept de personnalité lui-même, les auteurs l’utilisant dans des sens différents reflétant leurs divers  courants d’appartenance.

S’agit-il d’une typologie reposant avant tout sur une description sémiologique (à la manière des premières descriptions par les psychiatres des personnalités  schizoïdes), ou au contraire cette terminologie sous-entend-elle une référence structurelle ou dynamique (ainsi de la personnalité paranoïde qui nous parait  plutôt faire référence à l’utilisation privilégiée par l’individu d’un mécanisme  projectif sans nécessairement préjuger d’une typologie caractérielle) ?

L’ambiguïté est à son comble avec l’utilisation de termes tels que personnalité  hystérique. Dans ce cas comme dans d’autres, il faudrait faire la différence entre caractère (ici hystérique: importance de la labilité affective, du  théâtralisme, de la suggestibilité, etc.) et personnalité avec sa référence à une organisation  dynamique particulière : prévalence de l’organisation génitale, importance du  refoulement, place notable de l’oralité, etc.).

Si on entend par personnalité ou caractère l’ensemble des traits psychiques et  des conduites comportementales régulièrement retrouvées chez un même individu  et que celui-ci reconnaît comme siens sans en souffrir (égosyntone au Moi du  sujet), on peut dire qu’à peu près tous les profils de personnalité ont été, par  un auteur ou par un autre, cités dans le cadre des états limites (Marcelli).

 

3-    Epidémiologie

La prévalence du trouble concernant la personnalité état limite est importante, estimée à environ, selon les études, 2-10% de la population générale (11-15% des patients ambulatoire ; 20-50% des patients hospitalisés). Ce trouble de la personnalité débute à l’adolescence avec des tentatives de suicide répétées et sérieuses (9 à 33% de tentative de suicide), des automutilations, des épisodes de dépersonnalisation, et de déréalisation (épisodes psychotiques) transitoires, des conduites impulsives : prises de risque, vols, tentatives de suicide, bagarres, non contrôle du besoin de toxiques, de drogues, d’alcool ou de la colère, ces troubles du comportement masquent une identité de soi mal établie, un sentiment de vide persistant, des relations avec les autres caractérisés par leur caractère violent, chaotique et soulignent la lutte pour éviter l’abandon.

Abus de substances : si 46% des abus de substances ont un diagnostic Borderline, 51% des Borderline abusent de substances.

Les hypothèses étiologiques concernant les sujets états limites sont très diverses : elles mêlent des facteurs relevant de la famille (séparations précoces[1](9)), maltraitance et/ou carence de soin pendant l’enfance(10), abus sexuels(11)), des facteurs socioculturels (changements des modalités de transaction et de fonctionnement au sein de la société et de la famille…) et des facteurs dus à la « constitution » du sujet (impulsivité, dépression, manque de confiance en soi). Les séparations précoces ou répétées seraient à l’origine d’angoisses abandonniques et d’instabilité émotionnelle.

Pour ce qui est des relations mère (famille)-enfant, certains auteurs ont mis l’accent sur des parents froids, négligents et surprotégeant ou autoritaires. La violence verbale, la violence émotionnelle (humiliation, honte, frustration) sont souvent présentes, les mères apparaissent comme plus négligentes et moins affectueuses. La négligence émotionnelle est ainsi pour Zanarini le facteur le plus fréquent : il toucherait 92% des borderlines. Cette négligence s’exprime chez les patients borderlines par deux types d’attitudes parentales :

-1/ des parents qui dénient les pensées et les émotions de leur enfant (disqualification des affects qui entraine par la suite une « indiscrimination affect-représentation » (Green).

-2/ des parents décrits comme n’ayant pas des relations authentiquement chaleureuses.

-3 : 60% des patients borderlines ont été placés dans leur enfance dans un rôle parental –ceci étant largement aggravé par la fréquence de familles monoparentales, conduite par la mère seule : on trouve ainsi fréquemment associée à cette négligence une surprotection parentale, un sur-contrôle, un autoritarisme, tous dénués d’affection et un éloignement d’une figure paternelle sécurisante donnant des limites.

 

-4. Perspectives psychanalytiques

05-Pirlot-2Selon Bergeret, l’état limite n’est pas une structure, ce n’est donc ni une  névrose ni une psychose. Il relève donc un espace vide entre les structures névrotiques et psychotiques.

 

Chez le futur état limite, un traumatisme affectif s’est réellement produit très précocement : traumatisme par défaut (Ferenczi) conjugué ou pas à des tentatives  de séduction érotique faite par l’adulte ou disqualifications systématique de la pensée de l’enfant. Le jeune enfant est alors  soumis à une émotion qu’il intègre comme étant de nature génitale, sans avoir  l’appareil psychique suffisant puisqu’il n’a pas atteint le stade Œdipien. Ce sera pour lui une frustration, une atteinte du narcissisme. Ce traumatisme survenant avant l’Oedipe, n’est pas suffisant pour engager l’enfant dans une voie psychotique mais suffisant pour entraver la voie œdipienne. Faisant l’économie de la période œdipienne, il entre directement dans une pseudo latence qui représente ce que Bergeret appelle le « tronc commun aménagé » dont la survivance est variable mais qui n’est jamais une structure.

 

Aménagement état limite (Bergeret)

 

L’aménagement état limite est un effort que le psychisme fait en permanence pour se maintenir en dehors de la névrose et en dehors de la psychose.

L’état limite a réussi la différenciation entre soi et non-soi mais la liaison entre le bon et le mauvais objet, le bon et le mauvais soi, ne peut, pour Kernberg, se produire en partie à cause de l’intensité excessive des charges agressives portées par les mauvaises parties du soi ou de l’objet. Le malade a dépassé le risque de morcellement mais n’a pas accédé à la relation génitalisée. La relation qu’il met en place avec les autres est à la fois duelle du fait du clivage entre bon et mauvais objet/ et soi, du fait :

1/ d’une mauvaise intégration du Moi aboutissant à la fois à la dépendance et l’étayage à l’objet

2/ du rejet de celui-ci à la moindre frustration ou conflit.

