Arthur Rimbaud : perversion et sublimation
La Dr Fatiha Djilali-Messaoud est une enseignante en philosophie à Béziers, titulaire d’un doctorat en psychanalyse de l’université Montpellier 3. Passionnée de psychanalyse appliquée à la littérature et l’art, elle a adressé à la revue Psy Cause un article cosigné par le Dr Bernard Guiter, psychanalyste à Béziers, docteur en psychopathologie clinique, maître de conférence et chercheur à l’université Paul Valéry de Montpellier. La thèse de doctorat de la Dr Fatiha Djilali-Messaoud, soutenue le 27 juin 2014, portait sur l’œuvre de Guy de Maupassant à la lumière de la psychanalyse. L’article qu’elle nous propose et qui sera publié dans le N°68 de notre revue est intitulé : « Moi, Arthur Rimbaud, piéton ».
« Le poète qui devait révolutionner la poésie au point de penser qu’en faire empêchait de la vivre et qui voulut selon l’expression d’Hölderlin ‘’poématiser le monde’’ fut sacralisé (pour Les lettres du voyant) et diabolisé (pour l’aventure du Harar) », constatent les auteurs. Rimbaud fut diabolisé, entre autres, par Charles Maurras qui le traite de voyou, de négrier et d’esclavagiste tout en prédisant que le mythe rimbaldien ne durera pas. D’un autre côté, il fut divinisé par son amant Verlaine qui déplore qu’on a voulu le travestir en loup garou. Henri Miller l’a qualifié de « rebelle incarné ». Et les auteurs de dire : « adoré, haï : Rimbaud s’impose comme objet de désir, lui s’avouant n’être qu’un piéton : «Je suis le piéton de la grand-route par les bois nains». Pourtant Arthur Rimbaud se prête au mythe en tant que le mythe est lecture d’une énigme. »
Rimbaud est une énigme par sa poésie dont l’architecture est parfaite bien qu’inexistante. Il est une énigme par sa vie qui est double et inscrite dans une continuité logique. Sa vie peut se découper en trois temps : le temps de l’écriture où, d’abord, pour se faire connaître, il écrira de beaux poèmes à la mode du Parnasse (dont Ophélie) ; le temps de la marche et de l’écriture où il va se désolidariser de tout modèle, où il absorbe poétiquement les impressions du monde comme une hallucination, en marchant (Ma Bohème, le Cabaret Vert, le Bateau Ivre etc…), jusqu’à l’âge de 17 ans ; le temps de la marche, celui de Rimbaud l’Africain dont Jean Genet écrit : « un enfant meurt de honte et surgit à la place un voyou, le voyou sera hanté par l’enfant.» Les auteurs relevant que « Rimbaud avait lui-même tiré la sonnette d’alarme : «Ma vie sera trop immense pour être vouée à la beauté». » Rimbaud, enfin, est une énigme par sa mort : « Rimbaud meurt à 37 ans après amputation d’une jambe atteint d’une tumeur blanche du genou. Pour ses admirateurs il était mort depuis bien longtemps déjà : «Rimbaud mort à 17 ans enterré à 37 ans». Pour Rimbaud cette mort est un projet : «La vraie vie est ailleurs, nous ne sommes pas au monde». Il aura voué sa vie à la damnation : «Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bon sourd de la bête féroce (…) Le malheur a été mon Dieu (…) Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bon tours à la folie». Rimbaud, le damné, c’est ainsi qu’il s’appelle et bien que mort jeune est mort trop vieux, l’homme «qui eut la malédiction de n’être jamais las», l’homme «maudit par lui-même, expulsé du paradis et condamné à marcher» connut à 37 ans la mort comme absence de fin ce qu’il s’était d’ailleurs donné comme programme : «pas de vieillesse» constatant que «la vraie vie est absente». Alors, dit Verlaine, il ne «fit plus rien que voyager terriblement et de mourir très jeune». »
Les auteurs analysent ensuite la biographie de Rimbaud. Le père officier part à la guerre en Crimée immédiatement après la naissance d’Arthur, en 1855. La guerre terminée, le père coupera les ponts avec ses enfants. La mère est une femme de devoir despotique, exigeante, plaçant ses enfants dans les meilleures écoles, dont il a le rejet. Rimbaud sera fasciné par le fantasme du père militaire itiphallique « Car un père est troublant (…) son pantalon dont mon doigt désirait ouvrir la fente (…) pour avoir le bout gros, noir et dur. » À l’école, il est un brillant élève : « Rimbaud est le meilleur élève, toujours premier (36 prix en 5 ans) particulièrement en latin et français mais les professeurs feront quatre remarques : son détachement (son regard est vide), son impatience (il bâcle tout en un temps très bref), son excessive fierté et son acharnement que Verlaine définira plus tard par un oxymore : «C’est un précoce, sérieux». La conclusion sera rude : «Il finira mal». » Puis il rencontre le Parnasse, le monde des poètes, montant à Paris sans billet, fuguant à plusieurs reprises, racontant son vécu de la Commune en 1871 emprunt d’homosexualité avec les soldats, et se fâche avec son meilleur ami gagné par les théories sociales. C’est alors que Rimbaud devient à Paris l’amant de Verlaine : « c’est la vie de bohème : amours, alcools, drogues et voyages. Verlaine le fait entrer au Club des Vilains bonshommes puis dans le Cercle Zutique qui dispose d’un album zutique et Rimbaud s’illustre par sa violence. Nombreux voyages : Londres, Bruxelles, etc. Nombreuses scènes de ménage jusqu’à ce jour de 1873 où Verlaine tire un coup de révolver qui brisera le poignet de Rimbaud tandis que lui, écopera de 2 ans de prison. »
À partir de ce moment Rimbaud abandonne la poésie et sillonne le monde. En Europe d’abord, puis « il erre en Afrique et en Arabie pour se fixer à Aden (Yémen) et à Harar (Éthiopie) et c’est en piéton qu’il sillonne le monde, déserts et montagnes, souvent malade (insolation, typhoïde, etc.). Il est, comme le prescrivait Charles Baudelaire : «allé au fond de l’inconnu pour y trouver du nouveau». Et il voulait partir encore après amputation de sa jambe droite à l’hôpital de la Conception à Marseille quand après une dernière visite à sa mère et un séjour chez Isabelle, il revint au grand port pour y mourir. Il voulait retrouver Aden et Djami, son deuxième grand amour. C’est ce que l’on nomme «l’œuvre-vie». »
Les auteurs décryptent en Rimbaud une personnalité perverse, avec à la base l’image d’une mère qui ne devait pas être dépourvue du phallus. Rimbaud illustrant le corps fétichisé « corps hiéraldisé par la marche ; les accidents, les abus, corps fétichisé, assomption du corps comme corps glorieux dira Lacan. » Cependant sa posture perverse était transcendée dans une posture sublimée, celle de son esthétisme poétique qui permettait à Verlaine d’écrire : « Ce n’était ni le diable ni le bon Dieu, c’était Arthur Rimbaud, c’est-à-dire un très grand poète. »
Un article, donc, à lire dans le prochain numéro de la revue Psy Cause.
Jean Paul Bossuat
Il est intéressant de découvrir la vie de Rimbaud sous cet angle.
Bel Article !
Bravo aux auteurs !