Billet d’humeur : la loi du 5 juillet 2011
J’ai ouvert mon ordinateur, j’ai imprimé La Loi contrairement aux consignes en vigueur, culpabilisantes, pour l’écologie : « Adoptez l’éco-attitude. N’imprimez ce courriel que si c’est vraiment nécessaire ».
J’avais besoin de la toucher cette Loi nouvelle-née, de la voir couchée sur papier. Je l’ai donc lue et relue, tournée entre mes doigts. Elle est Monstrueuse.
En principe, une Loi a pour finalité d’inspirer une pratique, mais celle-ci n’inspire pas, elle aspire, elle prend possession, elle viole consciences et inconscient, pas seulement par les contraintes qu’elle introduit mais par l’atmosphère qu’elle induit. Depuis toujours, la psychiatrie a visé à construire un cadre, un contenant créateur d’espace, cet espace relationnel thérapeutique qui ressuscite ce qu’il y a d’humain en chacun. Longtemps, la psychiatrie s’est astreinte à travailler sur le cadre de soin, à le modeler pour le rendre thérapeutique. Psychothérapie Institutionnelle, psychiatrie de secteur, psychanalyse et psychothérapies diverses dans leurs ressorts ne sont efficientes justement qu’à partir du moment ou elles ont défini un cadre relationnel clair, négocié, explicitable, équitable. Et c’est dans ce cadre que se noue la relation d’aide au changement, l’essence de notre art de soignant.
La Loi du 5 juillet 2011 est si complexe et massive qu’elle obture immédiatement tout comme si le cadre résumait l’œuvre censée être mise en valeur par lui. Le cadre est l’œuvre, le cadre est tout. Et cette œuvre singulière, production symptôme, parle pour qui l’a créée. Cette loi non seulement ne permet pas de penser mais dénie la pensée, elle remplit implacablement le temps du soignant comme du soigné. Dès lors, l’énergie qui sera dépensée pour appliquer ce parcours kafkaïen qui n’est pas un parcours de soin mais un parcours administratif ne pourra plus être disponible pour activer le cœur du métier, entrer en relation thérapeutique.
Cette Loi remplit la vie et j’y vois beaucoup d’analogie avec le fonctionnement au quotidien de celui qui l’impose, celui qui s’agite, agit agite…et ne supporte ni silence ni temps mort, celui qui se vante d’avoir un agenda si rempli qu’il ne peut y avoir de pause…C’est la différence entre agenda et Emploi du temps. Cette loi est un emploi du temps.
Pourtant, comme un discours à besoin de silence, de scansion, de pause, de discontinuité, une relation thérapeutique ou une existence, se doit de n’être pas comblée, totale, elle se doit de susciter le manque, l’espace, la discontinuité, le désir… sous peine d’être totalitaire. Avec cette loi, la discontinuité est impossible, la pensée n’a pas droit d’asile. On est dans le cadre d’une loi totale. E. Goffman avait parlé d’institution totale au sujet de l’Asile (1968). Le 5 juillet 2011, en France, la cité est devenue une gigantesque institution totale, sans espace à penser, sans espace pensable, comme dans la psychose la plus sévère…En lisant cette loi, nulle révolte en moi, nulle dépression. Nulle colère même n’apparait possible, cette loi sidère et peut rendre catatonique, il n’est que de voir le peu de réactivité du corps social. Comment sortir de la Catatonie ? Nos patients, heureusement, nous ont montré la voie : crise clastique, délire, pensée magique… J’ai fait comme eux, j’ai froissé la loi, je l’ai mise en boule et je l’ai jeté au panier…Et ça m’a fait du bien…. Je vous donne le truc.
Didier Bourgeois