Les aménagements limites conservent deux territoires : un qui est adapté à la réalité, pseudo névrotique, et un autre plus utilitaire, servant de faire-valoir. En règle générale les états limites n’ont pas accès au refoulement et ce clivage en deux territoires est le moyen d’éviter l’éclatement du Moi.

C’est un aménagement toujours instable et on verra apparaître une évolution au cours de l’existence, soit de manière brusque (évolution aiguë), soit de manière plus silencieuse (évolution stable).

 

Symptômes

Angoisse

Relation

Défenses

d’objet

principales

Dépersonnalisation

de

 

Déni

 PYCHOSE

 

morcellement

Fusionnelle

Dédoublement

Délire

 

du Moi

 

de perte d’objet

 

Dédoublement

 ÉTAT-LIMITE

Dépression

Anaclitique

des imagos

     

Forclusion

Signes

     

 NÉVROSE

– obsessionnels

de castration

Génitale

Refoulement

    – hystériques      

 

Bergeret et coll (2000), p.227

 

Green : « Mère morte », chiasme, position phobique centrale analité primaire et destructivité

 

La mère morte

« Le complexe de la mère morte »(12) est d’abord une révélation du transfert. Le patient ne présente pas initialement une symptomatologie dépressive ; ses symptômes reflètent plutôt l’échec d’une vie affective ou professionnelle, conduisant à des conflits plus ou moins aigus avec les objets proches. Une dépression a dû exister dans l’enfance, mais le sujet n’en fait pas état, cette dépression n’apparaît véritablement que dans le transfert, la problématique narcissique étant au premier plan. « La mère morte » est morte psychiquement, ou plutôt déprimée, pour différentes raisons, perte d’objet, deuil, blessure narcissique liée à son couple, délaissement du mari, non retrouvaille sexuelle avec celui-ci, tromperie, etc. dépression que l’enfant va introjecter. L’aspect important est que, « dans tous les cas, la tristesse de la mère et la diminution de l’intérêt pour l’enfant sont au premier plan»(13). Là, peut commencer un processus pathogène : l’amour est soudainement perdu pour l’enfant suivi de la perte de toute signification; pour l’enfant, rien ne fait plus sens. Si la mère distante s’accompagne d’un père inaccessible qui refuse, ou qui ne sait comment répondre à l’enfant, le bébé n’a alors personne vers qui se tourner : il est pris dans un « mouvement unique à deux versants : désinvestissement de l’objet, maternel et identification inconsciente à la mère morte »(14).

Le seul amour possible est un amour gelé par le désinvestissement, une forme d’amour qui maintient l’objet en hibernation: l’objet d’amour est «hypothéqué par la mère morte»(15).

 

Chiasme entre hystérie et états-limite

Si dans l’hystérie, ce sont les conflits liés au courant érotique qui dominent (conflit entre sexualité et amour, signe d’une persistance d’un complexe d’Œdipe inachevé), dans les états limites, ou plus largement les états non-névrotiques, c’est la destructivité qui est au premier plan. Les trois partenaires du conflit œdipien sont masqués par une relation binaire avec un seul objet divisé en deux fractions, bonne et mauvaise, ce que les auteurs appellent « bitriangulation ».

Dans son « étude comparative entre hystérie et cas limite »(16), Green pose des différences : dans l’hystérie les types de conflits sont ceux entre sexualité/amour; chez les états limites, ils sont ceux entre destructivité/défense des frontières du Moi. Ils relèvent de traumas impliqués (séduction sexuelle dans l’hystérie, emprise de l’imago maternelle dans les états limites), de mécanismes de défense spécifiques (refoulement, d’un côté ; hallucination négative de la pensée et clivage), de manifestations de l’inconscient (bisexualité, méconnaissance ou mouvements pulsionnels directs).

Il souligne « qu’entre l’hystérie et les cas limites la dépression est [toutefois] menace permanente, d’intensité variable, pouvant aller de la simple dépression névrotique (…) jusqu’à des formes plus graves, de structure plus narcissique, plus proche de la mélancolie, ou dominent l’autoaccusation et les idées d’indignité» (idem p.96).

Le défaut représentatif, les courts-circuits et décharges pulsionnelles directes chez l’état limite est à différencier du refoulement des représentations sexualisées chez l’hystérique.

 

Position phobique centrale

En confrontant le concept freudien de phobie à l’économie du prégénital, Green a confectionné avec son concept de position phobique central, un outil concept permettant d’éclairer un des aspects majeurs du fonctionnement psychique des états limites. Cette position phobique centrale s’exprime par un évitement associatif rencontré chez les personnalités non-névrotiques apparaît alors comme une manifestation du négatif et d’attaques contre les liens de pensée. La menace est chez ces patients est une mise en résonance de différents traumas, ce que l’empêchement de libre association évite. Un tel trouble répond à un état de non-séparabilité entre sujet et objet. «L’évitement concerne moins une peur qu’une sorte de capture dans un piège sans issue» (ibid).

 

Analité primaire 

Green rappelle que  le « préambule à l’analité primaire » sont à la fois la description du stade sadique anal précoce de K. Abraham, les textes freudiens de L’Homme aux rats et de L’homme aux loups de Freud, et l’appréciation de R. Fliess de la fixation anale comme ligne de démarcation (divided line) entre névrose et psychose(17) (18)). Chez les états limites, la lignée dépressive-limite et la régression narcissique s’effectue devant l’Œdipe, vers l’étage anal, prégénital que Green va qualifier, en en montrant la différence avec la névrose obsessionnelle mais relevant d’une forme de caractéropathie, d’analité primaire.

