Art-thérapie à Montréal : Les Impatients
Les concepteurs des ateliers « Les Impatients » ont d’entrée de jeu, dans les années 1990, choisi une approche qui s’est rapidement démarquée de l’art-thérapie pratiquée à l’époque dans les institutions psychiatriques québécoises.(1) « La présence d’artistes professionnels comme animateurs dans les ateliers, les expositions présentées au grand public ont vite créé des remous dans le milieu de l’art-thérapie. Une volonté de pratique différente ouverte davantage sur le rôle de l’art comme moyen d’expression, de source de plaisir, d’affirmation de soi en dehors du contexte de la maladie a été mise en avant. »(2) Sur le plan artistique, « c’est dans la foulée de la collection de l’Art Brut de Lausanne que la collection des œuvres produites en atelier s’est d’abord constituée. »
Les débuts ont été difficiles : le premier atelier « Les Impatients » existait depuis 1989 dans une salle anonyme de l’Hôpital LH Lafontaine (actuellement IUSMM, Institut Universitaire en Santé Mentale de Montréal). Il était plutôt ignoré d’un milieu médical peu intéressé. Cette situation a duré jusqu’à ce qu’à partir de 1992, une nouvelle instance, « la Fondation pour l’art thérapeutique et l’art brut du Québec », se mette en place de pair avec une nouvelle direction. Cette fondation acquiert alors un local hors les murs de l’hôpital LH Lafontaine qui met en contact une moyenne de 80 patients et anciens patients par semaine avec diverses autres personnes qui fréquentent les lieux et offre aux passants une vitrine insolite. C’est à cette époque qu’un psychiatre du nom de Pierre Migneault s’est intéressé à cet atelier et a déclaré à propos de ces personnes malades mentales : « Le seul fait de s’exprimer leur permet de quitter cet univers de l’inaccessible où elles se sont réfugiées et de se joindre à la communauté dite normale. »(3) À partir de l’an 2000, la Fondation choisit l’appellation « Les Impatients » et dispose de plusieurs espaces dont ceux de la rue Sherbrooke.
Le Dr Pierre Migneault participe, le 19 septembre 2015 au dernier étage du pavillon Bédard de l’IUSMM, à la réunion fondatrice de Psy Cause Canada. Il propose à tous, à la fin des travaux, de descendre dans un lieu historique et quelque peu oublié dans les sous sols. C’est, nous dit-il, une visite qui s’impose pour la naissance de la section canadienne de Psy Cause International. Nous nous retrouvons ainsi devant la grande fresque et le chemin de croix de la chapelle de l’IUSMM réalisés par l’atelier des Impatients, il y a plus d’une vingtaine d’années.
La signature de la grande fresque laisse entendre qu’elle a été peinte par Diane Lenoir en 1992, l’année où la Fondation a pris les choses en mains. Peux t’on y voir le cheminement d’une longue cohorte des fous vers une terre promise ? Une métaphore du Nil, de Moïse et de la traversée du désert, voire du baptême et des apôtres qui vont enseigner les nations ? Paradigme de l’art-thérapeute qui prépare ses patients à la rencontre du monde ?
Le Dr Pierre Migneault a également attiré notre attention sur le chemin de croix de la chapelle réalisé, lui aussi, dans le cadre de l’atelier des Impatients. Les stations sont peintes et commentées. L’une d’entre elles (la quatorzième) pourrait être une source d’inspiration pour les fondateurs de Psy Cause Canada. La mise au tombeau dans l’attente de la résurrection insuffle une espérance qui pourrait être une métaphore de l’action à entreprendre après les deux années de gestation depuis notre congrès d’Ottawa en octobre 2013 : accompagner une nouvelle ère de la psychiatrie ? Accompagner, selon les termes de la Dr Suzanne Lamarre, co-coordonatrice de Psy Cause Canada, les mouvements du rétablissement et de la valeur ajoutée au patient ?
