Psy-Cause a été fondée en 1995 par Jean-Paul Bossuat, psychiatre des hôpitaux à Avignon, et Thierry Lavergne, psychiatre des hôpitaux à Aix en Provence, pour promouvoir la théorisation de la pratique de terrain en santé mentale, et contribue aujourd’hui à faire savoir les savoir-faire des psy du monde entier

Augustin Ménard, le 6 juin 2012 : conférence sur la psychose à l’invitation de Psy Cause

1-Menard-6.6.12Le 16 janvier dernier, nous annoncions cet événement dans notre blog. Rappelons que le Dr Augustin Ménard qui, en tant que psychiatre, fut le directeur de la clinique psychiatrique de Remoulins dans le Gard près de Nîmes, est un psychanalyste lacanien qui fait autorité dans le traitement psychanalytique des psychotiques. Il est venu, ce 6 juin, échanger sur son expérience à partir de son livre « Voyage au pays des psychoses. Ce que nous enseignent les psychotiques et leurs inventions », à l’Espace médical du Centre Hospitalier de Montfavet (Avignon), dans le cadre de notre revue.

 

Le Dr Augustin Ménard introduit son propos par ces mots : « si j’ai écrit ce livre, c’est pour essayer de faire passer les idées que je pouvais avoir sur les psychotiques. J’ai toujours été dans le bain de la psychiatrie. Mon grand père, psychiatre, traitait avec l’hydrothérapie. Son établissement fut transformé après la guerre en clinique psychiatrique. Déjà, il connaissait l’œuvre de Sigmund Freud et c’est de lui que j’ai appris que les paroles avaient des effets et qu’il était important d’écouter les patients. » Le Dr Augustin Ménard fut en 2008, invité par des collègues au Québec pour un congrès sur la psychose et écrivit ce livre à l’occasion. Il l’a pensé en partant de la clinique, c’est à dire en partant de ce que dit un patient, pour essayer de montrer que la théorie doit découler de la clinique et non l’inverse. Même s’il ne faut pas oublier le cadre préétabli de référence qu’est la fine sémiologie de Ey, Bleuler ou Kraepelin.

 

2-Menard-6.6.12Il poursuit : « j’ai appris par mon maître Lacan, l’intérêt d’une orientation psychanalytique avec les psychotiques. Il ne s’agit pas évidemment de transposer la cure type pratiquée dans le cadre des névroses. L’orientation analytique, ça consiste à rechercher la singularité du cas. Chaque sujet a à se débrouiller avec les cartes qui lui ont été données. Il s’agit de considérer ce que ce sujet a de différent des autres et comment il s’est construit malgré ses difficultés. » Le Dr Augustin Ménard explique que si l’on peut rencontrer certes du déficit chez les psychotiques, la difficulté qu’ils ont à s’inscrire dans la fonction paternelle, a comme corolaire de les obliger à créer, chacun d’entre eux construisant sa propre solution. Il faut donc être sensible à la logique de ces constructions, c’est à dire « être docile » face aux discours des psychotiques dans lesquels il y a un savoir à recueillir, ce qui ne veut pas dire être passif. Le psychotique a besoin que l’on s’intéresse à ce qu’il dit, c’est à dire qu’il a besoin d’un accusé de réception.

 

Le Dr Augustin Ménard poursuit avec la question du langage. Et nous raconte une expérience menée dans l’Égypte ancienne : le pharaon veut savoir quelle est la langue originelle chez l’être humain. Est-ce l’égyptien, l’assyrien, etc… ? Il confie un nourrisson à un chevrier muet et loin du monde pour être sûr que l’enfant n’aurait aucun contact avec le langage. Et il attend le premier mot. Ce sera « bèh bèh », le langage de la chèvre. Autrement dit, le langage n’est pas sécrété par le cerveau, il est extérieur. Il existe avant la naissance et l’enfant vient au monde dans un langage qui de suite l’habite. Il y aura un moment où l’enfant va habiter ce langage pour s’exprimer en tant que sujet. L’inconscient est ce qui nous parle avant que nous parlions. Avant de venir au monde, l’enfant est déjà nommé. D’où la formule : l’inconscient est le discours de l’Autre. Le psychotique a besoin que l’on reconnaisse qu’il peut habiter le langage, c’est l’accusé de réception.

 

3-Menard-6.6.12Chez le psychotique, le discours de l’inconscient est à ciel ouvert. Le psychotique parle une langue qu’il n’entend pas. Il a besoin de quelqu’un qui l’entende mais ça ne suffit pas : pour que cela fasse lien social, il faut que le thérapeute amarre le discours de son patient. Ce n’est pas simple. Il est possible de parler très librement avec un psychotique à condition de rester dans sa logique. Mais il faut être très prudent, en particulier avec le paranoïaque, pour souligner les contradictions. On peut dire « j’ai du mal à comprendre : vous avez dit cela ? ». Il ne faut pas oublier que le savoir est toujours du côté du psychotique. Comme en règle générale en psychanalyse, il faut avoir présent à l’esprit que c’est toujours le sujet qui fait le travail. Nous avons toujours à encourager sa création. Il ne faut pas avoir peur, affirme le Dr Augustin Ménard, d’être mis en place de persécuteur ou d’objet érotomane par le paranoïaque. Si on ne peut pas y parer, il faut passer la main. L’accusé de réception permet au psychotique d’être reconnu en tant que sujet. C’est le ressenti, par exemple, des patients qui sont sur une liste d’attente en vue d’une présentation de malade.