Le narcissisme intellectuel supposé défendre contre la possessivité désindividuante  des objets provient chez ces patients « limites », (proches des prégénitaux de Bouvet, supra) d’un verrouillage anal empêchant tout effondrement du Moi dans la direction psychonévrotique. La défense acharnée du territoire subjectif aboutit à une réduction des échanges libidinaux par mesure d’économie narcissique. Du côté de l’analyste on a l’impression que « cette opposition anale relève d’un négativisme inconscient où il est plus important de dire non à l’objet que oui à soi » (Green souligne qu’à « la sexualisation de la pensée de la névrose obsessionnelle de l’Homme aux rats » répond «la sexualisation de l’“antipensée” de l’Homme aux loups, celle qui privilégie les processus d’évacuation (Bion) sur ceux d’élaboration »(19) comme chez les cas-limites.

 

Prédominance de la destructivité

Enfin au fil de son œuvre,  Green en est venu à insister sur l’importance de la destructivité à l’œuvre dans ces structures limite, destructivité à distinguer ici de l’agressivité ou du sadisme qui témoignent d’une intégrations des pulsions libidinales mais qui relève plutôt de la désintrication (désunion) pulsionnelle, de la déliaison entre affect et représentation, de la prégnance de la compulsion de répétition, tout ceci traduisant une pulsion de mort à l’œuvre dans le système psychique La réaction en est des réactions thérapeutiques extrêmement fréquentes amenant à des problèmes techniques de prise en charge.

La technique kleinienne basée sur des interprétations fréquentes de transfert s’avère délétère, car augmentant une sorte de confusion interne chez le patient qui a l’impression qu’on le rend fou, qu’il ne peut démêler le fantasme de la réalité et qui risque d’accroître la mesure défensive qu’est la position phobique centrale afin d’annihiler toute associativité. Le silence du psychanalyste est ici restauré, à condition qu’il s’agisse d’un silence non total (cf. la désertification psychique) mais qui se trouve entrecoupé d’une pensée soutenante, étayante et validant les propos du patient (cf. les antécédents de disqualification psychique ou d’environnement défaillant chez ces patients).

 

Chabert et la scène primitive

 

Chabert décrit chez les sujets limites un « objet œdipien, tantôt idéalisé et de fait inatteignable qui est cependant toujours susceptible de devenir mauvais dans un jeu de bascule qui inverse sans cesse les valeurs déléguées au père et à la mère »(20).  L’auteur illustre ces rapports œdipiens dans leurs liens avec la scène primitive en spécifiant celle-ci chez le névrosé, le psychotique, l’état limite:

-le névrosé reste derrière la porte fermée (entend des bruits, imagine la scène),

-l’état limite regarde par l’entrebâillement de la porte, fasciné, scotché à la scène visuelle,

-le psychotique est dans le lit avec les parents, vivant une forme de fusion où n’existent pas les différences entre générations.

Décrivant par ailleurs le rôle du fantasme « un enfant est battu » (Freud, 1919), elle souligne que chez le sujet limite, la version hystérique du fantasme laissant l’enfant en position passive ne s’observe pas, ce sujet tolérant mal la position passive qui les renvoie à l’abandon et le rejet : dès lors le sujet s’implique activement dans le fantasme pour mieux s’auto-accuser (version mélancolique de la culpabilité).

 

-5. Adolescence et état limite

 

L’adolescent fonctionne volontiers comme l’état-limite. Ceci invite donc à être prudent sur le diagnostic d’état limite à cette période: la prévalence de l’économique, des passages à l’acte, la difficulté à penser le tohu-bohu affectif et émotionnel propre à cet âge, les variations importantes de l’humeur, l’oscillation exacerbée entre le pôle objectal et le pôle narcissique, font de l’adolescent un sujet proche de l’état limite.

Chabrol(21) note que le fonctionnement limite de l’adolescent est caractérisé par l’instabilité émotionnel et l’impulsivité, ces sujets souffrant et faisant souffrir leur entourage, familial et social ; ils sont exposés à un risque élevé de dépressions, de comportements suicidaires, de délinquance, d’échec scolaire, de dysfonctionnements sociales graves et d’abus de substances psycho-actives.

Ce qui fait suspecter une organisation limite de la personnalité, y compris à l’adolescence, est le recours à des produits psychoactifs (drogues, alcool) pour gérer la vie émotionnelle.

 

-6. Thérapeutiques

 

-Médication lors des phases d’angoisse aigüe.

-Psychodrame : les états limites peuvent être une bonne indication de psychodrame psychanalytique(22).

-Psychothérapie de face à face ; cure analytique avec beaucoup de prudence. Rapidement, sans ici s’étendre, reprenons les propos d’A. Green de 1974, « l’analyste se sent pris dans le système des objets momifiés de son patient, paralysé dans son activité, incapable de faire naître chez l’analysant la moindre curiosité pour lui. L’analyste est en situation d’exclusion objectale. Les tentatives d’interprétation sont prises par le patient pour la folie de l’analyste, ce qui conduit celui-ci à la longue au désinvestissement de son malade et à l’inertie, par une réponse en écho. Ce qui est demandé à l’analyste, outre ses capacités affectives et son empathie, requiert en fait son fonctionnement mental, les formations du sens étant mises hors circuit chez le patient » (Green introduira plus tard le concept de position phobique centrale).