Des membres de la délégation de Psy Cause venue de France prolongent cette découverte des Impatients par une visite de leur galerie d’exposition au 100 rue Sherbrooke Est. Aujourd’hui, l’institution Les Impatients a fait du chemin. Elle est devenue, avec l’appui de l’Université de Montréal, en particulier du Pr Emmanuel Stip, et de la Dr Suzanne Lamarre, un vaste ensemble. Une recherche, effectuée dans les ateliers des Impatients et publiée en 2014, suggère que « les programmes d’art favorisent le rétablissement ; ils agissent à la fois sur la personne et la société, réduisent le stigma relié à la maladie mentale et favorisent l’augmentation de l’incursion sociale, du soutien social et de l’empowerment des participants. »(4)
Au 100 rue Sherbrooke Est, une exposition « Marilyn » nous a permis d’apprécier la créativité des participants aux ateliers. Un panneau de présentation explique le contexte des œuvres exposées : « Pour construire son œuvre, Andy Warhol a utilisé les images d’une Amérique populaire, celles auxquelles nous confronte l’actualité, qui rythment le quotidien. L’image de Marilyn Monroe, icône de la société nord-américaine par excellence, qui a été revisitée, diffusée et popularisée par Andy Warhol, est maintenant bien inscrite dans l’imaginaire collectif. À la manière du chef de file du mouvement Pop art, les Impatients ont souhaité réinventer à leur tour cette icône qui a rendu indissociable ces deux figures emblématiques que sont Warhol et Monroe. Contrairement à Warhol qui aplanissait la surface de l’œuvre et multipliait son sujet pour en faire un objet sériel de consommation, les Impatients abordent le multiple en créant chaque fois quelque chose d’unique.
Soutenus par l’artiste et animateur d’ateliers Pierre Bellemare, une vingtaine d’Impatients se sont prêtés au jeu. Ils sont directement intervenus sur une estampe inspirée de l’œuvre d’Andy Warhol. Ils ont assemblé, peint et collé des découpes de magazines sur ce visage afin de créer une nouvelle iconographie. Ils dévoilent mille et un autres visages que Marilyn aurait pu vouloir porter, décuplant les personnalités potentielles par l’ajout de nouvelles couches de sens à l’image initiale. Ils libèrent ainsi Marilyn du diktat des canons de la beauté auquel elle a été cantonnée sa vie durant.
Les participants se sont rapidement appropriés la Marilyn qui a connu les souffrances liées aux problèmes de santé mentale. C’est sa sensibilité à fleur de peau et sa vie tourmentée qui ont touché les participants plus que sa beauté mythique. Chacun des participants a transformé et enrichi le sujet à sa manière, dévoilant ainsi chaque fois une part de sa propre histoire et de ses préoccupations. »
Cette exposition est une vivante illustration des propos du Dr Pierre Migneault repris dans le numéro du cinquantième anniversaire, de la revue Santé mentale au Québec : « Le centre Les Impatients est un pont qui relie les deux rives d’une société où il est de plus en plus difficile de comprendre de quel côté se trouvent les gens les plus troublés. » Lorsque l’on connaît la portée des ponts qui enjambent à Montréal le fleuve Saint Laurent, si cher au cœur du Dr Pierre Migneault, on mesure l’ampleur de la tâche réalisée dans le cadre des Impatients.
Nous remercions notre « pilote » qui nous a guidés dans cette visite de l’exposition, en la personne de Mme Karine Larocque, responsable de la collection Les Impatients. Nous avons rappelé, à l’issue de notre parcours des salles, que la revue Psy Cause est disponible pour publier des œuvres des Impatients.
Jean Paul Bossuat
(1) Les références historiques et théoriques de notre texte sont extraites d’un article du Numéro de la revue Santé mentale au Québec « Cinquante ans de psychiatrie à l’Université de Montréal (1965-2015) » : Céline Lamontagne et Lorraine Palardy, Les Impatients : un parfum de santé, pages 287 à 302.
(2) Ibid, page 289.
(3) Ibid, page 291.
(4) Ibid, page 298.