 

Le psychotique, précise le Dr Augustin Ménard, sait ce que veut dire son discours. Il est dans le sens et le sait. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est à quoi cela lui sert, comment faire avec, comment faire, par exemple, avec les bruits que lui envoie son persécuteur. Nous devons dire au psychotique que nous croyons à ce qu’il nous dit de son hallucination : ce qui nous importe, c’est sa vérité. Nous pouvons intervenir lorsqu’il est au bord du passage à l’acte : on peut lui dire « non » ou « pas encore ».

 

Le Dr Augustin Ménard, en réponse à une question, explicite la différence entre la psychanalyse et la thérapie d’inspiration psychanalytique que l’on peut mettre en jeu, par exemple, dans des ateliers consacrés à l’art où le psychotique peut s’exprimer avec un accusé de réception.

 

Une question porte sur la psychose maniaco-dépressive et la mélancolie. Comment les classer sur le plan structurel : dans le champ de la psychose ? Le Dr Augustin Ménard considère que l’on ne peut pas faire un diagnostic de structure sur des troubles de l’humeur. Le seul critère est : y a t-il forclusion du nom du père ? Si un maniaco-dépressif fait une cure analytique et n’a plus de troubles de l’humeur, c’est un névrosé. Il est très difficile de distinguer une production mélancolique chez l’hystérique, d’une mélancolie vraie. Un patient qui dit être mélancolique à cause de quelqu’un, n’est pas mélancolique, car le mélancolique localise sa jouissance en lui même, pas chez l’autre. C’est sur la manière dont le patient va subjectiver son histoire, que l’on peut dire qu’il s’agit d’une psychose ou d’une névrose.

 

« Nous avons des sujets, poursuit le Dr Augustin Ménard, qui déclenchent une psychose lorsque le nom du père est appelé à opérer, par exemple en cas de paternité. Dans d’autres cas, ainsi dans la psychose maniaco-dépressive, nous avons une forclusion d’avant la structuration paternelle, un gouffre dans l’imaginaire qui ne peut être symbolisé. » Le Dr Augustin Ménard parle alors d’une forclusion de la castration. Il considère de toute façon que nous sommes tous aux prises avec un réel que l’on ne peut pas symboliser. L’Œdipe est normalement une suppléance à ce trou structurel.

 

Une autre question sur les États limites et la théorisation de Bergeret, renvoie également à la question de la structure et du critère de la forclusion pour différencier la psychose de la névrose : il n’est pas possible de passer d’une structure à une autre. Par contre, l’appareillage de la psychose, ce qui fait suppléance, c’est à dire ce que crée le psychotique, peut donner le change par un état pseudo-névrotique.

 

La conférence/débat s’achève par quelques confidences du Dr Augustin Ménard, en premier lieu sur sa perception de l’avenir de la psychiatrie en France. Il se déclare optimiste car il a constaté que, y compris chez les jeunes psychiatres, une transmission s’effectue de génération en génération, indépendamment de la faculté. Cela va plus de soi chez les psychologues car la psychanalyse a plus de place en faculté des lettres qu’en faculté de médecine.

 

Il nous parle ensuite de sa propre expérience de psychiatre directeur de sa clinique qui recevait le tout venant à la manière de la psychiatrie de secteur (avec quelques restrictions) : « ma fonction était celle, avant tout médicale, de répondre à l’urgence avec les médicaments. L’orientation psychanalytique était posée dès le départ avec, pour le sujet qui arrive, un diagnostic de structure, y compris pour un patient agité nécessitant la contrainte. Il est important de dire au sujet pourquoi on le contraint. Il y a lieu d’introduire dès le départ, que le sujet ne guérira pas que par le médicament qui est pourtant nécessaire. La circulation de la parole avec le patient concerne tous les employés de la clinique jusqu’au jardinier et au cuisinier avec lesquels il peut se jouer des choses importantes. Il s’agit du discours ambiant dans l’établissement. Cela passe par des groupes de parole qui concernent tant les soignants que les non-soignants de la clinique, pour qu’une parole circule. » Le Dr Augustin Ménard précise que, contrairement aux idées reçues, il s’est senti plus libre auparavant à l’hôpital, qu’ensuite en clinique privée. Mais c’était à l’époque où les psychiatres publics avaient une réelle maîtrise de leurs services et de leurs équipes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

 

Le Dr Augustin Ménard conclut sur le thème de sa conférence par ces mots : « La théorie, c’est transmettre quelque chose que l’on recueille chez les sujets. Hippocrate avait compris l’existence de l’inconscient mais ne l’avait jamais théorisée pour le soin. La psychanalyse ne détient pas la vérité mais elle a élaboré des réponses au réel, qui sont efficaces. J’ai une certitude, c’est que la psychanalyse agit sur ce qui est hors certitude chez le psychotique. »

 

Ce compte rendu a été validé par le conférencier.

 

Jean Paul Bossuat

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1 Commentaires

  1. M. Ménard était invité par le CIEN ( centre Interdisciplinaire sur l’Enfant-cf Philippe Lacadée )de la ville de Martigues ( Bouches-du-Rhône )le samedi 1er juin 2013 . Nous avons tous pu apprécier sa justesse de propos, sa patience et le respect de la parole de chacun dans le public ,que ce soit des professionnels de santé , artistes ou médiateurs culturels ,parents ou autres. Le thème était “A l’école des enfants”,l’enfant,l’artiste , l’enseignant,quelle transmission ?
    Votre blog est très intéressant ,merci du résumé de la conférence.

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