« C’est ici que le contre-transfert reçoit sa signification la plus étendue. La technique de l’analyse des névroses est déductive, celle des états limites inductive, d’où son caractère aléatoire ». Quelles que soient les variétés descriptives, les causes invoquées et les techniques différentes qui sont préconisées, on peut dégager trois faits que l’on retrouve chez la très grande majorité des auteurs qui ont décrit ces états:

1. Les expériences de fusion primaire témoignant d’une indistinction sujet-objet avec brouillage des limites du moi.

2. Le mode particulier de symbolisation pris dans l’organisation duelle.

3. La nécessité de l’intégration structurante par l’objet.

 

Communication de Madame Marie José Pahin

 

06-PahinElle était très attendue. En effet les écoles de psychanalyse lacaniennes ont une position très critique bien connue à l’encontre de la SPP. Les organisateurs du colloque avaient considéré conforme à l’esprit de Psy Cause, un choc des idées autour du concept des états limites. Le titre de la communication de notre rédactrice en chef et psychanalyste lacanienne, annonçait la couleur : « Les états limites et les procès de subjectivation ». La question de la structure (et non de l’étiquette) allait donc être au cœur de l’exposé. Cette approche clinique ne permet guère de considérer des situations limites. Madame Marie José Pahin choisit comme angle d’attaque les « organisations du désir ». Lesquelles se déclinent selon trois modes : la névrose, la psychose et la perversion. On ne peut être à cheval entre une structure ou une autre et le concept d’état limite n’est pas considéré comme pertinent par les lacaniens. Même si dans la pratique soignante, les troubles graves du narcissisme tels que ceux des états limites sont bien repérés.

 

Communication de Madame Annabelle Montagne

 

07-MontagneÉtudiante en master 2 de psychologie à Besançon, elle est l’auteure d’un article déjà accepté dans la revue Psy Cause, à partir duquel elle communique sur le thème : « Éléments d’une problématique identitaire chez les sujets états limites ». Madame Annabelle Montagne nous apporte donc un éclairage d’une étudiante (en fin d’études) de la jeune génération concernée par la psychanalyse, sur cette question des états limites. Elle considère la réalité d’une organisation psychique spécifique construite sur une faille narcissique. Laquelle se retrouve au final, sur le plan de l’identité. Dans la clinique des états limites, « les cliniciens et les thérapeutes sont directement confrontés aux divers aménagements défensifs visant à protéger un noyau du sujet, dont celui-ci peine à intégrer les contours, les limites, bref ce qui procure un sentiment d’identité. Le défaut de l’intégration du concept de soi interroge sans arrêt le sujet dans sa qualité d’être au monde, autrement dit dans ses assises narcissiques.

Ressenti d’inauthenticité dans la relation, désarroi de faux-self plus ou moins bien rodés, aperçu de mécanismes intrapsychiques primitifs dans des attitudes de régression, sont autant d’indices qui amènent à toujours mieux comprendre et prendre en compte le manque d’intégration du concept de soi dans le dispositif analytique et/ou thérapeutique. Le manque de cohésion interne ressenti par le sujet révèle sa non-inscription dans une temporalité, qui alimente sa souffrance, et interfère dans les possibilités et désirs du sujet de s’engager dans des activités constructives dans une réalité commune au sein de la société.

L’identité diffuse apparaît comme une piste psychogénétique de l’état-limite, situant ce type de fonctionnement dans des perspectives de constructions psychiques, et de positionnement en tant que sujet social. Cette piste n’est pas incompatible avec la théorie de Bergeret et ses désorganisateurs (précoces et tardifs) impliqués dans psychogenèse du sujet en état-limite. Le syndrome de l’identité diffuse  pourrait constituer un désorganisateur tardif survenant dans la période de l’adolescence. La faille narcissique étant sans cesse réactivée au cours du développement, elle se cristalliserait au moment de l’adolescence, au moment où le moi est sensé tendre vers l’affirmation d’un sentiment d’identité du sujet, dans des attitudes de retrait de soi, de retrait social, de retrait vital dans certains cas. »

 

08-Le-dejeunerAprès une matinée riche en communications de haut niveau assorties d’échanges très participatifs avec la salle, le temps est venu du déjeuner gastronomique dans la salle à manger du château, qui a fait l’unanimité. Ce temps fut particulièrement propice aux échanges entre des participants dont les réalités professionnelles étaient très variées et dont l’origine géographique pouvait être distante. Pour certains dominait le plaisir des retrouvailles. Pour d’autres, ce fut celui de la découverte. En arrière plan, les conversations pouvaient s’alimenter d’un état des lieux de la dynamique de Psy Cause.

 

 

Communication du Dr Jean Louis Griguer

 

Le Dr Jean Louis Griguer, co-président du colloque, psychiatre chef de pôle à l’hôpital Le Valmont (Valence), docteur en philosophie et rédacteur de Psy Cause, ouvre les travaux de l’après midi avec sa communication intitulée : « L’espace des états limites en phénoménologie ». Il nous l’a résumée ainsi pour notre compte rendu :

 

09-Griguer« L’utilisation fréquente en pratique clinique du concept d’état limite ou de personnalité borderline et la difficulté de la prise en charge de ce type de patient nous conduisent à la nécessité d’explorer les phénomènes jusqu’à leur essence et de développer une réflexion  en abordant des notions philosophiques telles que celles d’immédiateté, de réceptivité et de reconnaissance à partir d’auteurs tels que L. Binswanger, B. Kimura, H. Maldiney, P. Ricoeur pour mettre en perspective le monde du patient borderline et la dynamique de l’attitude du thérapeute dans son travail. Nous avons pu ainsi d’abord dégager une manière d’exister dans l’oscillation entre le « seulement végéter » où le patient se suffit « de ce qui lui vient à la main » et un espoir de transcendance dans l’être-sans-corps, puis spécifier ce mode d’être par l’absorption dans l’immédiateté et la mise en défaut de la réceptivité par-delà toute anticipation. La reconnaissance n’est pas tant celle de signes cliniques que celle du soi dans la variété des capacités qui modulent sa puissance d’agir et celle par autrui de son empire de capacité. L’attitude du thérapeute opère une oscillation dynamique et perpétuelle entre respect de la dissymétrie et reconnaissance dans la mutualité. »

 

Communication de Mr Yves Chmielewski

 

10-ChmielewskiPsychologue clinicien exerçant en cabinet après une longue pratique professionnelle en institution psychiatrique, Mr Yves Chmielewski est « référent » de Psy Cause France. Sa présence au Château de Rochegude pour ce XV° colloque interrégional de Psy Cause en France, a tout son sens dans le cadre de cette manifestation de la section française de Psy Cause International. Sa communication qui fait suite à celle du Dr Jean Louis Griguer a pour thème : « Critique de l’approche de Bergeret ». Il nous en a transmis le résumé suivant : « les travaux de Jean Bergeret sur les états limites sont aujourd’hui des classiques. Ce psychiatre-psychanalyste critique l’usage abusif de cette entité, et veut en circonscrire avec rigueur l’origine et les manifestations, en s’appuyant pour l’essentiel sur la seconde topique freudienne dont il émet pourtant quelques réserves. Après avoir situé l’origine des états limites dans un traumatisme sexuel précoce, il va en tracer les divers destins. Contrairement aux psychoses et névroses, les états limites ne peuvent prétendre au statut de structure, mais doivent être envisagés plutôt comme des aménagements, parmi lesquels il y inclut, par exemple, les perversions et la plupart des phobies. La richesse de ses réflexions pose pourtant de nombreuses questions, et la révision des frontières psychopathologiques qu’il propose ne sont pas sans évoquer celui d’un équilibriste face au vide. »

 

Communication de Mme Arielle Berghman

 

11-BerghmanCette intervenante avait fait la demande de communiquer à notre colloque national pour nous parler de sa pratique au Québec. Nous n’avons considéré aucun inconvénient d’accueillir une communicante venue de « Nouvelle France ». Psy Cause est avant tout un réseau transnational et tous les professionnels qui souhaitent apporter une parole sont les bienvenus, quelque soit la nature du colloque concerné : régional, national ou international. Mme Arielle Berghman est « zoothérapeute », et même « chef du département de zoothérapie » à l’Institut Philippe Pinel de Montréal. Sa communication a pour titre : « Approche zoothérapique avec des personnes souffrant de trouble de la personnalité limite (Borderline) ». La relation avec l’animal n’a évidemment pas les mêmes enjeux narcissiques que celle avec l’alter ego qu’est l’être humain. Elle peut mobiliser chez le patient des mécanismes identificatoires communs à l’inter-humain mais avec un décalage qui est le propre de l’action thérapeutique. Il est à noter que l’Institut Philippe Pinel à Montréal est un hôpital universitaire à haute sécurité, le seul hôpital du Canada à fournir l’ensemble des services spécialisés en psychiatrie légale, c’est à dire l’évaluation, la traitement et la réhabilitation de patients atteints de maladies mentales associées à des comportements violents. Cet établissement a jugé utile d’investir dans un département de zoothérapie.

 

Communication du Dr Jean Marie Rebeyrol

 

La Journée est clôturée par la communication de notre rédacteur bordelais, psychiatre d’exercice libéral, le Dr Jean Marie Rebeyrol qui intitule son propos : « Peut-on parler de nouvelle économie psychique ? ». Il nous a transmis pour ce compte rendu, le texte (publiable en l’état dans la revue) de sa communication que nous reproduisons ci-dessous in extenso :

 

« C’est la parution en 2002 de “L’Homme sans gravité”, un livre d’entretiens de Charles Melman avec Jean-Pierre Lebrun, qui s’est trouvé introduire le concept de “nouvelle économie psychique” (N.E.P.) dans notre réflexion clinique sur ce qu’il est convenu d’appeler les  nouvelles pathologies dont les états-limites sont devenus emblématiques avec les addictions et la notion de comorbidité.

 

12-Rebeyrol-1Le terme “d’économie psychique” appartient au vocabulaire de la métapsychologie freudienne, qui  avec ceux de “topique” et de “dynamique”, rend compte du fonctionnement de l’appareil psychique.

La question de la satisfaction est centrale dans l’élaboration freudienne, et dés son début cette conception de l’appareil psychique répond à une fonction de régulation dans son rapport aux excitations externes et internes, avec à la clef la notion de pulsion.

Cette fonction de régulation est  tenue dans sa dimension culturelle par l’œdipe comme temporisation, secondarisation et structuration psychique (énergie liée) des processus primaires (énergie libre) avec comme point d’orgue le complexe de castration en tant que articulation et limite entre psyché et soma.

Plus résolument et dans une dimension civilisationnelle, cette fonction de régulation  est  attribuée à l’articulation symbolique de “Totem et tabou”, comme prescription et limites données à nos jouissances, dans cette forme de passage du “cru au cuit” pour reprendre le titre d’un ouvrage de Lévi Strauss. Articulation symbolique et signifiante langagière où nous reconnaissons, et c’est notre contribution à cette réflexion, S1 et S2 comme éléments constitutifs (avec le sujet inconscient écrit S barré et l’objet cause du désir écrit petit “a”) des quatre discours développés par Jacques Lacan et présentés comme faisant lien social. Lacan a pu en déduire un cinquième, celui du “capitaliste”, caractérisé par une annulation de cette limite de la jouissance entre sujet et objet. C’est sur la base de ce pseudo-discours capitaliste que la notion de N.E.P. trouve son assise conceptuelle, soit un rapport du sujet à son objet qui n’est plus estampillé du sceau de l’impossible, soit une forme de dissolution de la subjectivité dans la jouissance de l’objet.

 

Le concept de N.E.P. est une tentative de rendre compte des effets des mutations culturelles contemporaines du lien social sur nos  subjectivités.  Dans un contexte ou la référence biologique et comportementale est devenue prépondérante, c’est  remettre à l’honneur le champ balisé par Freud et poursuivi par Lacan comme quoi le sujet et ses modalités de plaisir et de jouissance sont le produit de l’environnement langagier, culturel et sociétal dans lequel il se construit.

Marcel Gauchet, fin scrutateur de ces bouleversements culturels et sociétaux que traverse notre époque pouvait s’étonner de retrouver si tardivement les psychanalystes sur ce terrain.

Il faut dire que jusqu’alors il y avait une forme de résistance du côté des analystes à admettre ces nouvelles formes cliniques qui ne correspondaient plus exactement au trépied nosographique de la psychiatrie classique et auquel Freud se référait : psychoses, névroses et perversions.

Il faut dire que ces nouvelles pathologies relèvent de descriptions éparses basées le plus souvent sur le comportement, popularisées par le DSM au point de faire autorité dans nos universités en constituant un nouveau socle de connaissances basées sur le trouble et non plus sur le symptôme, où le sujet se trouve réduit à la statistique.

Avec l’assentiment de nos administrations de santé trop heureuses de pouvoir s’appuyer sur une nomenclature quantifiée et donc comptable avec ce relan de scientificité que procure le chiffre sur la lettre.

Il est vain de partir bille en tête contre cette nouvelle idéologie  biologisante  et comportementale, puisque, il faut bien le reconnaître, cette idéologie participe de l’air du temps et de  l’évolution de nos mentalités avec le discrédit porté sur le langage et la parole dans sa dimension signifiante de sujet.

Non seulement y participe mais imprègne dans le même mouvement la façon de concevoir et de penser la pathologie mentale et d’y répondre. L’enjeu est bien celui de la position subjective du praticien, dans ce qui apparaît parfois comme un déni de ce que Freud appelait “la réalité psychique” du patient, réduite dés lors à une évaluation de signes dans la réalité.

 

 

13-Rebeyrol-2Nous connaissons tous ce monde dit “post-moderne” dans lequel nous vivons devenu complexe et multipolaire, illisible et indéchiffrable. Il n’y a qu’à se pencher sur les titres des revues  dans les kiosques ou sur les étales des libraires.

Les uns accueillent cette mutation avec pessimisme, voire catastrophisme, d’autres optimistes n’y voient que bénéfices, enfin il y a ceux qui restent tempérés. Quels qu’ils soient, ils parlent du triomphe de l’individu sur le collectif, de délitement du lien social, de dérégulation, de désinstitutionnalisation, de délégitimation et de délocalisation tous azimuts des personnes, des lieux de savoir ou de transmission. Qui peut aujourd’hui définir ce qu’est une famille ? Ou ce qui concerne la mort ou les processus de vie et la procréation, requérant des comités d’éthique toujours renouvelés? Le judiciaire est à la course derrière ces mutations sociétales inédites, sans parler du politique devenu inaudible.

Chacun peut en prendre la mesure, que ce soit dans sa vie professionnelle, privée ou intime.  Soit “Un monde sans limite” pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jean-Pierre Lebrun, un monde ayant perdu toutes références, un monde jusqu’alors incomplet mais consistant, et qui dés lors est devenu complet mais inconsistant, marqué entre autres par des réactions paranoïaques identitaires comme symptôme social.

Quant aux causes de ces mutations, il se dégage un fait majeur qui caractérise nos sociétés industriellement développées, allant crescendo depuis plus d’un siècle, mais ayant atteint leur point d’acmé ces  dernières décennies, c’est la collusion de l’économie de marché capitaliste, ultra-libérale et dérégulée avec les sciences devenues des techniques. Marcel Gauchet remarque que si jusqu’alors l’économie était contenue dans le cadre d’une société, maintenant c’est elle-même qui fait société. Et comme on le sait dans une dimension de mondialisation et de globalisation de l’objet de consommation.

 

Cette nouvelle idéologie devenue planétaire porte en elle même ses valeurs qui sont essentiellement techniques et marchandes, propres à son développement et suivant une logique expansionniste, dans une promotion sociale et démocratique de l’objet offert sans limite à nos jouissances. Nous assistons et participons à un renversement inédit des valeurs dans l’histoire de notre humanité, certains auteurs parlent de mutations anthropologiques : un effritement des valeurs humaines au profit de celles objectales.

 

Anecdote si l’on veut, tant on perçoit mieux de l’extérieur cette mutation sociale, récemment il m’a été donné de voir une exposition du photographe Pierre Ricoud qui l’a saisie en Chine. Il est remarquable de voir  comment, en moins de trente ans, d’immenses panneaux publicitaires vantant des objets de consommation sur fond de bannière étoilée se sont substitués en place de pas moins immenses portraits de Mao Tsé Toung, et d’autres photos de masse conspuant ce même drapeau. Soit une usurpation pour une autre. Mais la même exploitation de notre division subjective inhérente à notre structuration par le langage, qui nous marque d’un manque constitutif.

 

 

Ce n’est plus le signifiant langagier qui commande à nos subjectivités, mais l’objet qui dés lors, à reprendre l’articulation dialectique de ”totem et tabou”, a pris la place de totem et exerce son pouvoir sans tabous. Ce n’est plus l’Idéal qui commande et vectorise nos existences, mais l’objet. Pas celui du fantasme, mais celui de notre champ phénoménal, celui de la réalité. Tel est le premier grand trait qui caractérise cette N.E.P.

 

Avec comme conséquence un désinvestissement du lieu Autre, d’où nous recevions nos déterminations subjectives et d’où s’organisait nos symptômes, ceci au niveau individuel mais aussi collectif, ne seraient-ce que les lois de la parenté et de la filiation qui nous inscrivaient dans une dette symbolique.

De nombreux auteurs parlent de forclusion de la castration (et non du Nom du Père, car nous ne sommes pas dans le registre de la psychose), se référant aux commentaires de Jacques Lacan sur Sergueï, “l’homme aux loups”. Melman évoque une forclusion du lieu Autre, qui fait retour dans le réel comme une forme de doxa médiatique d’où nous recevons nos messages dés lors de façon directe, et non plus inversée. Soit une forme d’aliénation directe et non plus symptomatique, c’est à dire sans recours. Nous baignons dedans et devons nous y plier pour ainsi dire sans avoir rien à dire, il le faut bien si l’on veut encore faire partie des représentations de ce monde.

Dans notre pratique, il s’ensuit souvent une forme de désintérêt pour la mise en place d’un “transfert”, comme condition d’un travail psychique. Aussi cela requiert de la part du praticien un travail singulier portant sur l’émergence d’une demande qui soit autre que celle d’un “coaching”. On peut comprendre l’enjeu de ce concept de N.EP, ne serait-ce que dans la manière d’accueillir les jeunes, qui pour diverses raisons, peuvent être précipités directement dans ce monde où la parole et le langage sont dévalués, afin de leur permettre de trouver le chemin d’une parole authentique, qui puisse les marquer d’un manque et à la clef une vectorisation de la question re-trouvée de leur désir.

 

14-public-2Essayons de reprendre quelques autres conséquences de ces mutations sociétales sur nos subjectivités, mais dans leur dimension d’excès ou pathologiques.

Par exemple, l’accumulation des objets de consommation n’est pas sans effets sur  l’organisme, en particulier concernant le comblement des orifices pulsionnels du corps: oral, scopique et auditif. Laissons de côté l’analité, tout en relevant l’équivalence freudienne avec l’argent, mais aussi incidemment les problèmes environnementaux que posent l’accumulation de nos déchets.

La profusion de ces objets et autres produits peuvent se révéler répulsifs et/ou addictifs et ne sont pas sans créer de toutes pièces de nouvelles dépendances.

C’est là une autre caractéristique de cette N.E.P., la seule limite opposée à la jouissance devient l’organisme lui même dans ses possibilités physiologiques. Outre le problème de société que constituent les addictions, dont le toxicomane est devenu la figure emblématique,  nous relevons les dérèglements physiologiques que constituent l’anorexie-boulimie, celle de l’humeur avec la multiplication des troubles bi-polaires, de façon moindre celle du nycthémère et bien d’autres encore dont au niveau moteur l’hyperactivité chez l’enfant.

Le spécialiste ou l’expert pourra se montrer outré d’un tel inventaire qu’il jugera digne de Prévert, il sait très bien que ces troubles ne relèvent pas d’un simple constat de vétérinaire.

 

Le sexe lui-même tend à être ravalé au rang d’objet de consommation et partcipe au même titre que les autres objets pulsionnels à ce que Melman appelle une forme d’exhibition des objets de nos jouissances. Les temps ont bien changés depuis Freud où il attribuait “le malaise dans la civilisation” non seulement au sexuel, mais à un excès de son refoulement. Le sexe avait alors une place d’exception symbolique, de totem ou de signifiant phallique, et constituait le paradigme de la vie dans la hiérarchie des valeurs de jouissance. Aujourd’hui est proposée une jouissance uni-sexe de l’objet, valable donc quel que soit le sexe, dans une égalité qui se voudrait parfaite, déniant la différence et favorisant du coup notre bi-sexualité originaire. Oubliant qu’un homme et une femme sont organisés et animés dans leur fantasme par un objet du désir qui ne se recouvre pas. Il s’ensuit dans notre clinique des problèmes d’identité sexuée sous-jacents aux troubles dits narcissiques et celui posé sur un autre registre bien réel du changement chirurgical du sexe, devenu un droit de l’homme depuis l’arrêté de la Cour Européenne. Mais peut-être la manifestation la plus spectaculaire dans nos ères industriellement développées est ce qui est devenu la labilité du lien conjugal, avec ses conséquences familiales.

 

 

Dans ce contexte de dévaluation du langage symbolique et de son lieu d’articulation, d’une prévalence du signe (de quelque chose) sur le signifiant (qui représente le sujet), nous assistons à une défection du fantasme au profit de la pulsion, une prédominance de l’agir, des actings et autres troubles du comportement qui ne sont plus le seul privilège du passage adolescent, (voire des passages à l’acte), dans un rapport le plus souvent effréné à l’objet, pouvant valoir comme  signes de souffrance psychique et d’appel en place de symptômes. Lisons à ce propos les ouvrages de Jean-Marie Forget où l’auteur développe la notion de symptôme-out, dans ses conséquences cliniques et pratiques.

 

Cette dévaluation du grand Autre symbolique, ou si l’on veut du ternaire symbolique, participe d’un effacement de l’altérité et favorise un mode relationnel horizontal, sur un axe imaginaire, c’est à dire moïque.  C’est là un autre grand trait de cette N.E.P.

Avec une exacerbation des relations vécues sur un mode dépressif et/ou sthénique, voire phobique. Cela se vérifie dans toutes les organisations, institutionnelles ou non, celles du travail, de l’école ou de la famille, voire dans le conjugo. Ainsi toute manifestation d’autorité est souvent vécue comme tyrannie, parfois réelle quand celui en fonction de commandement ne trouve pas appui symbolique et peut alors se révéler un petit maître. La solution souvent expérimentée est de jouer de la séduction et chercher à se faire aimer.

 

Nous rangerons dans ce registre clinique toutes les formes de harcélement, les réactions paranoïaques, mais aussi les phobies qui elles aussi ont changés de forme, maintenant scolaires ou sociales. Là aussi, la liste n’est pas close et le lecteur ou la lectrice pourra compléter.

Mais une des plus évidentes conséquences de cette mutation du lien social est la profusion, dans nos ères industriellement développées, des dépressions qui supplantent les névroses dans les cabinets médicaux. Elles se présentent sous de nouvelles formes cliniques dans le sens ou auparavant, cette dépréciation du sujet se faisait dans un rapport à ses idéaux, à son grand Autre. Aujourd’hui il s’agit d’une dévalorisation dans un rapport le plus souvent en lien au travail, c’est à dire dans un rapport direct du sujet à ses semblables. Là où la dignité professionnelle était acquise et se bonifiait avec l’expérience, elle se trouve aujourd’hui déclassée par l’arrivée de nouvelles technologies. Avec un effort permanent d’adaptation et de rentabilité, toujours à devoir refaire ses preuves et témoigner de ses performances, dans un contexte d’isolement et de perte des solidarités.

 

Enfin, à suivre Melman, troisième grand trait que nous isolons de cette N.E.P., mais qui ne lui est pas spécifique car il existe en dehors des ères industriellement développées, c’est la résurgence du matriarcat.

 

Si nous avons ciblé notre article sur quelques travaux de Charles Melman, nous ne saurions oublier les nombreux auteurs psychanalystes qui enrichissent cette réflexion au niveau clinique, théorique et pratique concernant ces mutations et nouvelles souffrances. De ne citer que Roland Gori et Marie-jean Sauret, tellement ils sont nombreux et passionnants, à lire en particulier dans la collection “humus” dirigée par Jean-Pierre Lebrun ou encore dans la collection “psychanalyse et clinique” concernant les enfants et les adolescents, chez l’éditeur érès.

 

Bibliographie:

Charles Melman, “L’Homme sans gravité”, folio-essais; “La nouvelle économie psychique, la façon de penser et jouir aujourd’hui”, édition érès.

Sigmund Freud: “Totem et tabou”, petite bibliothèque Payot; “Métapsychologie”, idées Gallimard; “Le malaise dans la culture”, Flammarion.

Jacques Lacan, “L’envers de la psychanalyse”, le Seuil.

Roland Chemama,”Dépression, la grande névrose contemporaine”, érès.

Jean-Marie Forget, “L’adolescent face à ses actes …et aux autres”, érès, “y a-t-il encore une différence sexuée?”, érès.

Roland Gori, “La preuve par la parole”, érès, “La fabrique des impostures”, édition LLL.

Jean-Pierre Lebrun, “Un monde sans limite”, érès; “La perversion ordinaire”, érès.

Marie-Jean Sauret, “L’effet révolutionnaire du symptôme”, érès. »

 

En conclusion

 

15-Rochegude-10.3.14Cette journée de travail a été intense et les échanges des intervenants avec la salle, nombreux et riches. De l’avis unanime, la formule mérite d’être renouvelée. Nous avons donc décidé qu’il y aura à la même époque en 2015, un « Rochegude II » avec un débat sur les troubles bipolaires dont l’autonomisation clinique relativement récente suscite des controverses (qu’évidemment nous n’éluderons pas).

 

Compte rendu rédigé par Jean Paul Bossuat avec les apports écrits fournis par les intervenants : Yves Chmielewski, Jean Louis Griguer, Annabelle Montagne, Gérard Pirlot, Jean Marie Rebeyrol, et quelques informations orales. Les photos prises lors de la Journée, sont de Chantal Roose et de Gérard Pirlot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



(1) Scharbach H., Historique du concept d’état limite, Annales Médico-psychologiques, 1993, vol 151, n°3, pages 280-284.

(2) Sharbach H., Les états limites approche compréhensive chez l’adulte et chez l’enfant, Congrès de psychiatrie et de neurologie (1983, Poitiers), Paris : Masson, 1983, page 102.

(3) Pour Misès ce diagnostic d’état-limite chez l’enfant repose sur des défauts d’étayage par le milieu familial, des défauts d’objets transitionnels, un déficit des processus de séparation-individuation, la dépression (avec chez l’enfant une expression paradoxale : agir, hyperactivité), un retard et une dysharmonie portant sur les fonctions instrumentales (Mises, 1994).

(4) cf. Mars de Fritz Zorn

(5) Brusset, 1999, p.55

(6) À la relecture, il apparaît que nombre des malades hystériques décrites au début de ce siècle, qu’il s’agisse des patients de Freud (Dora par exemple) ou de Janet, seraient aujourd’hui considérées comme des patientes limites.

(7) Stern, 1938

(8) Ladame, 1992

(9) Modestin J. (1998) Pour Bradley (1979) la fréquence de séparation d’avec la mère entre 0 et 5 ans est beaucoup plus élevé chez les sujets états-limites que chez les sujets contrôles (psychotiques, non psychotiques mais suivis pour d’autres troubles psychiatriques, normaux) respectivement 64% contre 13,8% et 9%. L’âge moyen de survenue de la séparation est d’environ 9 mois.[1] La maltraitance physique touche près de la moitié des adolescents états-limite : forte instabilité scolaire, des difficultés dans les relations interpersonnelles et à une forte impulsivité, Drew (1990).

(10) La maltraitance physique touche près de la moitié des adolescents états-limites. Elle est liée à une forte instabilité scolaire, des difficultés dans les relations interpersonnelles et à une forte impulsivité  (Drew).

(11) Les histoires d’abus sexuels ou de séductions traumatiques sont fréquentes chez les adolescents états-limites L’abus sexuel est associé dans 70% des cas à de la maltraitance physique L’abus sexuel de la part du père est nettement associé à la négligence des soins de la mère : Westen, 1990 et voir Zanarini  (2002).

(12) Green  A. 1980,1983, p. 229-236.

(13) idem., p.231

(14) ibid

(15) ibid., p. 236

(16) Green A. 2002, p.87-92

(17) Idem, p.125, texte important pour Bergeret lui-même

(18) cf. 2011, p. 368

(19) Green A. 2002a, p. 129

(20) Chabert, Verdon, 2008, p.209

(21) Chabrol (2011), p.401

(22) cf. Galinowski et Jaeger

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